Qui a peur d’un dessinateur ? Tu le mets dans un coin avec des feuilles et un feutre, il s’amuse pendant des heures sans que n’lui vienne l’idée de te taxer ton goûter. Alors même si les caricaturistes salafistes ont l’air assez rares, faut vraiment être un foutu lâche fini à la pisse doublé d’un abruti hors catégories pour répliquer au papier par l’acier. Le ridicule tue. Et son frangin suit. Salopards.
Puis franchement, évoquer un prétexte religieux pour massacrer le monde, c’est d’un commun… Y’a qu’à ouvrir un livre d’histoire, un atlas géopolitique ou n’importe quel journal à la con pour voir que toutes les confessions le font ou l’ont déjà fait. Du moins certains individus et/ou gouvernements se revendiquant de telle ou telle marque de prophète, messie ou godiche qui trust. Résultat des courses-poursuites, la publicité comparative du panel de foi grave se transforme en « choc des civilisations » par la magie d’analystes constipés et/ou intéressés. Sans compter les nombreux confrères des humoristes assassinés qui ne trouvent rien de mieux que de dessiner nos regrettés indélébiles athées dans les nuages d’un paradis bien catho… Même pas encore enterrés qu’ils ont déjà de quoi se retourner dans leur tombe !
Ouais, si l’émotion ne prenait pas autant à la gorge, il y aurait peut-être beaucoup plus à dire sur le traitement politico-médiatique en cours que sur l’implacable imbécilité fasciste de cette boucherie loin d’être hallal (contrairement à ce que les assassins eux-mêmes semblent croire et vouloir faire croire). Le premier prix revient sans trop de surprise au culot innommable de la pitoyable Lepen proclamant son étron national « seul mouvement politique qui n’a aucune responsabilité dans la situation actuelle » (sic)… Mais beaucoup d’autres ne sont pas en reste d’hypocrisie et les louanges revêtent souvent des accents forcés d’amnésie.*
Pour ma part, tout en adressant à la rédaction et aux proches nos sincères condoléances et notre soutien au nom de la modeste revue qui est la nôtre, je ne passerais pas la brosse à reluire « post-mortem » à Charlie Hebdo. Si la même horreur était arrivée à un autre journal beaucoup plus à droite, il est fort probable que j’eusse pareillement pris le métro illico pour affirmer, place de l’Opéra, « Je suis Figaro ». Même si ça n’aurait probablement pas fait aussi mal au cœur (du moins pas complètement dans le même sens)…
La nouvelle m’a sonné –comme toi sans doute–, la glotte s’est nouée (elle l’est restée), les larmes sont montées… Mais était-ce dû au nombre de morts (on nous balance tellement de chiffres effarants toute l’année que ça en devient abstrait) et à la proximité du crime ? À la symbolique de l’acte ? À l’identité présumée des coupables ou plutôt à celle, tellement familière, d’une partie des victimes ?
Comme beaucoup, j’ai grandi avec les dessins de Wolinski et Cabu (et Willem et Siné, vétérans toujours vivants !) puis acheté Charlie dès sa ressortie du cul de La Grosse Bertha en 92… jusqu’à ce qu’il me tombe progressivement des mains dans le ruisseau. La faute à Val, au récurrent mépris condescendant pour le populo, au soutien aux bombardements de l’Otan, au Oui à la Constitution européenne, aux évictions (Lefred Thouron, Siné…), à la promo d’une décroissance de mes deux. Mais pas que. Malgré de jouissives fulgurances, le fonds de commerce l’emportait de plus en plus sur la pertinence. D’où l’impression de relire la même chose indéfiniment, en moins bien, à l’instar du Beauf de Cabu dans Le Canard ou du Pif d’Arnal dans L’Huma. Et puis peut-être parce que justement je suis athée, l’obsession religieuse du journal m’emmerdait. Y’a davantage de curés enrobés, de rabbins à frisettes et de femmes en burka dans les pages de Charlie que dans ma vie, ma cité, mon quartier excentré… Des thèmes rabâchés et bien peu inspirés aboutissant à se faire traiter « d’islamogauchistes » par des journalistes censément « de notre côté » quand on osait souligner la systématique stigmatisation raciste subie par les musulmans français. Taper sur toutes les religions, toutes les sortes de cons, bien sûr, mais quand ça revient à sempiternellement enfoncer les mêmes faciès contrôlés, les mêmes « sous-citoyens » enfants d’immigrés aux droits déjà amplement bafoués, ça commence grave à puer (l’ex-collaborateur de Charlie, Olivier Cyran, l’expliquait très clairement en 2013 dans une lettre ouverte à Charb dont, hélas, des passages prennent aujourd’hui une connotation assez peu appropriée au drame).
Et puis merde, la religion est certes l’opium du peuple, mais l’immense majorité des croyants de toute obédience s’enfume la tête sans –trop– faire chier les fumeurs passifs. Quant aux accros qui se piquent d’être des cracks de l’héro intégriste, ils restent minoritaires… ce qui n’enlève dramatiquement rien à leur dangerosité lorsqu’ils en ont davantage dans le chargeur que dans le cerveau. On l’a notamment vu en 2011 à Oslo et, mercredi, dans les locaux de l’hebdo.
C’est dur à exprimer, putain d’merde, ce sentiment de déchirement et de néant soudain plus fort qu’on ne l’aurait imaginé (mais comment aurait-on pu l’imaginer en fait ?). Si Charlie avait mis la clef sous la porte pour X autres raisons, j’en aurais rien eu à cirer vu que ça fait longtemps que je retrouve ailleurs –notamment dans CQFD– ce que j’y cherchais auparavant (à part Willem). Mais là, de cette façon là, c’est juste pas possible, pas croyable et encore moins tolérable. Charlie Hebdo ne s’arrêtera pas par le crime !
D’autant moins que, soudain, les proprios de l’information française viennent de se rappeler où trouver plein de bon pognon public dont la presse indépendante –Charlie compris– n’a semble-t-il jusqu’ici jamais entrevu la couleur.
Reste que je me sentais pas « à l’aise » au rassemblement spontané place de la République (35 000 personnes selon l’AFP, 3000 selon Al-Qaida). L’impression diffuse d’être paumé dans une foule socialement monochrome. Amélie Poulain qu’a du chagrin. Pour le coup, j’aurais aimé y rencontrer des barbus qui ne soient pas hipsters. Comme chez moi quoi. Autant dire que je pense pas réussir à faire un bon client pour « l’union nationale ». Je peux rire de tout, mais pas avec tout le monde. Pareil quand je pleure.
* À part le CAC 40 qui, en bondissant de 3,59% jeudi matin (ça a le mérite d’être très clair), montre que le Capital n’en a absolument rien à foutre de la liberté d’expression et se porte même mieux sans, merci : « L’attentat n’a pas eu lieu dans un aéroport ou dans le métro. Il ne remet pas en cause l’activité dans le secteur des transports et ne devrait pas créer dans l’opinion un choc pouvant pénaliser les ventes au détail, comme lors du 11 septembre », explique Christian Parisot, consultant chez Aurel BGC, selon Le Monde.fr