Éduquer n’est pas frapper

L’interdiction des châtiments corporels ou des violences physiques à l’égard de l’enfant ne sera pas examinée par les députés dans le cadre de la loi sur la famille... La psychologue Alice Miller a toute sa vie dénoncé les conséquences désastreuses de la violence faite aux enfants, pour eux, leurs parents, et toute la société. Dans cette interview (réalisée la veille de son décès, en 2009, par la musicienne Katharina Micada), elle nous fait prendre la mesure de cette tragédie.

Comment définissez-vous la notion de « maltraitance des enfants » ?
Pour moi il s’agit de maltraitance quand un enfant n’est pas respecté, est humilié, trompé ou abusé sexuellement. D’ailleurs, dans tous ces cas on ne me contredit que rarement. Par contre, je n’arrive pas à informer les parents sur le fait que frapper un enfant constitue un cas de maltraitance qui n’est pas dénué de conséquences. Partout on appelle cette pratique éducation. On pratique les châtiments corporels depuis des millénaires et on les considère comme une manière d’éduquer au mieux les enfants. Presque tous les parents d’aujourd’hui ont été battus quand ils étaient enfants et malheureusement ils étaient obligés d’apprendre très tôt de leurs parents que cette pratique était inoffensive et juste. Alors, cette « connaissance » erronée est enregistrée par le cerveau et la plupart des gens ont de la peine à l’effacer. Comprendre le contraire, cela signifierait de remettre en question leurs propres parents et cela effraierait la plupart des gens. Ils s’attendent à être punis justement parce que la vérité était interdite à l’enfant.

Comment voyez-vous le rôle des religions / Église concernant la maltraitance des enfants ?
Dans toutes les religions que je connais, je constate l’obligation de respecter les parents et les ancêtres même si ceux-ci ont brutalisé leur enfant. Presque tout le monde accepte cette obligation, même s’il faut payer de sa santé pour cela, car le corps ne comprend pas la morale. Il ne peut pas mentir, il a mémorisé les souffrances et nous pousse à respecter sa vérité. Sans se mentir à soi-même on ne peut pas aimer et respecter les personnes qui nous ont tourmentés pendant des années.

Quelles expériences avez-vous fait avec des représentants de l’Église en ce qui concerne ce sujet ?
Comme vous le savez, j’ai écrit des lettres au pape actuel et à son prédécesseur et aussi à certains cardinaux, dont le cardinal Lustiger. Mais je n’ai reçu que des réponses évasives. Je leur avais demandé d’informer les jeunes parents sur les conséquences dangereuses de la violence faite aux enfants dès leur plus jeune âge. Car il est prouvé scientifiquement que cela provoque des lésions dans le cerveau. PERSONNE ne montre le moindre intérêt ou une trace de pitié pour des millions d’enfants battus. Je me suis sentie tout à fait déplacée comme si j’avais voulu donner une recette de cuisine pour un dîner excentrique. Les détails de ces correspondances sont décrits dans mon livre « Libres de savoir ».

Comment se répercute la maltraitance des enfants sur la société ?
Les enfants d’aujourd’hui seront les citoyens de demain. Ils n’ont pas pu se défendre contre les agressions de leurs parents, ils étaient en détresse, ils devaient réprimer profondément leur colère pour éviter de nouveaux coups/punitions. Mais devenus adultes cette colère se réveille et s’adresse en particulier à leurs propres enfants, mais aussi à d’autres personnes qu’on peut utiliser impunément comme boucs émissaires. Dans une position supérieure il est même possible de manipuler un peuple entier pour déverser sa colère accumulée envers des millions de personnes. Dans mon livre « Abattre le mur du silence » j’ai pris l’exemple de Ceausescu en m’aidant de nombreux détails du fonctionnement de son régime en Roumanie. De nombreuses personnes répriment leur colère envers les autres, mais s’auto punissent pour ce qu’on leur a fait, comme ils ont appris dans leur enfance et comme leurs religions les y obligent. Ils tombent malades, sont dépendants de drogues et médicaments et souffrent de dépressions. Ils s’en accommodent pour ne jamais accuser leurs parents.
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Le 8 octobre 2009, traduction Brigitte Adam

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• Alice Miller est décédée le 14 avril 2010. Sa biographie sur Wikipedia.
• Source : http://www.alice-miller.com/index_fr.php

• À lire : un petit livre intitulé « La fessée, 100 questions réponses sur les châtiments corporels », par Olivier Maurel, Éditions La Plage, préface d’Alice Miller.

Mots-clefs : enfance

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