Il y a à peine un an, au sortir du premier confinement, une centaine de collectifs en lutte répondaient à un premier appel à agir « contre la réintoxication du monde » [1]. Puis les 17 novembre et 17 avril, malgré les restrictions sanitaires, cette constellation d’habitant-e-s, de paysan-ne-s, d’activistes persévéraient et renouvelaient leurs actions aux quatre coins du pays. Par leurs blocages, leurs rassemblements, leurs occupations, leurs irruptions dans l’espace public, en un mot leur résistance, ils et elles dessinaient une voie vers un monde s’émancipant des logiques marchandes et industrielles mortifères.
Aujourd’hui, alors que la crise COVID semble s’atténuer mais que la méga-machine repart de plus belle, nous appelons une nouvelle fois à agir, le 17 septembre, partout sur le territoire contre les sites et projets destructeurs du vivant et des solidarités sociales. Car tandis que la crise du sanitaire s’atténue, avec elle disparaissent aussi les promesses d’un « Monde d’Après », s’extirpant de l’impasse de celui d’avant. Que ce soit par des plans de relance industrielle sans aucune remise en question, ou la nécessité fumeuse de rembourser une dette fictive, la classe dirigeante mondiale est unanime : il faut que la sacro-sainte économie reparte, vite et fort.
L’impératif de s’y soumettre coûte que coûte s’accompagne d’un zèle renouvelé à réprimer tout ce qui y ferait obstacle. On a vu, malgré les oppositions populaires, l’apparition d’un nouvel arsenal « légal » qui piétine allègrement la liberté de manifester, celle de la presse et ouvre la possibilité d’expulser sans procédure toute occupation de logements vacants et de zones menacées. Le sentiment d’impunité policière est dorénavant encouragé au plus haut niveau de l’État. Après une année pendant laquelle se sont développés des mécanismes de contrôle inédit au nom de la crise sanitaire, le gouvernement agit comme si les habitudes de soumission devaient durer toujours et s’étendre à l’entièreté du champ social.
À celles et ceux qui croyaient encore qu’une loi climat pouvait améliorer la situation, les débats parlementaires du printemps ont répondu par une gifle. Main dans la main, lobbies et gouvernant-e-s ont méthodiquement détricoté toute mesure limitant l’entreprise de destruction en cours. Freiner les implantations de l’ogre Amazon ? Poubelle. Arrêter les extensions d’aéroport ? Surtout pas. S’en prendre à la bétonisation, à la vente de voitures les plus polluantes, à la publicité, aux engrais azotés, aux pesticides ? Plus tard, peut être, ou bien jamais [2].
Le message est limpide : il y aura toujours de l’énergie du côté des gouvernant.e.s pour nier l’urgence à agir, jamais pour s’attaquer aux industriels et aux financiers et à leur responsabilité — pourtant abyssale — dans la catastrophe écologique.
Pourtant, loin des ministères et des sièges épais du CAC40, hors du champ des micros d’une sphère médiatique en roue libre, il s’en passe des choses... pour peu que l’on s’y intéresse. Ici, des dizaines de collectifs émergent, à Rouen, à Argenteuil, à Lyon… pour en finir avec la culture de la catastrophe industrielle tolérée, pour empêcher de nouveaux Lubrizol, de nouveaux AZF [3]. Là, un mouvement national, les Soulèvements de la Terre, occupe et cultive des zones menacées d’artificialisation par des projets de route, d’urbanisation, d’extension de carrières de sable [4]. À Saclay ou encore à Aubervilliers, de nouvelles ZADs naissent contre la destruction de parcelles agricoles et de jardins ouvriers par le Grand Paris, la spéculation immobilière et le saccage olympique. Une zad souterraine apparaît face à une carrière de Béton dans le Var, et la ZAD du LIEN revient sur un projet routier près de Montpellier. D’autres collectifs, enfin, comme à Grandpuits ou à la Chapelle-Darblay rassemblent syndicats et associations écologistes pour travailler concrètement aux reconversions de certains sites de production [5]. Ils développent des activités autrement plus respectueuses du vivant, et empêchent ces entreprises de laisser les salarié-e-s sur le carreau tout en rémunérant grassement leurs actionnaires en pleine crise [6]. Ils nous rappellent à l’urgence de penser, avec les travailleurs des secteurs les plus toxiques, les mutations possibles des activités, les réappropriations des lieux de travail, ainsi que les rapports de force à engager pour garantir des ressources et droits pendant les périodes de transition.
