Ça fait des années qu’on explique aux gens que pour contrer le FN, il faut voter pour le « front républicain » tous les cinq ans. Des années qu’on criminalise l’antifascisme et l’antiracisme autonomes au quotidien. On voit aujourd’hui le résultat. La « dissolution » des « antifas » semble d’ailleurs être un point de convergence entre les deux candidats. On vous épargnera donc évidemment les consignes de vote.
Mais un FN aussi fort cristallise d’abord quelque chose de bien plus grave qu’un phénomène électoral et médiatique. C’est une tendance de fond, raciste et autoritaire, à laquelle on devra faire face dans les années à venir quelque soit le vainqueur de cette élection.
Car cette élection n’a pas été seulement une mascarade pour légitimer à nouveau un pouvoir à bout de souffle. Elle a été aussi, par le rôle central joué par le FN, une manière pour l’État d’envoyer un message : un message aux jeunes des quartiers populaires qui se sont soulevés ces derniers mois contre les violences policières, un message aux Noirs, aux Arabes, aux musulmans. Un message aux syndicalistes, aux lycéens, aux galériens et à tous ceux qui se sont mobilisés contre la précarité et la répression l’année dernière. Un message aux migrants, aux Rroms et aux sans-papiers. Ce message, c’est une menace. C’est : « Restez à votre place, laissez vous écraser par l’ordre économique et sécuritaire, n’essayez plus de vous organiser et de résister en dehors des clous, sinon, vous savez ce qui vous attend ».
D’ailleurs, si un pouvoir FN devait exister en France, il aurait déjà la plupart des moyens à disposition pour sévir. Dans la France de 2017, on a déjà les camps pour les migrants, les tribunaux d’exception antiterroristes, les lois islamophobes, le fichage généralisé, l’état d’urgence qui fait désormais partie du droit commun, les punitions collectives en réponse aux attentats, la banalité du recours au 49.3, la loi de sécurité intérieure, les militaires qui patrouillent dans les rues, l’impunité systématique pour les policiers assassins, les taux d’incarcération qui explosent.
La France de 2017, c’est celle des prisonniers politiques, comme Bagui Traoré, principal témoin du meurtre de son frère Adama et symbole de la vengeance d’État contre les mobilisations des quartiers populaires ; comme Kara, Nico, Krème et Damien, toujours incarcérés à la suite du mouvement du printemps dernier ; comme Georges Ibrahim Abdallah, qui entame sa 33e année derrière les barreaux ; comme les dizaines de milliers d’otages de la guerre sociale qui croupissent dans les prisons françaises.
La France de 2017, c’est celle où, à la fin de l’année dernière, en réponse aux mobilisations populaires contre la « loi Travail » et contre les violences policières, on a vu cette police qui vote majoritairement pour le FN se rassembler dans les rues de notre ville, masquée, en armes, et se diriger une fois la nuit tombée vers les lieux de pouvoir, aux cris de « La racaille en prison ! ». Sans se faire inquiéter. Sans subir les lacrymos, les tirs de LBD au visage et les coups de matraques qui semblaient pourtant être devenus les outils habituels de gestion des manifestations, notamment sauvages. Sans que les médias ne parlent de « prise d’otage » ou de « démocratie en danger ». Les différents candidats ont même rivalisé pour se montrer les plus compréhensifs possibles envers la « détresse » de ces policiers, radicalisés par l’ivresse de l’état d’urgence antiterroriste.
Pourtant la vérité c’est qu’à la tentation de l’autonomie et de l’autodéfense populaire répond la menace du coup d’État policier. Sans que personne ne l’ait dénoncé, en tout cas aucun des candidats présidentiables. Et ces franges radicalisées de la police ne sont pas seulement présentes dans la rue et les comicos. Leurs syndicats leurs offrent une caisse de résonance dans tous les médias, qui relaient systématiquement leur version des faits et passent sous silence leurs exactions, comme cela a encore été le cas lors de la manifestation du 1er mai dernier. Les députés de droite comme de gauche votent des lois pour assurer encore plus leur impunité ; la loi de sécurité intérieure donne même à la police la possibilité directe d’interférer avec l’instruction judiciaire. Les flics mettent des coups de pression putschistes, et on leur donne les pleins pouvoirs. C’est ce coup de force autoritaire, pourtant absent des débats, que cette élection vient légitimer « démocratiquement », à posteriori, dans la plus pure tradition de la Ve République.
Face à cette menace fasciste, notre force, elle est dans le camp du peuple. Pas dans les barrages électoraux mais dans les blocages, la solidarité, les formes d’autonomie et d’autodéfense populaire qu’on a réussi à construire au printemps dernier. Notre force, c’est la détermination de tous ceux qui subissent la précarité, le racisme d’État, le harcèlement policier au quotidien et depuis des décennies, c’est la résistance de Beaumont-sur-Oise et de Bobigny.
Face au fascisme, en région parisienne comme ailleurs, on n’a pas d’autre choix que de nous défendre et de nous organiser par nous-mêmes, territorialement, sans rien attendre des politiciens. Et on est de plus en plus nombreux à le penser. Aujourd’hui, être « responsable », que l’on vote ou pas, c’est s’organiser pour résister au patronat, à l’État et aux fascistes par tout les moyens nécessaires, pour redonner confiance au champ du peuple, et pour faire ravaler le plus rapidement possible son sourire à l’heureux/heureuse élu-e.
Action Antifasciste Paris-Banlieue