Ce que la mobilisation contre la loi El Khomri nous révèle sur celles et ceux qui prétendent mener la lutte

Un texte qui a commencé à être distribué à l’entrée des AG du mouvement contre la loi El Khomri. S’il ne vise pas toutes les personnes syndiquées évidemment, il accuse néanmoins un certain nombre d’entre elle/eux pour leur manière de concevoir la politique.

A L’OUEST, RIEN DE NOUVEAU

Dix ans après le mouvement contre le CPE, on avait presque oublié les modes de fonctionnement des syndicats et organisations politiques, et la manière dont ces modes de fonctionnement conduisent à l’échec de toute perspective de transformation sociale.

La loi Travail n’est pas seulement « un pas en arrière du gouvernement » que les syndicats nous font chanter dans les manifs (comme d’autres chansonnettes qu’on reprend naïvement depuis trente ans pour chaque nouvelle attaque capitaliste, comme s’il y avait quoi que ce soit à attendre d’autre du gouvernement, si ce n’est de disparaître). En réalité cette loi, comme tant d’autres avant elle, dont la plus récente est la Loi Macron, s’inscrit dans les logiques de société que l’ensemble des représentants politiques nous font avaler depuis les années 1970, qu’ils soient de gauche ou qu’ils soient de droite : privatisations, facilitation des licenciements, suppression des charges patronales, hausse du temps de travail, baisse des salaires, baisses des aides sociales, flicage des chômeurs et des précaires, travail des mineurs, augmentation de l’âge de la retraite, contrats précaires en série, toujours plus de flexibilité et mobilité, etc. Et tout cela sous prétexte de devoir se sacrifier pour gérer les conséquences des crises auto-générées par le capitalisme sur les finances publiques. Ils nous font payer leurs crises et leur connerie de croissance.

GROUPES D’INTERETS vs GROUPES POLITIQUES

Dans leur approche de la question politique, les syndicats étudiants utilisent leurs kits de propagande tout faits. Leur vocabulaire n’est pas celui, politique, de groupes d’opinion, mais le vocabulaire marketing-publicitaire propre aux groupes d’intérêts. Oui, car ces organisations ne défendent pas des idées, ni un projet de société, mais bien des intérêts. Ou en tout cas, ce qu’ils croient être nos intérêts, dans la mesure où ils énoncent à notre place les besoins qui sont les nôtres, comme n’importe quel politicien le ferait et comme le font d’ailleurs les députés qui ont voté la loi El Khomri au nom de « l’intérêt commun ».

Et ces intérêts, ils les négocient « branche par branche », ayant bien compris ce que le Pouvoir attend d’eux, détruisant toute pensée collective et tout mouvement véritablement unitaire, en balayant du même coup toute perspective révolutionnaire. Ils ne veulent pas changer la société, ils veulent y avoir leur place, leur « légitimité ».

COMMENT ILS DECIDENT SI T’AS LE DROIT D’EXISTER

C’est là qu’intervient la question de la « légitimité ». Comme ils défendent leurs propres intérêts, leur unique manière d’envisager le débat public consiste à invalider la parole de tou-te-s celles et ceux qui ne sont pas « des leurs ». Ces organisations ont décidé par exemple que les AG d’université devaient n’appartenir qu’aux étudiantEs. Ils nient ainsi le principe même de convergence de luttes et accordent la parole avec parcimonie aux porte-parole d’autres corps de métiers en lutte, mais uniquement si ces porte-paroles se mêlent de leurs affaires, n’organisent aucune action sur les universités et se contentent d’apporter des nouvelles positives de leurs propres AG, sans prendre part aux prises de décision des assemblées étudiantes. Si quelqu’un proposait de demander la carte d’étudiant à l’entrée de l’AG pour avoir le droit d’y participer, nos politiciens-syndicalistes s’y plieraient bien volontiers...

