Gilet Jaune et malfaiteur

En soutien à R., en prison à Toulouse depuis 2 semaines pour une « association de malfaiteurs » imaginaire

Depuis 2 semaines, un certain R. est en détention provisoire à la prison de Seysse, à Toulouse, dans le cadre d’une enquête pour association de malfaiteurs. Mediapart vient de publier un article détaillé sur cette affaire [1]. Ici, nous publions un récit que nous ont transmis les amis de R.
Samedi 2 janvier dernier, un peu avant le début de l’acte XII du mouvement des Gilets Jaunes à Toulouse, R. descend dans la rue fumer une cigarette pour observer à distance un contrôle de police. Une fois le contrôle terminé, les policiers se dirigent vers lui, l’interpellent, l’emmènent au comissariat pour un contrôle d’identité et le placent en garde à vue. Il est ensuite présenté à un juge d’instruction pour refus d’ADN, identité imaginaire et « association de malfaiteurs en vue de commettre des dégradations » et se retrouve, depuis, en détention provisoire. Ce dernier chef d’inculpation est particulièrement préoccupant puisqu’il permet d’incriminer des personnes (en l’occurence, une seule) sans qu’aucun délit n’ait vraiment eu lieu. Dans la présente affaire, R. est arrêté sur la simple base d’une attitude légèrement suspecte puis une enquête est ouverte qui tente, a posteriori, de construire sa culpabilité par tous les moyens. Mais le dossier est toujours vide à l’heure qu’il est, et R. toujours en prison.

Le mouvement des Gilets Jaunes ne se laisse pas abattre. Pourtant, des obstacles toujours plus nombreux se dressent face à la détermination populaire. Le mouvement a su éviter les pièges de la représentation (parti, liste aux européennes) et de la négociation (grand débat) qui auraient pu précipiter son déclin en le divisant, en isolant les franges les plus radicales. Mais il a également du faire face à une répression protéiforme : présence policière massive, usage débridé des armes dîtes non-létales, mutilations assumées pendant les manifestations et, sur le plan juridique, des centaines d’arrestations préventives, des peines extrêmement lourdes à l’issue des procès et bientôt la loi anti-casseurs.

À cette criminalisation de la lutte s’ajoute le lent travail d’enquête, moins spectaculaire mais tout aussi pernicieux, dont nous voulons exposer ici quelques ressorts et la profonde grossièreté. À Toulouse en particulier, la préfecture annonçait fin janvier la création d’un groupe d’enquête spéciale Gilets Jaunes, composé d’une dizaine de policiers de la sûreté départementale et d’« investigateurs en cybercriminalité ». Ceux-ci travaillent en collaboration avec le parquet et sous la direction du procureur. Il y a quelques semaines, La Dépêche signalait une quarantaine d’enquêtes en cours en rapport avec le mouvement des Gilets Jaunes pour la seule région toulousaine. De récentes perquisitions réalisées dans le cadre de ces instructions révèlent le sale travail de la justice : en plus d’enquêtes portant sur des faits précis, un certain nombre d’affaires concernent des « associations de malfaiteurs en vue de commettre » des crimes ou des délits plus ou moins graves, comme c’est le cas dans l’histoire qui va suivre. Cette incrimination a l’avantage de pouvoir cibler n’importe quelle personne légèrement suspecte puisqu’elle n’a pas besoin de faits pour l’étayer mais seulement d’intentions.

Nous sommes le samedi 2 janvier, acte XII des Gilets Jaunes dit « contre les violences policières ». Comme chaque samedi depuis des semaines, les forces de l’ordre disposent d’un arrêté préfectoral pour procéder à des contrôles dans tout le centre-ville. Ils peuvent ainsi vérifier les identités, fouiller les sacs et procéder à des arrestations préventives comme bon leur semble.

Ce jour-là, alors que la police nationale contrôle un groupe de personnes dans le quartier François Verdier, R. est à la fenêtre ; il garde alors T., la fille d’une amie, à son domicile. Intrigué par la situation, il descend dans la rue et allume une cigarette. Quand la BAC arrive en renfort, le groupe contrôlé est en train de repartir. Mais les policiers, sans doute déçus, veulent rentabiliser leur intervention et procèdent alors au contrôle de R. N’ayant pas ses papiers sur lui, il est emmené au commissariat pour une vérification d’identité. Lorsqu’on lui demande son ADN, il refuse et est placé en garde à vue. 48 heures plus tard, il est présenté à une juge d’instruction, mis en examen, et placé en détention provisoire à la maison d’arrêt de Seysses. À ce stade, rien n’est communiqué à ses proches quant aux faits qui lui sont reprochés.

On apprendra plus tard, au moment de perquisitions de son domicile ainsi que celui de la petite fille dont il s’occupait, que le prévenu a été placé en détention pour son rôle dans une « association de malfaiteurs en vue de commettre des dégradations passibles de plus de dix ans de prison ».

À ce jour, R. est le seul malfaiteur de cette prétendue « association ». Au cœur du dossier : des « PV de contextes » relatant les manifestations depuis novembre et un jeu de clés suspicieux trouvé sur le détenu et qui serait, selon la police, « caractéristique du fonctionnement des activistes d’ultragauche pilotant le mouvement des gilets jaunes et leurs manifestations, en tout cas sur la ville de Toulouse ». Au delà de ça, aucune infraction, même mineure.

Lire la suite sur lundi matin

À lire également...