De la violence.
La question de la violence est un thème qui revient de manière récurrente dans les débats autour de Nuit Debout. Que ce soit sur la place de la commune ou dans les divers médias. Récente manifestation : la prise de position de E. Hazan sur le sujet ou plutôt sur le sujet de la ’violence verbale’ faite a la Police. Position qui lui a d’ailleurs valu de se prendre un râteau de la part, je crois... d’un de ses auteurs ;-). La violence ? Un thème passionnant ! J’ai entendu sur la place de la commune des orateurs qui, en AG, défendaient la ligne non-violente a la Gandhi. J’étais tenté d’intervenir. J’aurais du intervenir ! Parfois on se dit, a quoi bon ? Pourtant ! Il faut parler, même si cela semble sans effet. Dire que la réussite de Gandhi est pour beaucoup due aux conditions politico-économiques de son époque. Dire que d’ailleurs, il y a de la violence dans la non-violence. Au moins potentielle ! Par exemple, lorsque des milliers de personne désarmées se dressent face a un corps armé. Ce jour la il était question de la manifestation de la police du 18 mai et de la réponse a y apporter. J’aurais du dire que je vois trop de gens pleins d’énergie (très jeunes parfois) et totalement frustrés. Parce que toutes les bonnes causes (guerres, environnement, loi du travail, etc.) sont ’interdites’. A une autre époque, on pouvait s’engager dans une ONG comme médecins du monde. Puis est venu le temps du doute. Ces ONG ne participent-elles pas de l’ordre mondial neo-liberal imposé par les occidentaux aux pays du sud ? Ne jouent-elles pas finalement un rôle proche de celui des missionnaires dans le processus de colonisation ? Exit la solution ONG.
Aujourd’hui, on se trouve devant un choix éthique. Quel choix ? Départager vertu (de la non-violence) de jouissance (de la violence). Mais il s’agit d’un leurre ! De pure réthorique ! Ce choix n’a pas lieu d’être. Déjà en 70, dans d’autre temps, Baudrillard avait très bien décrit la situation sans issue dans laquelle nous sommes enfermés dans son livre ’société de consommation’. Relisons-le :
Il n’est pourtant que d’admettre un instant l’hypothèse selon laquelle l’abondance n’est qu’un (ou du moins est aussi) système de contraintes d’un type nouveau pour comprendre aussitôt qu’à cette nouvelle contrainte sociale (plus ou moins inconsciente) ne peut que répondre un type nouveau de revendication libératrice. En l’occurrence, le refus de la "société de consommation", sous sa forme violente et érostratique (destruction « aveugles » de biens matériels et culturels) ou non violente et démissive (refus d’investissement productif et consommatif). Si l’abondance était liberté, alors cette violence serait en effet impensable. Si l’abondance (la croissance) est contrainte, alors cette violence se comprend d’elle-même, elle s’impose logiquement. Si elle est sauvage, sans objet, informelle, c’est que les contraintes qu’elle conteste sont elles aussi informulées, inconscientes, illisibles : ce sont celles mêmes de la « liberté », de l’accession contrôlée au bonheur, de l’éthique totalitaire de l’abondance.
