1944-2014 : 70 années d’architecture sociale en France – lois, contre-pouvoirs, intellectuels, émeutes

Une longue et passionnante chronologie, proposée par le Laboratoire d’urbanisme insurrectionnel, qui retrace l’histoire des politiques de logement en France, en les mettant en rapport avec les inégalités sociales. Les nombreuses initiatives de lutte — révoltes de mal-logés, actions d’associations, squats, groupes de réflexion populaires — qui ont pu s’y opposer et tenter d’améliorer les conditions de logements urbains, sont mises en avant. Ces événements sont remis dans le contexte historique national, voici quelques extraits.

70 années de politique de l’habitat depuis le premier Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme créé en 1944, ont fabriqué un système de pénurie permanente, un processus de reproduction des inégalités et de relégation spatiales dont les conséquences en 2014 irradient maints autres domaines de la société : crise exceptionnelle du logement touchant 10 millions de français, reléguant 3,5 millions de français dans des conditions de pénibilité résidentielle, 700.000 sans abri et très mal-logés dans les « zones grises » du logement, saturation des Centres d’hébergement et d’urgence…

L’article est proposé en brochure téléchargeable

Comment et pourquoi, la France, grande puissance économique, est-elle parvenue à de tels exploits ? Les historiens de l’économie urbaine - libéraux, marxistes et néo-marxistes - isolent ainsi les grandes causes de la révolution urbaine française et de ses maux, initiée après la seconde guerre mondiale :

  • La part du Produit Intérieur Brut accordée par l’État à l’habitat, le financement public étant considéré comme une donnée fondamentale ;
  • Les droits inaliénables protégeant la propriété privée, notamment foncière, entravant l’action de l’État, et pour les plus radicaux, l’héritage, moteurs des mécanismes de reproduction de la pauvreté ;
  • La marchandisation du logement social qui s’opère à partir des années 1960 par la mobilisation des banques dans ce secteur alors protégé, incitée par l’État par des mesures fiscales et juridiques ; impliquant un taux d’effort plus important pour les habitants pour se loger.
  • La relégation des marginaux, des précaires, voire des travailleurs immigrés isolés, dans des structures d’hébergement gérées par des organisations caritatives. Moralement indéfendable et plus ou moins efficace, ce système sera mis à mal dès la première crise de 1973. En 2014, l’hébergement caritatif est désormais une marchandise, un secteur de l’économie post-moderne.

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15 mai 1958
Est organisée la Journée nationale de revendication par la
Confédération Nationale des Locataires, concernant le problème crucial des expulsions de locataires et celui de la réquisition illégale.
Formulées à partir du problème du logement de nombreuses organisations ont tout au long des années 1950 incité leurs membres à agir en marge de la loi ou contre l’application de décisions prises dans les formes légales. Une lutte menée par une nuée d’associations et de comités de défense des expulsés, dont les méthodes d’action varient de la résistance ouverte au recours en justice. L’orchestration peut être spectaculaire : la famille expulsée campe dans une tente sur la place publique ou bien ses meubles sont promenés sur un camion dans le quartier avec des panneaux de propagande et un appel à se joindre au squattage programmé d’un immeuble vacant... Cet exemple, pris parmi tant d’autres, indique que les comité de défense étaient à cette époque parfaitement bien organisés.

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Décembre 1958 | la Rénovation Urbaine
Un décret de décembre 1958 prévoit la rénovation des zones anciennes du tissu urbain invitant les collectivités locales, des organismes publics ou privés à financer des opérations mais en protégeant – en principe - les intérêts des propriétaires immobiliers pouvant se constituer en associations syndicales de propriétaires.
Débute ainsi l’ « échec » français de la politique de rénovation urbaine, car sous les prétextes fallacieux d’améliorer le confort urbain et d’éradiquer l’habitat insalubre, vont s’engager de nombreuses opérations dont le résultat sera la déportation loin des quartiers historiques et anciens, des habitants, ceux appartenant à des classes populaires et peu favorisées, soit par des mesures d’expulsions sous le couvert d’expropriation, soit parce qu’ils n’avaient pas les moyens d’acquitter les loyers augmentés des nouveaux logements, soit enfin parce que le coût important d’investissement, et de temps, des opérations de rénovation urbaine exige la programmation d’autres fonctions plus rentables (bureaux, commerces, logements HLM en accession à la propriété, etc.).

