Dans la matinée du 5 avril 2016, plusieurs lycées ont encore été bloqués sur Paris et en banlieue. A Levallois-Perret, la façade du lycée Léonard de Vinci a été crâmée par les barricades enflammées.
#1 - Manif lycéenne contre la loi « travail »
Peu avant 11h, place de la Nation, les flics sont déjà très présents, à contrôler/fouiller les gens sur la place et aux sorties du métro. Ambiance...
Il doit y avoir 1 500 personnes à peu près, et comme d’habitude la manif lycéenne part en mode sauvage, cette fois derrière une banderole « Le ciel sait que l’on saigne sous nos cagoules - contre la loi travaille » [1] en direction de Bastille, via le boulevard Diderot, slogans anti-flics à l’appui.
Les flics sont particulièrement nombreux et pressants/stressants, il y a plein d’anti-émeutes et de bacqueux sur les côtés, on sent qu’ils sont encore plus speed que la semaine dernière... Il y a des accrochages et des affrontements dès les premiers mètres de la manif. Des projectiles partent en direction de la flicaille, les coups de matraques en direction des manifestant-e-s, des CRS se mangent de la peinture blanche sur leurs môches uniformes. La manif avance difficilement, cernée de toutes parts.
Une première fois, les flics tentent de couper la manif en deux, y réussissent plus ou moins mais après une contre-offensive de la tête de manif on refait bloc. Mais les keufs sont vraiment nombreux, et plus agressifs encore que d’habitude. Au niveau de la caserne de Reuilly, les anti-émeutes rentrent dans le tas et coupent la manif en deux pour de bon. La tête de manif (environ 400 personnes) est prise dans une nasse et isolée sur le côté. Le reste de la manif étant encerclé aussi, c’était très compliqué de se remettre ensemble. Il y a eu quelques tentatives depuis la partie principale de la manif, en vain. Faut bien dire ce qui est, sur ce coup-là on s’est fait mettre à l’amende, et c’est allé assez vite, en mode brutalités policières comme ils savent si bien faire.
D’un côté la manif a continué jusqu’à Bastille, de l’autre les flics ont contenu la nasse jusque vers 13h30. Des gens ont réussi à se natchav’ au début à travers la nasse (en mode individuel), et une bonne cinquantaine de personnes se sont sauvées par le toit d’un bâtiment à côté de la caserne. Parmi les autres, environ 130 ont été embarqué-e-s dans deux cars et deux fourgonettes. Avant même d’embarquer des gens, certains flics ont mis la pression à certain-e-s en les ciblant et les mettant à part : « toi je reconnais tes yeux, t’étais masqué mais tu nous as balancé des pierres, avoue ! », parfois en montrant des vidéos tout juste filmées ! Evidemment, dans ce genre de cas, il est important de nier, systématiquement. Une fois les cars et fourgonettes partis, une centaine d’autres manifestant-e-s ont été relâché-e-s sans contrôle ni rien, par petits groupes.
Tandis qu’au moins 130 personnes étaient emmenées dans des comicos (dont quatre gardes-à-vue), les autres ont pu rejoindre la manif de l’après-midi, à Bastille.
#2 - Manif « unitaire » contre la loi « travail »
Pour la manif de l’après-midi, il y a beaucoup moins de monde que jeudi dernier. 3 400 personnes selon les flics. Comme jeudi dernier, les syndicats n’ont pas donné leurs chiffres/estimations, mais disons 15 000 (même si on n’a pas compté, ok).
Depuis le 24 mars, une coutume s’est instaurée, et elle est plutôt plaisante : un cortège sans étiquettes, disons « autonome » et dynamique, s’empare de la tête de la manif et grossit au fur et à mesure de la manif. Jeudi dernier, le cortège de tête avait été joyeusement offensif malgré les canons à eau placés dans le ciel (il a plu comme vache qui pisse toute la journée...). Ce 5 avril, c’est moins la fête, même si les flics se prennent quelques projectiles quand même, au milieu des slogans hostiles à leur corporation, au travail en général et à l’État. La présence policière est massive et encadre le cortège de chaque côté (anti-émeutes et bacqueux).
