Distribution : grandes manœuvres et casse sociale à venir

Dans la grande distribution, l’année 2018 a été marquée par des plans sociaux et des réformes de gouvernance compliquées à mener. Chez Carrefour, les lettres de licenciement arrivent, et le dialogue social est tendu.

« C’est inédit, on n’a jamais connu ça ! » Ce cri du cœur de Cyril Boulay, délégué central FO de Carrefour au micro d’Europe 1, fait froid dans le dos. Nous sommes en janvier dernier.

De son siège social à Massy, l’équipe dirigeante de Carrefour annonce la nouvelle : 5000 emplois seront supprimés, dont 2400 départs volontaires au siège et 2100 employés des supermarchés citadins Dia. Une saignée qui a pris de court les syndicats qui n’ont pas été avertis du plan social. « 5000 emplois supprimés chez le plus gros employeur de France, c’est très inquiétant. Non seulement pour Carrefour, mais aussi pour la grande distribution alimentaire, s’alarme le leader syndical. On ira jusqu’au bout. »

Les syndicats sur la brèche

Dix mois plus tard, le dialogue est gelé. Le 11 septembre 2018, des notifications de licenciements ont été envoyées à 1300 salariés. Les syndicats plaident tous pour une autre manière de gérer les ressources humaines chez Carrefour. Le lendemain 12 septembre, l’antenne principale de la CFDT (Confédération française démocratique du travail) lance une campagne portée par 5 revendications :
1. Reclasser réellement les salariés, ne pas licencier des milliers de collaborateurs, ne pas fermer ou céder des magasins ;
2. Ne pas remettre en cause les avantages sociaux négociés ;
3. Former les salariés aux mutations technologiques, les impliquer, préserver leur employabilité ;
4. Anticiper les restructurations pour éviter les plans sociaux, jouer la transparence ;
5. Mettre en œuvre un actionnariat responsable et durable, avec des rémunérations de dirigeants en phase avec les réalités économiques.

Mais la machine est lancée. Parallèlement à celui visant la maison mère, d’autres tours de vis vont faire des victimes. Toujours en septembre, la direction de Carrefour annonçait en effet la fermeture de 29 stands MyDesign, installés dans les hypermarchés de périphérie des villes partout en France, stands où les clients pouvaient faire personnaliser un mug, une coque de téléphone ou un t-shirt. Des fermetures inévitablement synonymes de licenciements purs et simples, car MyDesign est une entreprise partenaire : le patron Eric Charles risque fort de mettre la clé sous la porte, 71 employés vont se retrouver sur le carreau. La direction actuelle de Carrefour assure ne pas avoir d’autre choix – économique – que de retirer les espaces à ses points de vente.

Les combats ne manquent pas, et un autre syndicat – FO (Force Ouvrière) – joue sur sa forte implantation locale. Il mène par exemple campagne en faveur d’une plus grande clarté sur l’avenir des salariés d’une quinzaine d’hypermarchés de l’enseigne Carrefour, qui vont devoir réduire leur surface pour faire place à de petites boutiques relais de l’enseigne Darty. « Les élus FO ont demandé et obtenu le report de la consultation faute d’éléments précis sur l’impact social de ce projet pour les magasins concernés », s’est félicité le syndicat. Tout en rappelant haut et fort les promesses de la direction, précisant que les salariés demeureront au sein des équipes de Carrefour, tout en portant des tenues Darty. Le syndicat a annoncé rester « très attentif à l’évolution de ces dossiers afin de défendre et préserver les droits des salariés concernés par ces nouveaux projets ». La grande bataille de l’hiver 2018 s’est soldée, près d’un an plus tard, par un grand plan social actuellement en cours d’application.

Dégradation du climat social

En janvier 2018, Cyril Boulay, le représentant de FO chez Carrefour, faisait ce constat : « Les salariés sont plus qu’inquiets. En ce moment, le dialogue social est compliqué. Concrètement, on ne parle pas avec nous. Il n’est pas tolérable de subir ce type d’annonces (les 5000 licenciements) sans discuter. » Et, les mois passant, cette dégradation du climat social n’a pas trouvé de solution. Les syndicats n’obtiennent rien de la direction.

Au printemps, c’est une autre centrale syndicale qui a donné de la voix. La CGT (Confédération générale du travail) est revenue à la charge dans un communiqué : « Alors que les salariés du groupe subissent de plein fouet le plan Bompard et ses suppressions d’emplois, et n’obtiennent que des miettes en participations aux bénéfices, les comptes montrent que la direction s’est augmentée de près de 80 %. » Tout comme pour FO, l’implantation locale est essentielle à la CGT. A Vitrolles dans les Bouches-du-Rhône, la représentante de la CGT Virginie Cava, ne comprend pas la logique de la direction : « Carrefour va bien ! Le groupe fait plus de 700 millions d’euros de bénéfices, s’emporte la syndicaliste. Le chiffre d’affaires est en hausse de près de 3 %, le groupe a plus de 3,3 milliards d’euros de trésorerie. Et juste parce que la marge baisse, on nous dit qu’il est urgent de supprimer plus de 2 000 emplois ? » La direction a répondu oui.

Le candidat pas vraiment idéal

Une situation générale qui parasite l’image et la bonne marche de l’enseigne. Et cette tendance n’incite pas à la confiance chez les autres grands acteurs de la distribution, ce qui va probablement geler certains projets. Carrefour figurait avec Amazon en tête de liste des prétendants à un rachat du groupe Casino. Rumeurs et bruits de couloir faisaient même état de « discussions » entre les directions de ces deux grands noms de la grande distribution, en France comme aux quatre coins du monde. La direction de Casino a pourtant depuis assuré que ses magasins, cœur du métier de la marque en France, ne feraient pas partie de la série de cession d’actifs que le groupe a initiée. « Le groupe Casino entend ainsi mener toutes les actions nécessaires pour défendre l’intérêt social et l’intégrité du groupe, facteur de succès de cette stratégie », souligne la direction de Casino. En France et au Brésil, il existe de nombreux obstacles au rapprochement avec Carrefour, en particulier en matière de concurrence et d’emplois... » Une absorption de Casino se solderait vraisemblablement, au nom des synergies attendues, par un nouveau plan social de grande envergure, d’autant plus que Casino est déjà en train de se débarrasser sans bruit de plus de 20 magasins en France. Autant d’éléments de contexte qui ne favorisent pas les projets d’expansion de Carrefour, chahuté par une météo sociale pas vraiment au beau fixe. De la même façon chez un autre acteur du secteur, le départ surprise du président d’Auchan, poussé vers la sortie par l’actionnaire principal - la famille Mulliez – n’incite pas à l’optimisme pour l’ensemble du secteur en France : quand les responsables tournent, pour finir, ce sont toujours les salariés qui trinquent.

Mots-clefs : syndicalisme

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