Lundi 10 avril 2023, reportage dans le secteur en lutte des énergéticien.nes de grand’maison – plus grand barrage de France. Ce texte a été complété sur des parties par des articles sur internet et des relectures.
Ils m’entrainent au bout de la nuit / les démons de l’énergie
Devant le portail où les entrées sont filtrées par les agents, le décor ne trompe pas : d’immenses banderoles syndicales, des messages revendicatifs, des pneus, des palettes contre les murets. Plus surprenant quand on entre dans le site, sous les lignes électriques de 400 000 volts qui frétillent, un trampoline, à côté de quelques personnes qui boivent un café sous un barnum, d’autres qui jouent aux fléchettes. Un autre gréviste encore slalome à toute vitesse à rollers, pendant que les hauts parleurs de l’usine diffusent de la musique des années 80.
C’est dans cette ambiance détendue que nous sommes allé.es à la rencontre des grévistes de la centrale hydroélectrique de Grand’Maison, située à 1h de Grenoble, dans la montagne de l’Oisans. On fait des battles pour savoir qui dort le plus ! , plaisantent H et C, qui nous accueillent.
Une nouvelle vie s’organise depuis plus d’un mois pour la trentaine de salariés dans cette usine où tout est surdimensionné. On dort et on mange là depuis le 6 mars, ça tourne sur la base du volontariat, selon qui peut venir et selon la vie de chacun, la vie de famille. On arrive à être une dizaine en moyenne !
H, qui bosse à EDF depuis 13 ans, se réjouit de voir le changement de mentalité qui s’opère grâce à ce mouvement social. En effet selon lui, beaucoup de jeunes débarquent dans l’entreprise sans la culture EDF, il y a beaucoup d’individualisme, chacun veut le meilleur pour lui, y a plus d’esprit d’équipe. Et avec ce mouvement, l’esprit collectif et l’entraide sont retrouvés, des liens plus profonds sont créés : même si on perd, on n’aura pas tout perdu.
Loin du rythme contraint du travail, des personnalités se révèlent, des personnes qui faisaient grève sans trop s’impliquer au début sont restées « juste pour une nuit » et qui finalement sont là toutes les nuits depuis. La force du collectif, qu’on retrouve dans d’autres endroits comme dans les blocages ou occupations d’étudiant.es, qui fait bouger les mentalités et rend possible la suite des luttes.
« 36 jours de grève, c’est mieux qu’en 1995. C’est une jolie lutte ! »
Des luttes ont déjà eu lieu dans le secteur de l’énergie hydraulique, contre la réforme des retraites à point fin 2019- début 2020, lutte menée en parallèle de l’opposition au projet Hercule [1] On était sur les 2 combats en même temps. Cette lutte a été interrompue avec le COVID.
Aujourd’hui le mouvement est plus fort ; les employés sont en grève reconductible tous les jours, alors qu’en 2019-2020 ils étaient en reconductible mais sur des jours identifiés par semaine, soit sur Hercule, soit sur les retraites.
En 2023, à la centrale de Grand’Maison, il y a 80% de grévistes. Un taux record qui évoque les grèves massives de 95.
C’est lors d’AG qui ont lieu plusieurs fois par semaine que se décide la suite de la grève : Dans notre usine on fait 1 réunion par jour. Dans le nucléaire y en a 3 par jour, à chaque relève. Les opérateurs de conduite décident de faire grève ou pas, et ce sont elleux qui décident s’il y a des baisses, et quelle baisse.
S’ils nous assurent ne pas avoir de pression de la part des chef.fes ou de la préfecture, la police a toutefois visité le site dans les premiers jours, pour filmer et constater l’occupation. La préfecture a le pouvoir de reprendre la main sur la production, mais pour l’instant il n’y a pas de menace dans ce sens.
Cependant le responsable du site, considérant la centrale hydroélectrique comme la sienne, ne voit pas d’un bon œil la reprise en main des machines par les salarié.es.