Derrière ce cortège (qui atteint largement le millier, sûrement plus, quand on arrive sur Denfert), se trouvent des cortèges étudiants et lycéens, et pas mal de petits cortèges syndicaux (la CGT surtout).
#3 - Manif sauvage pour rejoindre le rassemblement contre le projet de loi URVOAS
Vers 16h, à la fin de la manif « unitaire », un groupe de gens fait le tour de la place Denfert-Rochereau derrière la banderole « État policier, légitime défiance » et appelle discrètement à rejoindre ensemble un rassemblement appelé dans l’après-midi devant le Sénat, contre l’état d’urgence, la déchéance de nationalité et plus globalement contre l’extension du pouvoir policier.
Un petit cortège de 200 à 300 personnes s’engouffre dans la station en criant « Grève, blocage, manif sauvage » et « Tout le monde déteste la police/les contrôleurs/le travail ». Comme souvent dans ce genre de cas, il y a un joyeux bordel dans la station. Les panneaux de pub sont tagués ou arrachés et ça rigole. Sortie à la station Luxembourg, les flics attendent mais sont un peu débordés, ils essayent de bloquer le passage mais les manifestant-e-s s’engagent dans le boulevard Saint-Michel, rejoint-e-s par une partie des gens du rassemblement au Sénat. Les CRS se mettent à courir pour doubler et encercler les manifestant-e-s. Des gens se barrent en ne se laissant pas doubler, d’autres en faisant rapidement demi-tour, tandis que le gros des manifestant-e-s empruntent des rues au petit bonheur la chance. « On est 100 en manif, et on balade la police ! »
Vers 16h30, près d’une centaine de personnes se retrouvent nassées dans la mauvaise rue : la rue de Condé [2], tout près du Sénat. Après quelques minutes, une porte cochère est ouverte et une vingtaine de personnes ont le temps de fuir par là. Dans la nasse, plusieurs groupes de manifestant-e-s sont « exfiltré-e-s » par les flics jusqu’au métro, la volonté policière étant de disperser tout le monde. Au final, une vingtaine de personnes, restées nassées par le dispositif policier, sont embarquées en contrôle d’identité au comico de la rue de l’Evangile, dans le XVIIIe (pour avoir déclaré ne pas avoir de papiers d’identité sur elles).
#4 - Manif sauvage rue de l’Evangile - République
Suite aux interpellations du matin et de l’après-midi, beaucoup de monde s’est dit qu’il pouvait être utile de manifester sa solidarité devant les comicos où les gens étaient enfermé-e-s.
Depuis le VIe arrondissement, on a rejoint quelques dizaines de personnes devant le comico de la rue de l’Evangile. L’ambiance est assez calme, plus que pendant une partie de l’après-m’ puisque le comico a semble-t-il pris quelques caillasses un peu avant 17h (il y avait alors près de 200 personnes rassemblées devant), pas longtemps avant la sortie des dernier-e-s interpellé-e-s de la manif du matin.
Alors que ça crie timidement « Libérez nos camarades ! » devant le comico, vers 19h30, un assez gros groupe de gens rejoint le rassemblement en provenance de la place de la République (où l’occupation de la place continue). On se retrouve à plus ou moins 150 personnes, et l’ambiance monte un peu. On bloque la rue difficilement, entre mécontentements d’automobilistes et frilosité d’une partie des manifestant-e-s. Ça parle de barrage filtrant, ça veut voter (!?!) pour décider quoi faire, ça s’embrouille un peu mais les cris de « Pas de libération, pas de circulation ! » prennent heureusement le dessus, alors on bloque ! Des manifestant-e-s expliquent à d’autres que ce blocage est un moyen de pression comme un autre, qu’il n’y a rien à négocier avec les flics, que ceux-ci cherchent juste à nous endormir (c’est l’envers de la terreur, pour eux tous les moyens sont bons pour nous faire taire).
