La semaine dernière, le jeudi 17 mars, en pleine manifestation, un lycéen m’interpelle : « Bonjour ! Vous avez l’habitude des manifs ? - Oui, plutôt ! - Ah bon, parce qu’on a quelques questions ! ». De là, s’engage une discussion sur les manifestations, la lutte en cours, la loi travail et ... son lycée. Le lycée Bergson plus précisément. Le matin même celui ci a été bloqué, et - sans doute faisait-il un petit peu froid- quelques jeunes décident de faire brûler quelques poubelles. Ca crame plutôt bien (le lycéen rencontré me montre assez impressionné le « snapchat » qu’il a pris). Ça crame même tellement bien que même la police veut venir se réchauffer près du feu. Ni une ni deux, prétextant « devoir faire un passage au pompiers » ceux-ci débarquent en tenue de CRS (casques+boucliers+gazeuses+arme+etc.). S’ensuit de violents affrontements, certains lycéens sont littéralement « boxés au sol » me rapporte le jeune homme, visiblement plutôt choqué d’un tel déferlement de violence. Ce qui l’interpelle le plus, c’est le « flashball ». En témoigne sa question : « mais, en fait, le flashball, c’est quoi les règles exactement ? ». Je reste silencieux quelques secondes puis je lui réponds : « Les règles officielles d’utilisations ?! En fait, normalement, je crois que les policier ne peuvent en faire usage qu’en cas de légitime défense, en tout cas ils n’ont pas le droit de viser la tête, et surement pas à bout portant ». Le lycéen à son tour marque un temps... « Ah ... bon... parce que ce matin, il y avait beaucoup de flashball, et les policiers nous visaient vachement avec ».
Pendant la semaine, cette rencontre en pleine manifestation avec un jeune lycéen que je n’aurais jamais rencontré autrement me travaille. C’est quand même chouette la lutte ... ensemble non ? Quand même assez inquiet, je me dis que ce serait bien d’aller voir un peu ce qu’il s’y passe, devant Bergson, à la prochaine journée de mobilisation.
Aujourd’hui, 24 mars, il est 7h15, le réveil sonne, il est l’heure d’aller soutenir et surtout observer ce qu’il se passe pour les lycéens mobilisés de Bergson. J’hésite un peu, je me prive quand même d’une grasse mat’. C’est bon, je suis debout, c’est parti !
Il est 7h40, j’arrive devant le lycée Bergson, bloqué de quelques poubelles et barrières. Les grilles du collège / lycée sont décorées avec des banderoles que les lycéens confectionnent pour la plupart sur place. Ils sont quand même forts ces lycéens. On les dit manipulés d’un côté, immatures de l’autre, et pourtant, les slogans sont pertinent, et je ne vois pas à l’horizon de « manipulateurs ». Pas même le chef d’établissement, posté devant les grilles de « son établissement » l’air décidé à ne pas céder une miette de solidarité avec « ses » lycéens.
Ils ne sont pas moins d’une soixantaine devant l’établissement, mais certain-e-s sont parti-e-s chercher des poubelles, et d’autres, qui soutiennent le mouvement arrivent parfois pas avant 8h me confie l’un d’entre eux. Du coup je reste en retrait, j’hésite à prendre des photos, j’ai peur d’être pris pour un policier en civil, moi, qui vient ici observer les élèves du lycée Bergson travailler leur « citoyenneté » en Travaux Pratiques.
Il est 8h15, c’est l’heure de la sonnerie. L’heure où les lycéens rentrent d’habitude étudier auprès de professeurs qui, on en est sûrs, sont au plus proche de leurs élèves, avec les conditions déplorables dans lesquelles ils enseignent, dans toutes les Ecoles de France, sous le joug de l’austérité. Alors ici, dans le 19e arrondissement de Paris, et dans ce lycée classé 2187 / 2301 au niveau national et 103 / 109 au niveau départemental (1) on en est sur : les professeurs sont aux anges avec leurs élèves. A tel point que pas un, pas une (peut-être en Assemblée Générale à l’intérieur pour discuter de leurs modalités d’action en ce jour d’appel à la grève ?) ne sera présent-e devant l’établissement pour prendre des nouvelles, discuter, veiller sur leurs élèves qui sont observés par une délégation du commissariat du coin. En effet, alors que jusque 8h15 une seule brigade de policiers en civil (la BAC ?) était passée à hauteur du lycée, juste pour serrer la main au chef d’établissement et continuer leur route (même pas de « ouuuuuuuhhhh » de la part des lycéens, même pas de jets d’oeufs ou de papier), à 8h15, deux policiers accompagnés de deux « BACqueux » se postent juste devant l’entrée.