Mais lorsqu’ils s’agit de s’auto-organiser sans elles/eux, de proposer des actions hors de leurs cadres décisionnaires de petitEs gestionnaires de LA lutte (il/elles sont tellement peu engagéEs dans des collectifs politiques qui luttent au quotidien qu’il/elles ignorent le fait qu’il n’y a pas UNE lutte, LEUR lutte : la preuve, on ne voit jamais ou très peu ces gens dans les collectifs de soutien aux sans-papiers, contre les violences policières, contre les grands projets…) , il/elles montent sur leurs grands chevaux, exercent leur domination la plus méprisable et hurlent en bondissant sur la table : « Mais T’ES QUI pour parler ?! ». Si tu as le malheur de ne pas bénéficier d’un statut honorable (par exemple, étudiant ou travailleur) ou d’une carte d’adhérentE dans leur club d’apprentis-petit-chef, tu n’es pas à ta place dans LEURS assemblées générales.

PETITS CALCULS POLITICIENS

Ces gens ne luttent pas, il/elles calculent. Il/elles comptent. Il/elles décrètent la tenue d’une AG par semaine, pour organiser la manifestation du lendemain, dont le seul objectif est « d’être nombreux » : la « massification » comme il/elles disent. On sort à 14h, on marche, on rentre à la maison, et les organisations communiquent pour dire qu’ « elles » ont « mobilisé » tant de manifestantEs. Mobiliser est un terme militaire : il/elles voudraient qu’on soit leurs petits soldats. Et surtout, ne faire que marcher, en se pliant au crincrin apolitique de leurs insupportables camion-sono, qui empêchent toute imagination, toute spontanéité, toute créativité, toute confrontation avec l’État et le Capital, toutes ces choses bien trop politiques qui risqueraient de montrer chez eux l’absence criante d’idées politiques.

LES GROS MOTS DE CEUX QUI SE DISENT DEMOCRATES

Parlons également de la manière dont ces politicienNEs-syndicalistes conçoivent la « démocratie », ce grand mot qu’il/elles brandissent comme un poignard, comme d’autres brandissent la République et la laïcité pour justifier des discours réactionnaires sur les guerres de civilisations. Leur démocratie, c’est la pâle reproduction des schémas de domination qui font que la démocratie représentative est une négation pure et simple du pouvoir des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ces schémas poussiéreux qui expliquent qu’on soit soumis à une régression sociale perpétuelle et à une destruction progressives de toutes nos libertés.

UNE TRAITRISE BIEN CONNUE

Les politicienNEs-syndicalistes imposent qu’on élise parmi les gens qu’il/elles estiment légitime des personnes qui seraient nos « déléguéEs » ou « mandatéEs » pour parler à notre place dans des coordination lointaines où ne se rencontreront que les gens comme eux, assez légitimes pour s’arroger le droit ensuite d’aller négocier des miettes avec le gouvernement, honoréEs qu’il/elles sont de rencontrer les vrais politicienNEs qui nous gouvernent. On connaît l’entourloupe : Bruno Julliard* et ses amiEs des syndicats étudiants nous ont fait le coup déjà au moment du CPE, avant que les organisations nous présentent comme une victoire ce qui a été un échec criant pour toutes celles et ceux qui rêvaient de transformation sociale.

LA MORT DU POLITIQUE

Parler de politique avec elles/eux et vous les verrez brutalement se liquéfier, devenir fuyant, bégayer les quelques revendications stériles de leurs tracts syndicaux, totalement incapables qu’il/elles sont de concevoir autre chose que leurs petits intérêts de classe. Ce sont des apprentiEs politicienNEs, apprenant davantage la langue de bois que la critique sociale et politique. Il/elles n’ont aucune autre expérience que leurs courts CV de carriéristes, puisque personne ne les a jamais vu se battre concrètement sur le terrain, dans les collectifs politiques, contre les injustices et pour la liberté. Il/elles sont comme le vent qui souffle dans une gouttière…

Quand on politise notre propos en assemblée, les voila qui hurlent à nouveau, crient pour qu’on se taise, veulent réduire le temps de prise de parole. « Ce n’est pas une tribune politique ! » crient-il/elles, reprenant mot pour mot l’expression des juges dans les tribunaux, jugeant ceux qui ont une pensée politique et assument de poser des actes illégaux pour défendre leurs principes. La vraie politique, ça leur fait peur : il ne faudrait pas qu’on emporte la conviction de l’assemblée, puisque l’objectif pour elles/eux est uniquement de les suivre dans la rue pour gonfler les chiffres.