Pas longtemps après, tout le monde sort du comico (en ayant presque tou-te-s donné un faux nom, à l’oral), sous les hourras de la foule victorieuse ! Dans la foulée, on décide de partir ensemble en direction de République. Là, ça repatine un peu... On passe devant les centaines de CRS postés du côté de la place Hébert, une partie des manifestant-e-s sont flippé-e-s (alors qu’il ne s’est rien passé de particulier) et se demandent s’il ne vaut mieux pas retourner sur République en métro, ou en marchant discrètement sur le trottoir ! Mais on est plusieurs à prendre la rue, à gueuler des slogans, alors au fur et à mesure on se retrouve tou-te-s sur la route, en mode manif sauvage, ensemble. Et franchement, c’était drôle (et inquiétant à la fois, à vrai dire) de voir des gens qui dix minutes avant voulaient qu’on respecte le chantage manipulateur de la police (« ils vont nous donner des infos si on laisse passer le bus ! ») se mettre à gueuler « A bas l’État, les flics et les patrons » et « Tout le monde déteste la police ».
Vers 20h30, on arrive sur République, en gueulant « Ni loi ni travail, de la révolte en pagaille », puis, de manière humoristique mais aussi un peu vantarde « On a libéré nos camarades ».
#5 - Manif sauvage vers le comico du Ve
Après un bref passage sur la place de la République, et un appel lors de l’assemblée à aller devant le comico de la rue de la Montagne-Ste-Geneviève dans le Ve arrondissement, où d’autres manifestant-e-s sont enfermé-e-s, un groupe de 100 à 150 personnes prend donc le métro jusqu’à la gare d’Austerlitz, avec les mêmes problèmes que juste avant : à la sortie du métro, une partie des manifestant-e-s incitent les autres à ne pas faire de bruit ! Genre on va y aller en scrèd’ alors que ça vient d’être annoncé au micro à République en public devant mille personnes ! N’importe quoi ! On prend donc la rue Buffon en silence, presque tout le monde sur le trottoir... Certain-e-s ironisent en chuchotant fort des slogans, ça discute pour essayer de convaincre que c’est pas comme ça qu’on mettra la pression, et on finit par tou-te-s prendre la route et à ressembler enfin à une vraie manif. On gueule quelques slogans (« Grève, blocage, manif sauvage », « Police partout, justice complice ») et on arrive rue de la Montagne-Ste-Geneviève en criant « On va libérer nos camarades » (ce qui n’arrivera pas cette fois, si tant est qu’on ait libéré qui que ce soit rue de l’Evangile...). Devant le comico, il y a déjà d’autres gens, et à chaque fois ça fait plaisir de voir que ça se bouge de partout, et que le récit que vous lisez n’est forcément qu’un bout d’une journée très dense.
Au fil du temps, on est rejoint par pas mal de monde, vers 21h30-22h on commence à bloquer la place Maubert (et tout le boulevard St-Germain, quand même !), des chantiers sont dévalisés et des grosses barricades de barrières en métal installées en travers du boulevard St-Germain, de la rue Lagrange et au milieu de la place. Il y a un mélange un peu de gens assez étonnant, dans une ambiance parfois cheloue, bizarrement un peu trop on-est-des-bisounours alors que ça barricade de ouf.
#6 - Manif sauvage place Maubert - quai de Montebello
Des barricades qui auraient pu tenir un bon moment, mais dès que les anti-émeutes se sont pointé, y’a eu comme un vent de panique, doublé de ce démocratisme redondant : une espèce de bouffon bourgeois avec sa grande écharpe blanche s’est improvisé leader et a imposé deux uniques propositions débiles : s’agglutiner tou-te-s devant le comico, ou aller bloquer les quais. Alors qu’on tenait des barricades impressionnantes, ça aurait sûrement été plus intéressant de les tenir et de se barrer en manif sauvage au moment où on sentait que les flics prenaient le dessus. Mais là, on est parti dans la panique avant même qu’il ne se passe quoi que ce soit. Arrivé-e-s rapidement sur le quai de Montebello, les gens se sont arrêté-e-s en mode « on discute et après on voit ». Mais pareil, on était en manif sauvage, pas en promenade du dimanche ! Deux pauvres fourgons de la police nationale sont arrivés au bout du quai et ça a fait flipper trop de monde... Un coup de lacrymo et ça s’est dispersé direct, certain-e-s repartant en petits groupes dans les rues du quartier latin, d’autres en groupe plus important du côté de Notre-Dame, tandis que d’autres, en mode pacifiste passif, se sont laissé nasser par les flics.
