« Frottez, frottez, il faut payer. L’esclavage, c’est fini ! ». A l’hôtel Holiday Inn de Clichy la grève continue

Le jeudi 30 novembre un rassemblement de femmes de ménage de l’Holiday Inn de Clichy et de leurs soutiens avait lieu devant l’hôtel après plus d’un mois de grève. A travers cette grève « c’est tout le système de la sous-traitance que les grévistes entendent remettre en cause » explique Etienne Deschamps, juriste de la CNT-SO dans l’interview.

Lancée le 19 octobre pour dénoncer la mutation arbitraire de deux salariées, la grève se poursuit et se structure autour d’autres revendications. Au nombre de 11, les grévistes se battent contre la dégradation de leurs conditions de travail suite au contrat commercial passé entre la société sous-traitante Héméra et le donneur d’ordre, l’hôtel Holiday Inn.

A : Après 46 jours où en est la grève ?


Étienne :
Depuis le 19 octobre, date du début de la grève, on en est au même point en termes de relations avec les deux employeurs qui sont Holiday Inn, le donneur d’ordre et Héméra, la société sous-traitante. Ce qui a changé, je crois, c’est la détermination des grévistes à aller jusqu’au bout pour une victoire totale. Autant dans les premiers jours on se serait contenté d’une demi-victoire, autant maintenant les grévistes veulent une victoire totale, autrement dit le départ de Héméra qui, en 46 jours, n’a pas été capable de négocier avec les salariés et les organisations syndicales qui les assistent. Elle n’a pas été capable non plus d’adresser un seul mot, un bonjour à ses salariés, alors que la direction passe ici tous les jours. Et l’Holiday Inn c’est encore pire, ils travaillent depuis 11 ans avec ces salariés-là et ils ne sont même pas venus leur demander pourquoi ils sont en grève. Ils jouent les innocents en disant qu’ils n’étaient pas au courant de leur situation en tant qu’employés d’Héméra. C’est totalement faux : l’hôtel est le véritable employeur, il est responsable du travail dissimulé pratiqué par la société Héméra en ne payant pas toutes les heures travaillées. Il est responsable du rythme imposé par Héméra à ses salariés qui doivent faire 3 à 5 chambres par heure suite aux accords fixés dans leur contrat avec Héméra. Donc Holiday Inn est complètement responsable de cette situation, qu’elle connaît bien, et c’est la raison pour laquelle nous, organisations syndicales CNT-SO et CGT-HPE, nous voulons négocier avec l’hôtel et avec le groupe Intercontinental.

A : L’employeur et le donneur d’ordre jouent les innocents et attendent l’essoufflement du mouvement de grève. Comment pensez-vous résister à cela ?

Étienne : Maintenant on sait bien que l’on est sur un conflit qui va durer car en 46 jours ils n’ont pas trouvé le moyen de faire des contre-propositions, là c’est le silence radio.
Nous avons distribué le 9 novembre une fraction de salaire aux grévistes grâce à la caisse de grève de nos organisations syndicales. La semaine prochaine, on va distribuer les salaires pour le mois de novembre et si ça continue, on distribuera les salaires pour le mois de décembre et l’on peut tenir comme ça pendant longtemps. C’est dur pour les organisations syndicales et c’est encore plus dur pour les grévistes, mais on est déterminés à les accompagner jusqu’au bout.
Au départ la grève a éclaté sur une histoire de mutation. C’était le plus simple à régler.
Le premier jour les grévistes ont dit : « si vous réintégrez les deux salariées mutées, on reprend le travail, le 19 octobre même, et l’on établit un calendrier de négociations ». Pas de réponse de Héméra. Huit jours après, la direction nous dit : « Non, il n’y a rien à négocier et en tout cas pas les mutations ». Ça énerve tout le monde car on a l’impression de se faire rouler dans la farine. Ainsi on décide de continuer le combat et de l’étendre à d’autres revendications : la suppression de la clause de mobilité figurant dans les contrats ; l’arrêt du paiement à la chambre ; le règlement des heures supplémentaires ; une prime de 13e mois et, surtout, l’embauche directe du personnel de ménage par le donneur d’ordre, Holiday Inn.
Puis, aujourd’hui nous menons des actions à Paris mais on a décidé de les attaquer aussi à l’international. Notre stratégie aujourd’hui est d’attaquer le groupe Intercontinental qui est le premier groupe hôtelier international en nombre de chambres, propriétaire de la marque Holiday Inn entre autres, et on va leur faire payer leur inaction pendant 46 jours. Voilà pourquoi demain 1er décembre, en Espagne à Barcelone, un hôtel Holiday Inn va être la cible de toute notre gentillesse.
De par nos excellentes relations avec nos amis de la CGT espagnole, la solidarité internationale se fédère autour de cette lutte.