Comme le lycée fait partie d’une cité scolaire qui regroupe un collège et un lycée, une petite porte reste ouverte pour accueillir les collégiens. Celle ci est libre de tout blocage. D’ailleurs, même les lycéens peuvent entrer s’ils le souhaitent. Les lycéens « manipulés », « immatures », et « irresponsables » seraient-ils en fait calmes, respectueux, conciliants et intelligents à la fois ?
Un petit peu plus tard, après être passé auprès des lycéens rassemblés sur le trottoir d’en face pour les inciter à se poster devant l’entrée du lycée pour bloquer et non pas sur le trottoir d’en face, un lycéen s’empare d’un petit porte-voix et crie perché sur une poubelle : « Allé les gens !!!!! Venez devant le lycée !! On est pas venus à 7h pour ça !! Contre la loi travail !!! ». Cela ne suffira pas. Un petit mouvement des lycéen vers l’entrée est perceptible mais ils sont loin d’être fous : cinq policiers qui montent la garde avec leur proviseur qui pourrait leur en vouloir d’avoir pris part à cette mobilisation : c’est trop. Ils-Elles resteront sagement sur le trottoir d’en face à environ 150 à 200.
J’entends à côté de moi qu’en plus de la police et du chef d’établissement, il y a la peur de se prendre un oeuf qui n’incite pas les lycéens à se déplacer. En effet, pour certains il est tentant de faire aux côté des expériences de travaux pratiques de physique-chimie en autonomie (feux de poubelles), des travaux pratiques en Education Physique et Sportive ! En effet, plusieurs oeufs sont lancés ici ou là, en direction de l’entrée, ou du chef d’établissement on ne sait pas bien finalement. Ce dernier s’en prendra quand même un dans le manteau. Ce coup-ci les étudiants sont divisés : « franchement ça se fait trop pas ! Il est archi cool avec nous lui ! Ce matin il nous a même aidé à monter une poubelle !! ». J’ai du mal à le croire, mais bon... ça devait être très tôt, ni vu ni connu ! Acceptant la défaite (ça reste un TP d’EPS quand même, et les valeurs du sport c’est aussi ça - ah ah ah-), il s’en va nettoyer son beau par-dessus et reviendra se poster au même endroit, l’air de dire qu’il n’a pas peur. Il a raison : ses lycéens sont loin d’êtres méchants, mais entre temps, ils ont trouvé une autre cible plus difficile encore à atteindre (et plus motivante certainement) : les policiers qui se sont reculés d’une trentaine de mètre pour ne pas avoir à accepter la défaite à leur tour.
Cette « épisode de l’oeuf » à son importance. Car c’est au nom de ces lancés d’oeufs (ultras-minoritaires) de la part de quelques lycéens que les policiers vont mener des ratonnades. Bien décidés à faire cesser ces outrages à agent (précisons que les oeufs ne les ont pour l’instant jamais atteints).
L’atmosphère se tend devant le lycée car chacun-e sait que les policiers vont charger, reste à savoir quand, pourquoi, et pour qui ...
Il est peut être aux alentours de 9h15 quand les policiers décident de mener ensemble leur première charge. Les lycéens sont d’un calme déconcertant : pas de mouvements de foule, pas de volonté d’affrontement : finalement ils n’ont peut-être rien à se reprocher ? Les policiers eux, cagoulés pour certains et armés, sont venus pour mener une première arrestation arbitraire d’un lycéen au mauvais endroit au mauvais moment.
Suite à cette arrestation, les policier plantés au milieu des lycéens qui ne saisissent pas la porté et la gravité de la situation en profitent pour intimider. Ils ne seront que peu inquiétés par les lycéens. Ils feront mine, casqués et tendus, de se défendre d’une attaque possible et imminente (tiens tiens ça nous rappelle quelque chose...).