La manif sauvage n’aura pas duré bien longtemps, mais bon, on se retrouve peu à peu devant le comico de la rue de la Montagne-Ste-Geneviève. Evidemment, les keufs ont profité de notre absence pour nettoyer la place. Vers 23h30 on est à nouveau 250 devant le comico, tout le monde revient peu à peu, et surtout, d’autres arrivent encore puisque quinze minutes plus tard on doit être 400 à gueuler « Libérez nos camarades » devant le comico. Mais l’ambiance est toujours aussi compliquée, ça se prend un peu la tête entre celles et ceux qui crient « La police avec nous » et celles et ceux qui crient « Tout le monde déteste la police »...
Vers 23h45, le boulevard St-Germain est à nouveau bloqué au niveau de la place Maubert. L’ambiance est relativement calme, même s’il y a encore quelques moments stressants entre manifestant-e-s, avec un zozo qui râle parce que tout le monde n’est pas bien rassemblé (il y a des gens devant le comico et des gens sur la place), il précise que ses deux caméramen n’arrivent pas à bien filmer tout le monde comme ça. Autre truc pas très beau, un sit-in est improvisé, avec un slogan pas très adéquat : « Paris, debout, soulève-toi ! » (du gros foutage de gueule involontaire ? de l’auto-foutage de gueule ?).
Le temps passe et les gens continuent d’arriver. Vers 1h du mat’ il doit y avoir 500 personnes, et une nouvelle envie de barricades s’exprime : d’autres objets de chantier (encore des barrières en métal, mais plus petites cette fois), ainsi que des cagettes et toutes sortes de bidules servent à créer une nouvelle barricade (moins impressionnante mais toute aussi complète) sur le boulevard. Cette fois, il y a masse de photographes et ce côté spectaculaire est assez laid. Mais c’est contre-balancé par une hostilité affirmée vis-à-vis des bacqueux qui rôdent sur les côtés. Ils se font huer une première fois, et un peu plus tard se font chasser à nouveau. Une sorte de batucada poubelles-barricades réveille le quartier, mais on a l’impression que le quartier est vide : résidences secondaires ou bureaux, en tout cas presque aucune lumière ne s’allume. Un jour on viendra peut-être en masse squatter le quartier et le faire vivre un peu...
Vers 1h30, les flics commencent à s’approcher et un premier lancer de lacrymo sème la panique sur la place. Panique heureusement relativisée, mais malheureusement par un immobilisme pacifique qui permet un quart d’heure plus tard à un petit nombre de CRS de nasser ceux et celles qui restent calmement sur la place, tout en nettoyant à nouveau la place de ses belles barricades. En fait c’est une nasse inversée : les gens peuvent en sortir mais pas y rentrer. Refus collectif de partir. Vers 2h du mat’, un brusque mouvement policier de matraquage-gazage repousse l’ensemble des manifestant-e-s hors du boulevard et les compresse dans un coin de la place Maubert. La réaction relativement passive des manifestant-e-s, qui sont à ce moment-là moins nombreux-euses que les flics, à base de slogans bisounours (« On veut des bisous, mais pas des coups ») ne calme pas les flics qui tabassent et gaze à cœur joie. Une manifestante est sortie de la nasse avec le poignet bien abimé... La nassent se détend peu à peu, on entend du saxo, des annonces au mégaphone. Une centaine de personnes sont réparties de part et d’autre de la nasse en soutien mais tenues en respect par une ligne de bacqueux en tenue anti-émeute avec plusieurs flashballs à la main.
#7 - Manif sous contrôle place Maubert - République
Vers 3h30 du mat’, après vote et négociations avec la police, les flics laissent repartir les gens nassé-e-s en manif jusqu’à République, sous escorte policière. A ce moment-là, 50 autres personnes arrivent en renfort de République et se joignent à la manifestation qui repart, escortée de place Maubert jusqu’à République. Tout du long, les 250 personnes scandent « Paris, debout, soulève-toi ». La manif arrive vers 4h du mat’ sur la place de la République, accueillie par la centaine de personnes qui y sont encore à cette heure tardive. Une AG s’improvise immédiatement pour déterminer les actions à venir dans les prochains jours et une résistance à une éventuelle expulsion de l’occupation.
Sept manifs en dix-sept heures, qui dit mieux ?
À toutes les personnes arrêtées, inculpées, condamnées : Solidarité et détermination.