Débat : « Racisme et discriminations au travail »

Un débat sur le racisme et les discriminations au travail était organisé par le FUIQP Paris-banlieue hier, mardi 28 janvier, à la bourse du travail. S’y est exprimé un front des luttes qui comptait Saïd Bouamama du FUIQP, Tiziri Kandi de la CGT-HPE, une gréviste d’Ibis et un gréviste de Chronopost. Voici quelques notes prises pendant l’événement.

Introduction par le FUIQP sur la centralité du travail.

« Le racisme, c’est autant la surexploitation que l’oppression. »

Projection de la vidéo réalisée par le FUIQP.

Les travailleurs et travailleuses immigrées constituent une force d’ajustement structurel, en garantissant une main-d’œuvre sous-payée employée aux activités épuisantes et indispensable au bon fonctionnement de la société. À cette surexploitation s’ajoute bien entendu la discrimination de genre, comme l’illustre le cas des femmes de chambre : employées en contrats mi-temps et rémunérées non pas à l’heure, mais à la chambre. Malgré leur contrat, elles travaillent donc autant, voire plus, que des salariées à temps plein.
Ne pas posséder la nationalité française joue aussi dans des corps de métiers moins « difficiles » : les enseignants et enseignantes issu·e·s de l’immigration sont par exemple engagé·e·s en tant que vacataires ou en remplacement. Cette distinction de statut s’est particulièrement ressentie au lendemain des attentats de Charlie Hebdo : les enseignants et enseignantes musulman·e·s qui portaient le foulard en-dehors du travail ont été la cible d’une surveillance quasi policière de la part d’une partie de leurs collègues, et de délits d’intention (ne pas se déclarer grand fan du journal valait quasiment une accusation de soutien au terrorisme islamiste). Un collectif existe pour que les personnes concernées par ces discriminations : le CLAPPE (Collectif de luttes antiracistes des personnels de l’éducation).
Et les syndicats dans tout ça ? La question de la sous-traitance n’est pas absente des préoccupations des centrales syndicales, qui s’intéressent aussi de plus en plus aux luttes pour la régularisation des travailleurs et travailleuses sans-papiers. Mais les syndicats ne sont pas toujours à la hauteur des enjeux, et leur investissement se limite souvent à la gestion de cas individuels de racisme au travail. Une véritable dénonciation, donc, mais une certaine inaction qui traduit la place secondaire que la question des discriminations occupe dans l’agenda des luttes de ces structures.
Les camarades soutiennent la nécessité pour les personnes racisées de s’engager dans les structures syndicales pour les faire avancer sur la bonne voie, en y portant leurs revendications propres.

Prise de parole de Saïd Bouamama, du FUIQP.

On ne rappelle pas assez le lien intrinsèque entre immigration et classe ouvrière : l’immigré est quasiment tout le temps travailleur. Le rappeler, c’est éviter de parler de l’immigration de manière abstraite, comme beaucoup de gens le font.
Picards, auvergnats, savoyards, bretons : avec la révolution industrielle, le paysan devient ouvrier et quitte la campagne pour la ville, où il est accueilli comme un étranger. C’est à ce titre qu’on peut dire que, dès le départ, la classe ouvrière est une classe immigrée. Et si la classe ouvrière n’a jamais été majoritaire en France, l’immigration a pour sa part toujours été majoritairement ouvrière. Quant au racisme, il n’est pas simplement un héritage de l’Histoire, mais bien un mode de fonctionnement de la société capitaliste, qui met en concurrence toutes les forces productives.
Comment mesurer la discrimination aujourd’hui ? La réponse ne saurait être l’intensité et la violence, car les différentes vagues successives d’immigration ont toutes subi une violence extrême. Toutefois, la discrimination s’arrêtait traditionnellement aux parents, dont les enfants étaient perçus comme Français. Or, la discrimination raciste actuelle est un fardeau héréditaire. C’est ce qui pousse le FUIQP à employer le terme « héritiers de l’immigration ».
Il est également important de considérer le facteur de clivage dans les subjectivités qui se développent à mesure que les structures évitent de se confronter aux questions que posent les discriminations au travail. Clivage renforcé par la reproduction des rapports de domination au sein de ces structures, et qui rend urgente l’articulation des luttes spécifiques et globales. Et qu’on ne nous dise pas que nous sommes prolétaires avant d’être racisé·e·s ou blanc·he·s, et que les luttes spécifiques nous détournent de la révolution, car les victimes de discriminations spécifiques s’engagent beaucoup sur les luttes globales dès lors qu’elles se sont mises en mouvement. Nier cet entraînement systémique, c’est nier la réalité des dynamiques de mobilisation.
Pour répondre à toutes les problématiques soulevées, le FUIQP propose la création d’un espace collectif interassociatif où les groupes politiques, les structures syndicales et les individus pourraient élaborer ensemble les stratégies qui feront avancer la lutte concrètement.

