N.B. Le « nous » de ce texte ne parle pas « au nom de » mais tente de retranscrire aussi justement que possible des opinions et ressentis partagés dans des conversations et débats entre personnes individuellement ou collectivement engagées dans le combat contre les violences d’État.
Quand on se place en soutien des proches et familles de victimes, cela signifie qu’on est solidaires face à ce qui les touche, face à l’oppression et l’acharnement judiciaire, politique, médiatique et social dont ils font l’objet, et qu’on mobilise autour de nous pour construire avec eux un rapport de force, dans le but de combattre ces violences structurelles dont nous subissons toutes et tous les conséquences, chacun-e à notre échelle.
Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’on accompagne les proches dans leurs démarches en justice qu’on croit en la justice. Et si l’on apprend à se parler, on se rend compte que les proches de personnes assassinées ne se font pas tant d’illusions qu’on veut bien le croire, quand bien même ils se réjouissent parfois d’une décision de justice ou appelent de temps à autre "au calme". Croire que les membres d’Urgence Notre Police Assassine considèrent la police comme la leur parce qu’il/elles ont appelé leur collectif, c’est ne pas entendre ce qu’il/elles disent, ce qu’il/elles énoncent chaque jour de leur vie avec force et douleur. Elle/ils mettent toute leur énergie à s’adresser à celles et ceux qui ne sont pas des « militant-es politiques » confirmé-es.
Les accusations de "pacification" à leur encontre sont trop souvent chargées de nombrilisme et de paternalisme. Elles effacent la complexité des situations vécues et participent à accabler des familles dont les vies ont déjà été chamboulées. La blessure ou la mort de leurs proches les a déjà changé en combattant-es. Leur quête de "vérité et de justice" a le mérite de les renforcer, de les faire évoluer vers une conscience du monde bien plus radicale que le croient leurs détracteur-ices. Ce que vivent les proches de personnes touchées par les violences d’État est suffisament violent pour ne pas y ajouter la violence de nos a-priori et de nos jugements idéologiques.
Cela ne veut pas dire qu’on doit accepter d’entrer dans des jeux politiciens et suivre des mots d’ordre qui ne nous conviennent pas, ni souffrir d’alliances avec des partis de pouvoir dont les objectifs ne sont ni révolutionnaires, ni anti-autoritaires.
Si les proches de victimes choisissaient de s’engager politiquement et d’adopter des postures réformistes, alors nous serions contraint-es de nous positionner. Soutenir les proches, ce n’est pas renoncer à nos principes. Nos idées ne sont pas des artifices, elles conditionnent nos vies et notre rapport au monde.
Si les familles ne s’engagent pas dans un combat politique parce qu’elles n’y croient pas, n’en ont pas la fibre ou le courage, nous les soutenons aussi. Matériellement, financièrement, psychologiquement, par sympathie, pour combattre leur isolement et parce que ce qui leur arrive est politique.
Mais si les proches de victimes décident de faire du marketing, font du nom de la victime un « trend » dont ils veulent conserver le monopole, invitent des stars du showbizz à les soutenir pour gagner en « street-cred » et rameuter du monde ou de l’argent, c’est la sincérité, l’humilité et la probité de leurs soutiens qui sont mises à l’épreuve. Ces choix doivent se discuter en amont, ils ne peuvent pas "aller de soi".
Si les proches de victimes reproduisaient ou participaient à reproduire, consciemment ou non, les schémas structurels qui ont amené la mort des leurs et permettaient par là aux oppresseurs de se trouver des excuses ou de se racheter une conscience, alors nous serions contraint-es de nous dissocier.
Il n’est pas question que les victimes d’oppressions visibles occultent les victimes d’oppressions qui ne le sont pas. Inviter des personnes connues comme auteures de violences conjugales soutenir les victimes de violences policières, ce n’est pas un message fort, c’est une reddition, donc une défaite. Cet exemple n’est pas fortuit.
Nous ne voulons pas être les petit-es soldat-es apolitiques d’une campagne de communication contre les violences policières, qui pourra alimenter ensuite des discours de réforme des institutions.
Nous ne voulons pas « être représenté-es », établir des « récépissés de contrôle d’identité » ou « organiser des rencontres entre les policiers et la population ». Nous ne cherchons pas à engager un « processus de réconciliation » entre opprimé-es et oppresseurs, parce que c’est illusoire. La résilience n’existe pas.
Quand nous crions « Police partout, justice complice », ce n’est pas pour dire que l’État disfonctionne, mais pour dire qu’à nos yeux il n’a pas de raison d’être.
Quand nous crions « A bas l’État, les flics et les patrons », ce n’est pas qu’une juxtaposition aléatoire de nos oppresseurs, mais l’expression d’une nécessité de combattre le système capitaliste sous tous ses aspects.
