Depuis les récents événements de Charlottesville, je vois beaucoup de militant.e.s antifascistes et de gauche réagir à la façon dont nos médias locaux couvrent l’attentat et les émeutes des suprématistes blancs. Ces réactions sont le plus souvent tournées sur le fait de vouloir faire dire aux journalistes que les fascistes qui sévissent dans ces tueries et autres attaques sont des NAZIS. Il est vrai que dans ces rassemblements on peut trouver des croix nazis et autres levées de bras symbole de salutation chez les nazis, mais doit on réellement faire notre cheval de bataille cette volonté d’utiliser le terme nazi. Une petite analyse politique et linguistique qui n’engage que moi. Je précise évidemment pour celleux qui n’auraient pas compris même après la lecture, qu’il n’est pas question ici de dire que le nazisme n’est pas grave et que désigner aujourd’hui quelqu’un qui porte des signes comme la svastika ou font le salut hitlérien ce n’est pas grave. Ce n’est pas non plus un plaidoyer libéral sur « pourquoi les nazis sont pas tous des méchants » et « il faut pas tout mélanger hein, aujourd’hui ils sont pas aussi méchants qu’avant ». Non évidemment ce n’est pas tout cela. Mais les termes linguistiques que l’on utilise renferment une arme, surtout dans notre communication avec le public pas encore très sensibilisé à l’antifascisme, et que nous devons tout faire pour que cette communication soit la plus efficace possible.
L’attentat et les rassemblements qui ont eu lieu ces derniers temps se situent aux États-Unis, lieu malheureusement emblématique (tout comme l’Europe évidemment), connu pour sa grande responsabilité dans l’esclavage et la traite des noir.e.s pendant plusieurs siècles. Le contexte est donc celui d’un pays, qui a une histoire, et cette histoire n’est pas la même que celle de la France. En effet, si aujourd’hui en France et en Europe il est particulièrement accepté que le nazisme fut, en plus de l’esclavagisme, la plus grande horreur fasciste et raciste de notre histoire, aux États-Unis l’histoire nous prouve qu’ils n’ont pas attendu Hitler pour avoir leur lot de massacres et d’organisations racistes. En effet c’est en 1865, suite à la défaite des états sudistes face au nord, que le Klu Klux Klan voit le jour et va être à l’origine de plusieurs milliers de meurtres négrophobes jusqu’à nos jours, soutenu notamment en 1920 par le président Wilson. Nous sommes donc dans un contexte où les personnes racisées vivent des attaques et ont une histoire plus ancienne que celle du nazisme.
Si aujourd’hui évidemment les idéologies hitlériennes viennent s’ajouter à celles déjà existantes, il me semble quand même un peu réducteur et même insultant de vouloir à tout prix, à nos yeux d’européen.ne.s, de vouloir apposer le sigle « nazi » à tout prix. Je n’ai vu d’ailleurs que des militant.e.s francais.e.s se battre pour ça, comme si le terme nazi était le summum de ce qu’il pouvait y avoir de plus raciste et violent. Je ne crois pas que désigner quelqu’un de suprématiste blanc soit moins impactant que de le désigner par le terme « nazi ». Il me semble que c’est une volonté de diabolisation (attention ce n’est absolument pas le propos ici de faire du négationnisme ou de minimiser l’horreur de l’holocauste, ni de dire qu’il faut être complaisant avec ces sales merdes de néo-nazis), vouloir utiliser un qualificatif qui résume à lui seul tout un tas de caractéristiques et qui à sa simple prononciation devrait nous faire frémir d’horreur me semble être un peu une paresse intellectuelle.
Ce qui m’amène à mon deuxième point, un peu plus linguistique. Ce que je veux soulever avec la phrase ci-dessus, c’est que les mots nous renvoient tous à des images et des concepts que nous nous approprions et que nous intégrons. Cependant ces mots, lorsqu’ils désignent, comme le nazisme, une réalité liée à un contexte, liée à des protagonistes, ne doivent pas être pris à la légère. En effet, vouloir faire du mot « nazisme », un espèce de bouton moral sur lequel on appuie pour faire réagir les gens, empêche de développer ce qui est actuellement la réalité. Je m’explique. Aujourd’hui les suprématistes blancs, les identitaires, gudards et autres raclures d’extrême ou d’ultra droite, ont des modes d’agissement, agissent dans un contexte politique et social bien précis, ont des victimes bien précises, qui ne sont pas les mêmes que celles du nazisme pendant la seconde guerre mondiale. En effet, même si l’on retrouve les mêmes idéologies crasses, antisémitisme, négrophobie, islamophobie, homophobie, transphobie etc. le contexte doit absolument être pris en compte pour mieux analyser qui sont nos ennemis et pour pouvoir les combattre. Or, vouloir faire du terme « nazi », alors qu’il représente déjà quelque chose de bien précis et de figé dans le temps, figé parce qu’il correspond à une période historique et à des protagonistes précis, dans la tête des gens, nous empêche de développer sur les caractéristiques précises des fascistes en 2017.
Que faisons nous de ceux qui ne montrent pas de signes ostentatoires du nazisme ? Car même ils partagent certaines idées avec cette idéologie, ils n’en n’ont pas toutes les caractéristiques. J’ai vu sur twitter quelqu’un citer le tweet de Ouest France avec en lien un très bon article qui expliquait l’histoire des suprématistes blancs aux USA et dont le titre était « qui sont les suprématistes blancs ? » avec un simple « CE SONT DES NAZIS ». Bah en fait non, on ne peut pas résumer tout ça en un seul mot. De plus je trouve ça un peu insultant pour les victimes du nazisme de n’être que des « comparaisons » à ce qui se passe aujourd’hui. Les victimes du nazismes, même si elles partagent des caractéristiques communes avec celles du fascisme actuel ne sont pas les mêmes. Développons sur qui ils sont vraiment, quelles sont leurs méthodes, leurs liens avec les pouvoirs « républicains », comment le capitalisme les protège, qui sont leurs victimes, comment met-on en place des stratégies pour les combattre etc. Mais ne tombons pas dans une paresse intellectuelle qui me semble dangereuse dans le combat contre le fascisme.
Le terme « néo-nazi » me semble être une bonne alternative, s’il s’accompagne de quelques analyses sur le caractère « néo » et qu’est ce que ça implique.