Intervention de Sylvie, gréviste Ibis.

Exclues des lieux communs (comme les cantines), les femmes de chambre libèrent leur parole en coulisse. Elles prennent connaissance de leurs droits, mais comment les faire valoir sans s’organiser, sans pouvoir prendre le temps d’échanger avec les titulaires, et en n’étant confrontées qu’à des syndicats patronaux « de maison » ? Les grévistes se sont d’abord rapprochées de la CGT-HPE, pour faire part de leur situation intenable et de leur enfer quotidien. L’élément déclencheur a été le viol d’une femme de chambre par le directeur de l’hôtel, que la société STN TEFID (qui assure la sous-traitance pour le groupe Accor) et le groupe Accor ont tout fait pour enterrer.
Les grévistes savaient qu’elles entreraient dans une grève dure et prolongée, en affrontant un véritable géant, 1er groupe hôtelier européen et 6e au niveau mondial. Le 17 février, la grève fêtera ses 7 mois. La grève a été un détonateur, un moment de prise de conscience et d’investissement intense. L’objectif de la grève était double : obtenir une indemnité de 7,24€ par jour pour pouvoir manger le midi, et faire baisser les cadences infernales (17 minutes pour nettoyer une chambre, avec des journées à 30 ou 50 chambres). Il s’agit, à travers cette lutte, de rétablir dans leurs droits et leur dignité des travailleuses surexploité·e·s, en proie au chantage au titre de séjour des patrons.

Intervention de Diallo, gréviste de Chronopost pour la régularisation.

La grève a débuté le 11 juin 2019 et s’est achevée en décembre, 7 mois plus tard, début janvier 2020. Elle avait pour objectif d’obtenir la régularisation des salariés. Cette lutte a permis de pointer du doigt la manière dont l’État élabore ses lois pour fournir et garantir de la main-d’œuvre bon marché aux entreprises, notamment autour du temps de travail nécessaire à l’obtention d’une régularisation. « Entre les travailleurs et les patrons, l’État choisit les patrons. » L’État pourrait parfaitement sanctionner les abus patronaux, mais il choisit d’entraver l’obtention de titres de séjour et met en place toutes les conditions pour que les entreprises puissent surexploiter la main-d’œuvre immigrée.

Intervention de Tiziri Kandi, CGT-HPE.