Le tableau s’est encore bien obscurci depuis cette époque optimiste. C’était la fin des trente glorieuses, le temps de l’abondance ! Les contraintes étaient informulées, invisibles. Les choses ont changées. Fini de rigoler ! Les oppositions se sont marquées, durcies. OK, nous vivons encore pour la plupart de nous, ici, dans un relatif confort matériel. Mais les contraintes se font visibles. Elles se font menaces. Crise économique. Guerre. Terrorisme. Répression violente. Les médias, les nouveaux chiens de garde (voir le film ou lire le livre) sont aux ordres. Bien nourris ! Tout est bon pour faire tenir tranquille les travailleurs esclaves. Une expression que j’avais découverte au Brésil. Mais qui s’applique très bien chez nous aujourd’hui. Nous ne pouvons pas quitter notre job, car nous sommes toujours déjà endettés. Ceux qui monopolisent (détournent) les richesses veulent encore plus d’argent. Le terrorisme qui frappe au coeur de notre refuge douillet est un symptôme certain. Comment ne pas sentir ’l’état d’urgence’ ? Comment ne pas sentir qu’à force de piller les pays du sud, détruire les équilibres régionaux, déclencher des guerres sans fin, produire et vendre des armes, fabriquer des millions de tonnes d’objets inutiles presqu’aussitôt abandonnés qui s’entassent dans nos océans et y créent de véritables continents d’ordures flottants, polluer toujours plus la terre la mer et le ciel, creuser les différences et accroitre la pauvreté, créer chaque jour des contingents toujours plus importants de sans domiciles, de sans pays, etc. etc. etc. nous fonçons droit dans le mur ? Il y a ÉTAT D’URGENCE en effet ! Les hommes en gris qui le proclament, qui nous gouvernent, qui nous exploitent, qui nous divertissent, qui nous informent (nous mettent en forme et nous mentent), et enfin qui s’enrichissent sans fin a nos dépens de façon absolument obscène… Ces ’gens sérieux’ s’obstinent dans un cynisme sans précédent a tenir la barre dans la mauvaise direction. Et à neutraliser tous ceux qui tentent de la redresser. Les hommes politiques sont plus que jamais des marionnettes.
Que faire donc de cette énergie qui est la notre… et de ce désespoir ? Ils ont besoin d’un exutoire. S’ils n’en trouvent pas, alors... le suicide ! (Une autre violence, infligée a soi-même mais aussi aux proches.) Donc les cris ! Donc la rage ! Donc la violence !
D’ailleurs... d’ailleurs violence, non-violence ? Ce que nous vivons depuis quelques semaines dans les rues est une parfaite démonstration de l’inanité d’un choix. Nous défilons, oui, mais encadrés par la police et les services d’ordres, réprimés, gazés, bastonnés. Comment ne pas prendre conscience de notre impossible position :
- soit rester pacifique. Ne pas porter de foulard (et donc ne pas se protéger des gaz). Ne pas porter de casque (et donc ne pas se protéger des coups). Accepter l’encadrement brutal des syndicats. Manifester, oui, mais dans l’espace extrêmement restreint et humiliant qui nous est concédé (pour la forme). Et qui fait penser a la punition des fourches caudines.
- soit se confronter violemment à la violence de l’état. Au risque de faire le jeu des provocateurs et des médias.
En réalité il n’y a pas de choix ! D’ailleurs, élaborer ensemble et calmement sur la place de la commune une nouvelle constitution... ou bien parcourir les rues en brisant les devantures des banques. Ou est la véritable violence ? La violence, nous y sommes acculés par la violence étatique, la violence de l’argent. Violence des mots, violence symbolique, violence des actes. Nous, mais qui donc ? Peut être faut-il s’élever au-dessus des individus ? Peut être faut-il s’élever au-dessus de la dualité individu / groupe social ? Peut-être faut-il aller chercher une autre définition de l’individu ? Celle de Spinoza par exemple :
L’individu (qui) n’est ni substance ni sujet, mais une relation entre un extérieur et un intérieur qui se constituent dans la relation. Cette relation constitue l’essence de l’individu qui se résume à son existence-puissance ; puissance qui n’est pas donnée une fois pour toute, mais puissance variable, précisément parce que la relation constitutive de l’intérieur et de l’extérieur est instable, non établie.
Qui est ce NOUS ? Quelle est cette communauté ? Allez ! Tentons une définition ! Méfions-nous des concept problématique de peuple ou de citoyen. ’Nous’ ne désigne pas un groupe particulier ni même l’homme, en général. Pas seulement pour des raisons de refus du sexisme. Mais aussi parce que la période dorée de l’humanisme (et de l’anthropocentrisme) a pris fin. ’Nous’ est ce qui constitue notre relation. Relation humaine, mais aussi relation au milieu, et relation aux outils techniques. ’Nous’ désigne l’espace utopique que nous tentons de recréer aujourd’hui. Sur la place de la commune et ailleurs. D’abord dans nos têtes. Ce ’Nous’, et bien il est (encore informe et encore bafouillant, et cet essai le prouve) ce qui s’invente (se réinvente) ici et maintenant.