Partout, localement, des foyers de résistance se multiplient et émergent là où les industriels souhaitent étendre leur emprise. C’est bien simple : ils ne peuvent plus bétonner en rond ! Face à des instances gouvernementales hors-sol, c’est au plus proche de nos territoires de vie et de luttes que nous avons arraché un nombre croissant de victoires ces dernières années. Que ce soit via des occupations de terre, des recours juridiques, des ZADs, des rassemblements : des centaines de collectifs poussent, tels des plantes vivaces en rhizome [7]. Chaque fois qu’ils en déracinent une, d’autres naissent, et gagnent du terrain. Rien que ces derniers mois ont été enterrés le projet d’extension de l’aéroport d’Andorre, le projet de ferme-usine à Ossun, le projet de Surf Park à Saint-Père-en-Retz, les plans d’entrepôt Amazon en Alsace ou de contournement Est à Rouen. Les Jardins de l’Engrenage à Dijon ont déjà repoussé par deux fois les tractopelles et la police. L’extension de l’aéroport de Roissy, la bétonisation des terres de Gonesse, du Carnet, des Vaîtes à Besançon ou le projet de stade de Chambly ont eux aussi subi de sérieux revers et sont aujourd’hui largement remis en cause : autant de cas qui démontrent la force de nos mobilisations collectives.
Et qu’on ne s’y trompe pas : chaque victoire, chaque projet enterré, chaque terre préservée façonne la suite. Car ces terrains défendus avec acharnement et finalement préservés peuvent aussi chemin faisant devenir des places fortes, des lieux d’expérimentation et de création d’autres modes de vies. Des lieux qui démontrent en pratique l’adage « Créer c’est résister, résister c’est créer ».
Alors nous serons au rendez-vous le 17 septembre prochain pour montrer la force de ce mouvement de fond. Cette 4e vague d’actions coordonnées « contre la réintoxication du monde » aura lieu de manière concomitante à la venue d’une grande délégation zapatiste en Europe. L’expérience des territoires autonomes du Chipas, née du soulèvement de 1994, est une source d’inspiration inépuisable pour toutes les luttes qui souhaitent réellement reprendre du terrain à l’« hydre capitaliste ». Nous espérons que leur « voyage pour la vie » participera à démultiplier le désir d’actions collectives pour ce 17 septembre.
Nous poursuivrons notre élan avec les dynamiques de Notre Maison Brûle, prévoyant des mobilisations locales chaque jour du 18 septembre au 3 octobre, et des Soulèvements de la Terre, entrant dans une seconde saison d’occupations de terres et blocages contre l’accaparement et l’empoisonnement des sols par l’agro-industrie. Avec elles et eux, nous persisterons, récidiverons, et nous implanterons partout où il le faudra. Collectivement, durablement, car nous savons à quel point ces luttes sont un travail de fond. Puisque ce Monde d’Après tant rêvé ne nous sera pas donné par quiconque, c’est en allant gagner cette multitude de batailles de terrain que nous allons le construire, ici et maintenant !
Nous appelons donc une nouvelle fois les habitant.es des villes et des campagnes à informer et accentuer localement la pression sur les secteurs qui leur semblent le plus évidemment empoisonnants et dispensables : cimenteries, usines de pesticides ou productions de gaz et grenades de la police, industrie aéronautique, publicitaire ou construction de plates-formes Amazon, unités d’élevage industriel, développements de l’industrie nucléaire, clusters développant le monde « sans contact »... Nous appelons en ce sens le 17 septembre à une 4e série d’actions, blocages, rassemblements et occupations contre de tels lieux de production, chantiers et infrastructures.
Nous invitons les organisations, réseaux, territoires en luttes, syndicats et groupes locaux qui le souhaitent à signer cet appel en écrivant à agir17@riseup.net
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