Quel est le modus operandi de la CGT-HPE pour lancer une grève ? D’abord, syndicaliser le maximum de salariées, puis bien choisir la date du lancement de la grève, en essayant de la faire coïncider avec un événement culturel ou une journée où l’hôtel affiche complet, afin d’avoir un maximum de visibilité d’emblée.
La répression de la grève a pris plusieurs formes. Par exemple, 13 grévistes ont reçu une convocation pour mutation, juste après qu’elles aient toutes été déclarées inaptes au travail. Une coïncidence trop grosse pour être vraie, et qui n’a berné personne. Ce genre de pratique est courante à la STN, qui est connue pour organiser du travail dissimulé, qui a l’habitude de renvoyer les travailleuses pour faute grave afin d’esquiver les indemnités légales de départ, qui a été impliquée dans le détournement d’un fonds de formation de 2 millions d’euros, et qui multiplie les arnaques au contrat face à des travailleuses précaires qui ne savent pas toujours lire le français. Mais la répression ne s’arrête pas là. Les syndicats maison ont l’habitude d’intimider physiquement les grévistes et les délégué·e·s du personnel sur les piquets, sous l’œil bienveillant de la direction d’hôtel. Certains ont même appelé les maris des grévistes pour leur dire que leurs femmes se ridiculisaient en faisant grève, et pour les convaincre de forcer leur femme à reprendre le travail, ce qui a fonctionné sur une des grévistes. Parfois, c’est la CFDT qui est envoyée par les patrons pour tenter de briser la grève, en appelant les grévistes à faire une pause puis reprendre plus tard. La CGT-HPE doit aussi faire face à la CGT Propreté, syndicat exclu de la CGT par 87% des suffrages en 2016, connu pour envoyer ses adhérent·e·s remplacer les grévistes.
La grève peut encore tenir quelques mois, et la détermination est toujours là. Les grévistes aimeraient bien que Philippe Martinez passe, pour la symbolique, d’autant plus que même Marlène Schiappa est passée sur le piquet. À ce jour, trois propositions d’accord ont été faites par la direction, toutes plus pitoyables les unes que les autres :
– Instauration d’une indemnité nourriture de 2€ par jour + 1 canette.
– Une offre similaire avec une indemnité nourriture très légèrement revue à la hausse.
– Un accord avec prime d’ancienneté, qui laissait 7 grévistes sur la touche.
Toutes ont été rejetées. Parce que les grévistes refusent d’être divisé·e·s et de toucher des miettes. Les actions vont donc continuer aux côtés de divers collectifs non syndicaux ou non cégétistes, que cela plaise à la CGT ou non.

Début de l’échange avec l’audience.

– Appel à action de la CNT-SO.
– À Sud PTT, les femmes ont bousculé la structure en obtenant l’instauration de quotas et de commissions non mixtes, ce qui a permis l’émergence de générations de militantes.
– La force des Gilets noirs est une grande source d’inspiration et d’espoir. Ils multiplient les actions fortes, ont évité le pire après l’évacuation du Panthéon, passent aux prud’hommes contre Elior, et visent directement la « machine à expulser ».

Conclusion par Saïd Bouamama.

L’antiracisme moral dénonce un phénomène raciste sans en confronter les causes. L’antiracisme politique reconnaît le racisme comme clé de voûte de l’exploitation, reconnaît qu’il existe un racisme d’État, structurel et systémique, produit par les institutions avant d’être le discours d’un parti ou d’une tendance politique. Il interroge le rôle de l’État et de ses politiques, les logiques sociales qu’elles promeuvent, et demande à qui profite le racisme.
L’unité de classe n’est pas une donnée, c’est une construction. Il n’y a pas de conscience spontanée qui révèle les intérêts communs, mais bien une prise de conscience des intérêts immédiats, sans que ceux-ci s’opposent aux intérêts communs, contrairement à ce que certains prétendu·e·s camarades peuvent soutenir. Aux États-Unis, les États les plus racistes sont aussi ceux où le prolétariat blanc est le plus exploité. « Le travail sous peau blanche ne peut s’émanciper là où le travail sous peau noire est stigmatisé et flétri. » (Karl Marx, 1867, Le Capital, livre I, IIIe section, chapitre 10).
Aujourd’hui, on estime à 30% la part des héritiers et héritières de l’immigration au sein des classes populaires. La lutte contre le racisme et les discriminations au travail est tout le contraire d’une lutte secondaire. « Le racisme des uns favorise l’exploitation des autres. […] On ne vous demande pas d’être des grands antiracistes, on vous demande juste de défendre vos intérêts. »

Note

Lien vers l’événement original : https://www.facebook.com/events/2802842319781637

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