Contre la peur et l’inaction, organisation pragmatique et garantisme

Une mise en garde-à-vue pour un atelier de peinture de banderole. Convocations, associations de malfaiteurs, verbalisations. Comment endiguer la peur, garder un rapport rationnel à la répression et se défendre au sein du mouvement social des Gilets jaunes ?

Vendredi 12 avril, on a accroché des banderoles sur le pont de la porte de Bagnolet, au-dessus du périphérique de Paris. « La rue c’est nous, RDV le 20 avril ». « Relaxe pour tous les gilets jaunes ». Au même moment, plusieurs personnes sont placées en garde à vue pour avoir organisé un atelier de peinture de banderoles pour le mouvement des Gilets jaunes à Nantes.

Rappelons basiquement qu’il n’est pas illégal de s’organiser pour peindre sur des bâches et de les afficher, continuons. Et quand bien même ça le serait, on s’organiserait pour le faire comme on s’organise pour faire d’autres choses. Si le harcèlement policier, les contrôles, les vérifications d’identité ou les gardes à vue nous fatiguent et nous prennent notre temps, ils ne se concluent absolument pas tous par une condamnation. Et quand bien même nous serions condamnés, nous continuerions à nous organiser et à lutter.

Le constat de la multiplication des lois répressives et du renforcement de l’arsenal sécuritaire est indéniable. L’inscription dans le droit commun de l’État d’urgence, la loi anticasseurs ou la création des DAR (Détachement d’action rapide) en sont des exemples récents. En ce moment, le mouvement fait plus spécifiquement face à des inculpations pour associations de malfaiteurs, à la réception de convocations suite aux gardes à vue, à des verbalisations pour participation à une manifestation interdite.

Pour autant, on a participé ces derniers mois au mouvement social des gilets jaunes qui a su s’inscrire dans la durée tout en faisant preuve d’un certain degré de radicalité. Ensemble, on a tenu la rue, tenu tête aux flics. De plus en plus d’entre nous acceptent la pertinence de la violence urbaine dans le rapport de force. Détester la police et l’ordre qu’elle défend devient un des fondements d’une culture politique commune. Et tout ça, la répression ne peut rien y faire.

Dès lors, un des enjeux pour nous, c’est de construire ensemble un rapport raisonnable à la répression. Garder en tête la force de frappe du mouvement, connaître les lois et surtout nos droits, c’est déjà s’extraire d’un climat d’angoisse excessif qui consiste à penser que les keufs savent tout et nous empêcheront de tout faire. C’est tout bonnement faux. Il nous faut préparer nos interventions de manière pragmatique, avec les précautions adaptées, sans tomber dans un état de paranoïa qui nous empêcherait de nous organiser.

Pour contrer ce climat anxiogène infécond, il pourrait s’agir d’avoir une perspective garantiste [1], c’est-à-dire « lutter pour que les libertés fonctionnent comme des libertés de la lutte » [2] pour garder ce qu’on a gagné, que ce soit dans nos droits, mais plus loin, dans la jurisprudence ou dans ce que le contexte politique fait émerger comme l’autorisé : poser une banderole, ne rien déclarer aux flics, porter un masque de plongée en manif, ne pas se rendre aux convocations, demander systématiquement un délai pour préparer sa défense, venir avec des fringues unies passe-partout, avoir du sérum physiologique dans nos poches, relancer les palets de lacrymogène avec des gants adaptés, tout simplement se rendre en manifestation par exemple. Tout cela constitue une base commune à investir, utiliser et instrumentaliser pour se défendre ou agir.

Un des enjeux qui pourrait être nôtre par la suite, et ce dans tous les mouvements sociaux, c’est non seulement de diffuser et généraliser cette base commune par tous les moyens (interventions en AG, discussions dans les manifs, tractage, distribution de matériel), mais surtout d’étendre ce qui est considéré comme normal à d’autres pratiques, la faire progresser dans la radicalité, par le rapport de force. Cette théorie de la normalisation de la déter, de la démocratisation du zbeul, de la généralisation de la défense a pu porter ses fruits de mille manières.

Si tout le monde vient masqué ou casqué pour se protéger en manifestation, il est deux fois plus dur, une fois au tribunal, d’argumenter l’accusation sur le tri entre bon et mauvais manifestants sur le critère de la dissimulation du visage ou du port du casque, car tout le monde est concerné. Si plus personne ne déclare plus rien à la police lors des auditions de garde à vue, ne répond à l’enquêteur social, ne signe son PV, il est plus difficile de criminaliser, d’isoler ceux qui le font.

La dissolution de la responsabilité ou de l’intention est souvent un enjeu pour nous face à la répression. Plus on démocratisera le refus, la révolte, la lutte, moins on laissera de camarades sur le carreau. Plus on diffusera une culture de la défense qui soit collective, moins on flippera, mieux on s’organisera et plus on gagnera. Pour cela,

TOUS ET TOUTES DANS LA RUE LE 20 AVRIL.
RELAXE POUR LES GILETS JAUNES.
FACE À LAPRESSION, ORGANISATION ETFENSE COLLECTIVE.

Et n’oublions pas que dans la rue :

  • Rester ensemble et se tenir dans les mouvements de foule permet de ne laisser personne derrière et de ne pas tomber ou se retrouver isolé·e, raison la plus fréquente d’une interpellation.
  • Porter au minimum un masque de plongée qui englobe les arcades pour se protéger des tirs de la police.

Au commissariat :

  • Garder le silence en garde à vue est un droit et est vivement conseillé pour être sûr·e de ne balancer personne, de ne pas participer à construire soi-même son dossier, et refuser le dialogue avec les flics.
  • Refuser de signer les papiers, donner ses photos, empreintes (signalétique) et ADN (prélèvement biologique) pour endiguer le fichage et éviter de fournir soi-même les preuves de ses inculpations potentielles.

Au tribunal :

  • Refuser de voir l’enquêteur social permet de ne pas faciliter le travail de la justice dans le tri entre les inculpés selon leur profil social, et de faire une défense collective qui se fonde sur les faits et non sur des profils inégalitaires.
  • Refuser de comparaître immédiatement et demander un délai pour préparer sa défense est un droit et est vivement conseillé pour avoir le temps de préparer sa défense en bonne connaissance du dossier.

À la maison :

  • On ne se rend pas à la convocation qu’on a reçue, parfois les flics laissent simplement tomber l’affaire.

Notes

[1voir « Pour un néo-garantisme indépendant et radical », Oreste Scalzone, Il Manifesto, 8 et 9 août 1979, dans La Révolution et l’État, Insurrection et contre-insurrection dans l’Italie de l’après 68 : la démocratie pénale, l’État d’urgence, Paolo Persichetti et Oreste Scalzone.

[2extrait de Il Manifesto, 8 et 9 août : « Pour un néogarantisme indépendant et radical », issu de la liasse 8, se défendre 2, des archives getaway disponibles sur leur site. Intéressant à lire dans l’intégralité pour comprendre le lien entre garantisme et refus de la posture de l’innocent (innocentisme) dans nos procès.

Mots-clefs : BAC | CRS | justice | arrestation | procès | prison

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