Quand nous crions « Tout le monde déteste la police », c’est parce que sa fonction sociale est de nous mener la guerre et qu’à ce titre elle ne peut être autre chose qu’un ennemi.
Les politicien-nes qui se retrouvent autour de certaines familles voudraient nous convaincre que l’ « ouverture » et la « convergence », donc la massification, sont nécessaires au regard du mastodonte qui nous fait face. Ils voudraient nous convaincre qu’à la perspective du retour du fascisme il faudrait faire front commun.
Et quand bien même on éviterait le fascisme, cette impérieuse nécessité de réunir les « forces de gauche » en s’alliant avec des communistes autoritaires nous condamnerait à vivre sous un régime de type républicain, supposément de gauche, qui arrive très bien à associer capitalisme, état d’urgence, lutte contre l’immigration, rénovation urbaine et domination policière des quartiers pauvres.
« Obliger les hommes politiques à se positionner », « amener les violences policières dans le débat public » sont autant de formules qui nous mettent en position d’attente, de demandeur-euses, et non de résistant-es ou de combattant-es. Comme si l’État était en quête de solutions et qu’il fallait l’y aider.
Nous ne sommes pas naïfs. Si nous soutenons les familles, c’est dans leur combat. Mais si les familles se rendent, nous ne nous rendrons pas avec elles. Ne nous y trompons pas : si une famille décidait de s’en remettre à un parti politique, qu’il soit ou non racisé, cela signifierait qu’elle aurait baissé les armes. La politique institutionnelle et la recherche de reconnaissance ne sont pas un combat, c’est une affaire de pouvoir et d’ego.
Contrairement aux politicien-nes, notre combat en tant que révolutionnaires s’incarne dans des réseaux de solidarité et des affinités réelles, des pratiques illégales et clandestines, des lieux occupés, des caisses et événements de soutien, des moyens logistiques développés en dehors des rapports marchands, des discours clairs, le refus du compromis, des conflits assumés entre nous et des confrontations physiques avec les forces de l’ordre, mais aussi la capacité à apprendre de nos erreurs et à ne pas présenter des défaites comme des victoires.
La suite s’adresse à des organisations politiques qui se reconnaîtront (si elles ne sont pas dans le déni).
Etre (omni)présent-e et se montrer sur les photos, ce n’est pas lutter, c’est faire de la représentation. Le rapport de force se juge au regard de la clarté des discours et des actions de solidarité concrète. Il ne suffit pas de se dire révolutionnaire à l’arrière d’un camion sono ou à l’avant d’une scène, sur un plateau de télévision ou à la tribune d’une conférence universitaire pour l’être.
Les Black Panthers, qu’on partage ou non leur analyse, étaient révolutionnaires. Reste à celles et ceux qui les prennent pour exemple de gagner en clarté politique, notamment à l’égard du capitalisme. Sinon, c’est juste du nationalisme, quand bien même il s’incarne dans une lutte d’émancipation.
Frantz Fanon avait touché quelque chose de sensible lorsqu’il dénonçait certains réflexes des élites colonisées, notamment leurs compromis avec le pouvoir colonial. Ses analyses pourraient-elles être transposées aux élites indigènes de la métropole ? Ce n’est sans doute pas à nous de répondre, mais la question reste ouverte.
On n’est pas juste « contre les violences policières ». On travaille quotidiennement sur nous-mêmes pour déconstruire voire abolir nos privilèges de race et de classe, combattre les oppressions quelles qu’elles soient, respecter nos engagements envers celles et ceux qui n’ont pas le choix de vivre ce qu’elle/ils vivent en s’efforçant de ne jamais parler en leur nom, tout en conservant notre subversivité et notre radicalité. Nous tentons au plus possible, et souvent avec maladresse, de nous placer à la racines des problèmes, et non à la surface.
Lorsqu’Amilcar Cabral invitait la petite bourgeoisie à accomplir son « suicide en tant que classe », certain-es, conscient-es de leurs privilèges, l’ont pris au mot. Pour autant, dans les milieux révolutionnaires, nous sommes nombreux-ses à avoir profondément conscience de ce qui nous fait défaut, notamment sur la question décoloniale, sur les questions TBPG, sur le patriarcat ou sur la lutte contre l’islamophobie. Et nous savons aussi, sans qu’il ne faille nous en faire la leçon, qu’il ne suffit pas d’en avoir conscience pour que ça change.
Nous nous mettons en jeu, ne nous marchez pas sur la gueule.
Notre « amour révolutionnaire » va aux proches de victimes de la police, qu’elles s’organisent au sein d’Urgence Notre Police Assassine, de Vies Volées ou d’aucun collectif, mais pas aux avant-gardes, d’où qu’elles soient...
Un anarchiste engagé auprès de proches de victimes des violences d’État