A : Vous menez une lutte exceptionnelle par les temps qui courent

Étienne : D’abord ce sont des grèves qui ne viennent pas de nulle part. Je rappelle les grands conflits qui ont eu lieu au sein de sociétés comme Arcade sous-traitante du groupe Accor dans les années 2000, comme Novotel quelques années plus tard, Novotel les Halles et Louvre hôtels groupe à Suresnes en 2012, où à chaque fois le système de la sous-traitance a été dénoncé. Ce système vise à priver les salariés du sous-traitant des quelques avancées qu’il peut y avoir dans les hôtels (primes de paniers, 13e mois etc.). La convention collective des entreprises de la propreté présente elle aussi quelques avantages…et nous voulons les avantages des deux conventions car on est gourmand !
Mais la sous-traitance vise surtout à diviser les travailleurs. Il y a les salariés de l’hôtel et les salariés du ou des sous-traitants qui n’ont pas les mêmes droits et, syndicalement, on voit bien que ça crée des divisions. Nous, CNT-SO avec la CGT-HPE, disons qu’il faut reconstituer la communauté de travail. Car la sous-traitance s’inscrit dans une stratégie globale du capitalisme visant à casser la communauté de travail qui est le socle sur lequel reposent des intérêts communs à défendre.
Pour cela il faut enrayer cette méthode qui consiste à se décharger sur des sous-traitants pour réguler la charge de travail en utilisant les salarié.e.s de ces sociétés comme moyen d’ajustement du personnel au taux d’occupation. Ça n’est plus supportable. Le personnel de la sous-traitance a des droits que l’on doit faire respecter. Aujourd’hui dans cet hôtel, Héméra remplace des contrats de 7 heures par des contrats de 4 ou 5 heures et demande aux nouveaux arrivants de faire le même travail qu’on faisait en 7 heures. Et on connaît le résultat en termes de santé, c’est-à-dire que les femmes de chambre, les équipiers, à 45-50 ans, sont complètement cassés du dos, avec tendinites et problèmes musculo-squelettiques très graves qui rendent impossible leur reclassement. Sachant en outre que, lorsque des salariés demandent des formations, notamment en français, on les leur refuse alors que c’est une priorité dans la convention collective de la propreté d’accorder des formations pour les salariés d’origine étrangère en vue d’une meilleure maîtrise de la langue. On voit donc bien qu’ils essayent d’utiliser des personnes ayant déjà une situation précaire, considérées comme les moins capables de se défendre mais, de temps en temps, ils tombent sur des équipes militantes qui décident de résister. Avec ce mouvement on en a un exemple et on va gagner !

A : Que reste-t-il de la mémoire des autres grèves dans la lutte actuelle ?

Étienne : On sait que la lutte paye et qu’on peut gagner. On sait également que cela peut être plus ou moins long. Il y a une dizaine d’années on a fait une grève, avec les mêmes salariés, et en 6 heures on avait plié le patron. Là on tombe sur un récalcitrant mais, il ferait mieux de regarder l’historique des luttes que l’on a menées de manière collective avec la CGT-HPE, en intersyndicale, où à chaque fois on a gagné. Les femmes de ménage connaissent déjà des pratiques de lutte et quand on les entend on n’a aucun doute sur leur volonté de tenir jusqu’à la victoire. Évidemment, il y a quelques collègues qui étaient là avec nous le premier jour et qui ont eu peur. Car il faut savoir que ce sont les délégués syndicaux de la boîte d’Héméra (CGT propreté, FO propreté, CFDT propreté) qui sont intervenus pour faire reprendre le travail aux grévistes en leur disant qu’avec ces syndicats, ils n’allaient rien gagner. De plus, ces délégués syndicaux ont amené leurs adhérents, salariés d’Héméra, pour venir faire le travail des grévistes ! Autrement dit, ce sont ces syndicats qui ont fait le boulot des patrons. Il y a un gros problème en termes de représentation syndicale dans le secteur de la propreté.
Enfin, sur 34 salariés de Héméra dans l’hôtel, au départ il y avait 17 grévistes, on est à 11 grévistes stabilisés dès les premiers jours. Mais les non-grévistes qui ont été interviewés par les médias, quand ils ont expliqué leurs conditions de travail, cela a eu un effet plus fort que si c’était nous qui le disions !

A : Mais avec les ordonnances Macron, la question de la représentation des travailleurs ne va pas s’améliorer

Étienne : Auparavant, la jurisprudence disait que quand le salarié d’une société sous-traitante avait une stabilité dans un lieu de travail, il était intégré dans la communauté de travail et, de ce fait, il pouvait participer aux élections du comité d’entreprise (CE) et des délégués du personnel (DP), il pouvait être élu DP. Il ne pouvait pas, en revanche, être élu au CE. La jurisprudence s’est attachée à la représentation du personnel, et c’est à l’occasion des élections que la jurisprudence s’est construite. En 2008, la loi avait intégré cette jurisprudence. Les ordonnances Macron reviennent là-dessus. Les institutions représentatives du personnel vont être fusionnées, le CE l’emporte sur les DP et dans ce cadre, les salariés du prestataire ne peuvent plus être candidats aux élections sur le site. C’est un recul essentiel car la loi ne peut pas priver les salariés de leurs droits fondamentaux et constitutionnels d’être représentés sur leur lieu de travail.
Or, dans la stratégie des ordonnances Macron, il est dit aussi que la négociation doit se faire au niveau de l’entreprise. Que l’accord d’entreprise va primer sur l’accord de branche et sur la loi ; alors c’est à ce niveau que nous allons lutter. Ils veulent des accords d’entreprise et on va leur faire. Ils veulent casser le code du travail et on va le reconstruire encore plus avantageux, entreprise par entreprise, par des luttes comme celle-ci. La sous-traitance n’est rentable que si l’on peut complètement pressurer les salariés. Si les salariés obtiennent des statuts protecteurs parce qu’on aura négocié leur participation aux élections, le coût de la sous-traitance, suite aux revendications, sera égal aux coûts de l’internalisation. Quel intérêt aurait alors l’entreprise Holiday Inn de sous-traiter ? Aucun. Si entreprise par entreprise, chantier par chantier on casse cela, il n’y a plus d’intérêt à sous-traiter.

Anne

Localisation : Clichy-la-Garenne

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