Et quand on essaye de leur parler de politique en aparté, il/elles nous répondent avec dédain qu’il/elles ne veulent pas nous parler, esquissent un sourire de mépris, leurs yeux se lèvent au ciel et, tout au mieux si il/elles nous ont écouté 1 minute, soupirent « t’es un idéaliste, tu crois vraiment qu’on peut changer les choses ? » Dans leur bouche, le mot idéaliste sonne comme une insulte ou une moquerie, alors qu’il est pour nous une raison de vivre, d’avancer, de croire, de tenir. Oui, on est idéaliste. Être idéaliste, c’est assumer d’être révolutionnaire. Sinon, on est réactionnaire. Et qu’on se le dise enfin une fois pour toute : les apprentis politiciens des syndicats et organisations étudiants sont des réacs en puissance. On n’a rien à attendre de ceux et celles qui deviendront des professionnels de la politique demain.

ALORS QUOI ? COMMENT ON SE BAT CONTRE CETTE LOI (ET TOUTES LES AUTRES) ?

D’abord on dégage les syndicats et organisations politiques qui ne représentent qu’eux-mêmes et ne sont que les vestiges poussiéreux d’un système qu’on veut changer. Ensuite, on organise des assemblées pour échanger informations, envies et points de vue. On organise la prise de parole pour empêcher les prises de pouvoir et réduire les dominations. On s’écoute parler. Puis on constitue des comités de grève, on se répartit les tâches en fonction de ce que chacunE veut et peut faire pour participer au mouvement. On multiplie les modes d’action sans chercher à empêcher ceux des autres : ça s’appelle la « diversité des tactiques » (principe totalement nié par les votes à la majorité pour un seul et unique mode d’action). Les unEs brûleront des banques ou feront des croches-pattes aux députéEs devant le Parlement, les autres feront des cantines publiques et monteront des caisses de grève, pendant que d’autres encore bloqueront l’université ou rejoindront les piquets de grèves des travailleur/euses d’à-côté, tandis que tout le monde se retrouvera à des moments précis pour parler politique, s’engueuler, penser l’auto-organisation et déconstruire les normes et les rapports de domination, rire et chanter des chants qui donnent envie de s’insurger contre l’ordre des choses…

Et puis surtout, on reconduit la grève d’un jour sur l’autre, sans attendre le 15 du mois suivant pour aller traîner les pieds dans une manif République-Nation pour permettre à quelques tristes ladres syndiquéEs de venir pérorer devant les caméras de BFMTV qu’il y avait « trop la masse de monde ! ».

On essaye d’être offensif, de penser comment faire chier au maximum les autorités, par la grève générale, les sabotages, les occupations, pour les mettre en défaut, les décrédibiliser, puis les renverser sans état d’âme, pour tout ce qu’il/elles infligent au peuple depuis trop longtemps par leurs décisions arbitraires.

Il existe déjà des collectifs indépendants et personnes autonomes, qui s’organisent, sont dans les luttes au quotidien et n’attendent qu’une chose, d’être rejoints pour enfin aller de l’avant, augmenter le rapport de force, ne plus accepter docilement l’inacceptable. Pas besoin de les nommer, car si vous avez été sensible au contenu de ce texte, vous les reconnaîtrez naturellement. Il/elles sont toujours là, y compris quand les syndiquéEs sont repartiEs…

Informez-vous sur Paris-Luttes.info, c’est un bon moyen, parmi d’autres, de savoir comment s’organiser « sans elles/eux ».

POLITISE TES INQUIETUDES, TU INQUIETERAS LES POLITICIENS !

Avec toute notre affection révolutionnaire,

Des personnes sans statut social valable, mais sincères et préoccupées par la recherche de liberté.

Note

Notons que Julliard est devenu en 2012 conseiller du ministre de l’éducation nationale du gouvernement Ayrault : on passe assez facilement de l’unef aux MJS (en passant par la LMDE, et avant elle, par la MNEF), puis au Parti Socialiste, l’Unef étant un incubateur d’élus socialistes...

Mots-clefs : syndicalisme jaune

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