En tant que militantes féministes anticarcérales nous sommes profondément opposées aux mesures proposées par le ministre visant à réformer la prison. Dans cet article, nous critiquons quatre de ces mesures dans une perspective abolitionniste du système police-justice-prison.
Suppression des crédits de réduction automatique de peine
Depuis 2004, le dispositif de réduction de peine (CRP) permet théoriquement de raccourcir la durée d’emprisonnement en fonction de la durée de la peine. Ce crédit de réduction de peine fonctionne de pair avec le dispositif de réduction supplémentaire de peine (RSP), qui conditionne les réductions de peine aux « efforts sérieux de réadaptation sociale » du prisonnier, pour reprendre les mots de Dupont-Moretti. Cette réforme veut fusionner CRP et RSP en un seul et même dispositif, enjoignant les détenu.es à faire « les efforts de réinsertion nécessaire » pour théoriquement obtenir une réduction de leur peine. Cette mesure donne encore plus de poids et de pouvoir à la justice et à l’administration pénitentiaire, puisque les réductions de peine seront uniquement conditionnées au bon vouloir de ces instances.
Derrière la rhétorique méritocratique de cette réforme, se cache le paternalisme de la justice et du gouvernement, qui cherche à contrôler les détenu.es et à empêcher toute révolte en leur faisant miroiter une réduction de leur peine. Par ailleurs, ce qui conditionne les remises de peine est tout ce qui est, dans les faits, refusé ou difficilement accessible en taule : le travail, la formation et les soins. Cette réforme vise donc à enfermer toujours plus, et toujours plus longtemps.
Plusieurs mesures ont été ajoutées au dernier moment dans le projet de loi afin de satisfaire les revendications des forces de l’ordre, et renforcer la répression à l’encontre des personnes accusées d’avoir agressé des policier.es et gendarmes : limitation des réductions de peine, instauration d’une peine de sureté de 30 ans pour les condamné.es à perpétuité.
Audiences filmées et diffusées
La réforme prévoit l’enregistrement et la diffusion à la télévision d’audiences. Pour les audiences privées la diffusion serait soumise au consentement des parties, mais pas pour les audiences publiques, où seule la diffusion d’éléments permettant d’identifier les parties se ferait avec leur accord.
Le fait de filmer et de diffuser des audiences pose le problème de leur instrumentalisation par l’État. Le projet de loi n’explicite pas les différents aspects de ces diffusions et notamment leur contenu : quelles audiences seront diffusées ? Quels types de crimes, et quelles catégories sociales de prévenu.es seront mis.es en lumière ? Et pour servir quel agenda ?
Le système judiciaire est un des lieux d’exercice privilégiés de la violence d’État, et il est un rouage essentiel des systèmes de dominations raciste, classiste et patriarcal. La diffusion d’audiences ne ferait qu’accentuer ces logiques en les mettant en scène. La sélection des audiences diffusées donnerait le pouvoir aux autorités de choisir quelle image de la justice et de la "criminalité" mettre en avant, selon le contexte politique, afin de renforcer la criminalisation des personnes pauvres et racisées. La diffusion des audiences s’inscrirait finalement dans la surenchère des politiques sécuritaires de l’État et leur surmédiatisation.
Établissement d’un contrat de travail en prison
Le projet de loi prévoit la création d’un contrat d’emploi pénitentiaire. Actuellement, 30% des détenu.es travaillent, pour l’administration pénitentiaire ou pour des entreprises privées, et signent un engagement les liant à l’administration pénitentiaire. Le travail en prison est en dehors du droit du travail (pas de droits aux allocations chômage, pas d’arrêts maladie, pas de droit de se syndiquer, etc.) Leur rémunération est censée varier entre 20 et 45% du SMIC horaire, mais la plupart du temps les détenu.es sont payé.es à la pièce. Cette mesure du projet de loi s’inscrit dans la volonté du gouvernement de rapprocher le travail en prison du travail hors-les-murs en ouvrant, entre autres aux droits à l’assurance-chômage et à la retraite et en proposant un contrat sous la forme de CDD ou de CDI.
L’encadrement réglementaire du travail en prison est en réalité une institutionnalisation de l’exploitation des détenu.es par l’État et les grandes entreprises. Les entreprises qui ont recours au travail en prison profitent de l’enfermement pour produire à moindre frais. Le projet de loi ne parle d’ailleurs pas de la rémunération des détenu.es.
Cette réforme permet par ailleurs de légitimer le contrôle des détenu.es et la gestion de la détention par le travail en prison. Le travail en prison apparait comme un enjeu essentiel de la détention puisque la vie en prison coûte cher et qu’il conditionne les remises de peine. Ainsi, les détenu.es qui y ont accès sont contraint.es de ne pas se révolter pour ne pas perdre leur place et il en est de même pour les autres pour potentiellement y accéder.
Augmenter le recours à l’assignation à résidence avec bracelet électronique
Le projet de loi dit promouvoir le recours à l’assignation à résidence avec un bracelet électronique dans le cas de la détention provisoire et de la libération sous contrainte. Dans le cas de la détention provisoire, au-delà de 8 mois, le juge devra motiver sa décision de ne pas avoir recours à l’assignation à résidence avec bracelet électronique. La libération sous contrainte sera quant à elle rendue plus systématique pour les trois derniers mois des peines inférieures ou égales à 2 ans. Si une mesure qui isole moins de son environnement social peut sembler moins violente, celle-ci reste une mesure d’enfermement et de contrôle. L’assignation à résidence avec un bracelet électronique permet à l’État d’avoir le contrôle sur une personne, puisque ses déplacements et fréquentations sont soumis à l’autorité des instances judiciaires.
L’assignation vient par ailleurs s’immiscer plus insidieusement dans le quotidien des condamné.es qui doivent devenir leurs propres maton.nes. Chacun.e doit intérioriser les interdits et les obligations, sous la menace d’aller en prison. Ces mesures s’inscrivent dans le développement des peines dites alternatives, qui n’ont d’alternatives que le nom : l’État et la justice enferment toujours plus et construisent toujours plus de places de prisons. Loin d’un "traitement de faveur", elles étendent les possibilités de la justice de contrôler, d’enfermer et punir. Elles développent un continuum de surveillance bien au-delà des murs de la prison.
Nous, militantes féministes anticarcérales, nous nous opposons à ce projet de loi qui va en réalité renforcer l’emprise de l’institution judiciaire et carcérale sur les personnes judiciarisées et qui perpétue les rapports de domination classiste, raciste et patriarcal au sein de ces institutions. Cette réforme est dans la continuité des politiques gouvernementales, visant à exploiter et instrumentaliser mais aussi enfermer et contrôler toujours plus et toujours plus longtemps les personnes pauvres et/ou racisées, et ce même hors des murs des prisons. Nous pensons que toute réforme du système-police-prison ne sert qu’à sa perpétuation et à protéger les intérêts de l’État, comme on le voit avec le renforcement de la protection des policier.e.s, qui bénéficient déjà d’une quasi-impunité dans l’exercice de leurs fonctions de répression.
Face à toutes tentatives de réforme de ces institutions, nous revendiquons l’abolition de la police et des prisons.
Crame la taule !
Genepi.fr