Suite à cela, les va et viens de la police vont être incessants et la situation va finir de dégénérer. Sur place, la situation devient stressante et pesante. L’arbitraire des arrestations et leur violence est incompréhensible. Aucun adulte ne sera là pour calmer des « adultes policiers » qui perdent les pédales face à des lycéens, qui eux, sont toujours aussi étonnants.
A peine ai-je tenté de tenir tête à un policier qui était en retrait mais protégeait une zone sur le trottoir. Taser en main, je lui ai demandé si cela ne lui paraissait pas un petit peu excessif au vu de la situation. Il m’a sèchement répondu que ce n’était pas à moi de lui dire ça (Monsieur Cazeneuve à vous de jouer !) et m’a ordonné de reculer.
Par la suite, lors des arrestations violentes, il protègera là encore ses collègues avec le taser cette fois-ci actionné (faisant des claquements dans l’air) dans une main... une gazeuse dans l’autre.
Les policiers en civil (BAC ?) mènent des opérations seuls, et sont rejoins par des policiers déguisés en CRS lorsqu’ils ont mis la main sur une « proie ». Les photos ci dessous sont extraites de vidéos très confuses que j’ai tenté de prendre. En effet, les deux arrestations se sont faites quasiment simultanément, et les policiers étaient très menaçants avec ceux qui prenaient des images. Chaque fois qu’ils tenaient un lycéen, le téléphone était confisqué et fouillé.
Par la suite les policiers semblent rassasiés et retournent à leurs véhicules. Il font des signes d’au revoir à la foule, laissant à croire qu’ils vont s’en aller. Quelques lycéens prennent alors quelques poubelles pour barrer le passage des forces du désordre qui allaient de toutes façons partir dans l’autre sens. Ils ne viendront donc pas s’y heurter.
Studieux. Les quelques lycéens absents ou n’ayant pas tout compris des travaux pratiques de physique chimie de la semaine passée on rattrapé le cours : une poubelle à pris feu. C’était aussi peut être une manière de reprendre le dessus sur une situation qui leur échappait totalement. Mais c’était aussi le meilleur moyen de faire un ultime rappel aux forces du désordre. Ils sont revenus gonflés à bloc : policiers en vélo virulents, policiers en civil (BAC ?), policier, policiers déguisés en CRS. Tous sont revenus pour une seule chose : en finir.
S’en était reparti des intimidations, des coups de menton. Irresponsables ils étaient, les policiers.
Pendant une dizaine de minutes, les lycéens repoussés en haut de la rue font face aux policiers.
Vers 11h00, la dernière charge a été celle qui a circulé sur les réseaux sociaux. La police à chargé, et se sont engagés différentes courses poursuites dont l’une à fini devant le métro Botzaris avec un coup de poing pour un lycéen molesté, mais d’autres se sont finies ailleurs, à l’abri des regards et des téléphones portables...
Peu après 11h00, les lycéens présents à Bergson ont refait surface à Place d’Italie où s’est répandu la rumeur de deux personnes dans le coma mais aucun moyen de le vérifier car si ces lycéens ont leur instinct et leur créativité pour eux, ils n’ont pas les automatismes militants et aucun moyen d’avoir des nouvelles de leurs camarades interpellés et possiblement dans le coma ou la mâchoire cassée.
Ce soir les organisations syndicales (les mêmes dont les services d’ordre coopèrent avec la police) auront beau appeler à des rassemblement contre les violences policières cela n’effacera rien.
Finalement les violences d’aujourd’hui laissent beaucoup de questions ouvertes. Notamment sur le rôle du personnel de l’établissement (notamment le chef d’établissement) mais également aussi sur la préméditation par la police de tels évènements : sont-ils venus se venger des évènements de la semaine passée où les lycéen avaient montré force, courage, et solidarité ?
Plus tard, en rentrant chez moi, à chaque abri-bus que j’ai croisé, une publicité pour l’armée qui recrute ses réservistes me frappe : on y voit un-e militaire armée qui nous regarde droit dans les yeux, en dessous, une phrase : « Je veux donner du temps pour mon pays - Marion, Etudiante ». Où était-elle ce matin ? Surement dans son lit ... pendant que d’autres se faisaient tabasser pour avoir envie d’autre chose que ce qu’on leur propose.
Vive la lutte. Vive les lycéen-ne-s de Bergson et tout-e-s les autres.
Un étudiant.