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1969
Les architectes Arsène-Henry et leur associé Bernard Schoeller sont mandatés par l’office d’HLM de Montereau pour construire un immeuble expérimental réalisé, dans le cadre des prix plafonds ILN, dans la ZUP de Montereau-Surville. Les cellules sont aménagées selon la volonté des locataires. Dans chaque appartement, seules l’entrée et la gaine technique ont été implantées, charge aux locataires de concevoir le plan avec l’aide des architectes, lors de séances de travail. Au dernier étage, sur la terrasse accessible, a été installé un local collectif, lieu très prisé par les résidents qui organisent souvent des fêtes improvisées...
Plusieurs autres HLM à vocation participationniste et modulaire seront construites en France, mais ce modèle est jugé trop coûteux et peu convaincant (notamment lorsqu’un locataire remplace un autre) par les Offices et ne sera pas généralisé

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1973 | Atelier Populaire d’Urbanisme
Dans le cadre de la lutte du quartier Alma-gare à Roubaix, est créé à la suite de l’Organisme régional pour la suppression des courées de la métropole Nord (Orsucomn), l’Atelier Populaire d’Urbanisme (APU), un collectif regroupant habitants du quartier (56 % de français, 26 % d’origine algérienne ou marocaine, 18 % d’Italiens, Espagnols et Portugais) et militants dynamiques et omniprésentes de la JOC-APF. Son slogan est clair : « L’APU ne représente pas les habitants, il est les habitants ». Il est ouvert à Tous, la seule condition est d’ « habiter le quartier et vouloir se battre pour y rester. »
Des réunions ont lieu chaque mercredi. Ils décident collectivement et des actions à mener, organisent le blocage des loyers, ré-occupent des courées vides, luttent contre le pillage des maisons inoccupées destinées à être démolies, tentent d’empêcher l’oeuvre des bulldozers, construisent des aires de jeux pour les enfants, etc.

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Janvier 1993 | l’Impératif de la Régulation
Publication du rapport de François Geindre, maire PS d’Hérouville-Saint-Clair au premier ministre Bérégovoy. Ce rapport intitulé « Le logement : donner l’envie d’y rester et la possibilité d’en changer » met en évidence les catégories « d’exclus de l’accès au logement social » : les titulaires du RMI, les familles monoparentales titulaires de l’Allocation de parent isolé (API), les salariés précaires et les étrangers. Le rapport préconise notamment la création de programmes départementaux d’accueil et d’un fonds départemental unique « logement-solidarité ». Parmi les nombreuses grandes lignes proposées, celle-ci est particulièrement remarquée :

« L’impératif de régulation dans le cadre de l’économie de marché ne signifie pas qu’il y aurait deux secteurs : un secteur ‘’libre’’ ou l’État s’exonérerait de toute responsabilité pour laisser fonctionner le seul marché et un secteur social administré qui serait totalement soustrait à l’influence du marché. La régulation doit s’étendre au secteur privé, l’influence du marché agit quant à elle sur certains aspects du secteur social. »

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1er août 2003
Promulgation de la loi 2003-710 d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine. La loi instaure un Programme Nationale de Rénovation Urbaine (PNRU) de construction de 200.000 logements locatifs sociaux, 200.000 réhabilitations ou reconstructions lourdes, 150 à 200.000 démolitions de logements vétustes ; la création d’un Observatoire nationale des Zones urbaines Sensibles et d’un nouvel établissement L’agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), placée sous la tutelle du ministre chargé de la politique de la Ville, Jean-Louis Borloo.

Les opérations de démolition d’immeubles HLM, voire de quartiers entiers considérés comme trop sensibles, souvent réclamées par les bailleurs et les collectivités locales, sont au contraire jugées inefficaces (on déplace le problème), injustifiées et certains critiques évoquent une véritable provocation vis-à-vis de la crise du logement. Souvent, les habitants se déclarent émus après le dynamitage de leur immeuble où ils ont vécu leur enfance.

[…]

26 août 2012
De nouveaux bidonvilles ont resurgi en France depuis plusieurs années, habités par des sans abri et pour les plus imposants par des Roms venus pour la plupart de Roumanie et de Bulgarie dans des conditions de grande précarité. Une circulaire interministérielle propose un cadre de référence pour « évacuer les campements illicites », avec la prise en compte avant l’évacuation des besoins des personnes présentes dans le bidonville par l’instauration de diagnostics individuels, via les collectifs et associations humanitaires. Dans les faits, les associations notent que ces dispositions ne sont guère pratiquées.

[…]

Lire l’article entier sur le Laboratoire Urbanisme Insurrectionnel http://laboratoireurbanismeinsurrectionnel.blogspot.fr/2014/04/1944-2014-70-annees-dhabitat-public-70.html
ou télécharger la brochure (plus lisible) au format PDF https://drive.google.com/file/d/0B4Kj8OVdRQJwRFo1alhpTi1ObEU/edit?usp=sharing

Mots-clefs : logement social

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