Un CR des manifs sauvages du 18 mars à Paris. Quelques réflexions sur la forme du mouvement social nocturne, et sur les manières de nous renforcer.

Où on raconte quelques manifs sauvages du 18, tout en se permettant quelques analyses issues de diverses discussions avant, pendant et après cette manif et les autres depuis jeudi 16, mais aussi de l’observation de l’évolution de celles-ci en quelques jours.

Salut, on se permet une petite contribution aux CR d’hier soir, samedi 18 mars 2023.

D’après nous il y aurait eu au moins 3 manifs successives à Place d’It.
Place d’It 1 massive avec les syndicats est partie en sauvage à porte de Choisy. On y était pas.
Place d’It 2, pendant que porte de Choisy brûlait, gros feux sur la place d’It. On arrive là. D’autres arrivent en même temps que nous « Il se passe quoi ? », on ne sait pas trop. Un gros feu commence à prendre sur la route au milieu de la place. Un premier camion de pompier arrive, les manifestant.es le repoussent. Ils partent sur le côté attendre les flics. De nombreuses passant.es se joignent à la foule. Les flics arrivent au bout de 20-30 minutes. Ça part en sauvage dans une rue adjacente, sans commerce et un peu trop calme. La BRAV charge à moto, à plusieurs reprises, créant quelques mouvements de paniques. On les entend crier entre eux « Tous ceux qui ont une capuche, tu leur enlève »… Pour les interpeller ou pour les tabasser ? « On y va et on décapite »… La manif ou les personnes ? La manif revient à Place d’Italie, repart dans la rue Blanqui. Entre temps, des flics sont arrivés. Quelques autres feux prennent. Les tonnelles du marché sont mises à terre au milieu de la route pour retarder la progression des flics. Ils finissent par nasser rue Blanqui. Une partie des gens esquive quand même la nasse. Font le tour, reviennent place d’Italie.
Place d’It 3. Pendant ce temps la foule afflue encore à Place d’It. C’est le bordel, les flics font des lignes pour empêcher les manifestants de revenir sur la route, les pressent contre l’entrée de métro. La Brav avance. On retrouve des gens de la manif 1, de la manif 2. « T’étais où, toi ? T’es arrivé à quelle heure ? ». On se raconte, « nous, on était à porte de Choisy, c’était le feu ! », « moi je viens d’arriver », « moi je suis resté à Place d’Italie tout le long, c’était le bordel ! ». Les tags qui appelaient à la « gilet jaunisation » du mouvement voyaient juste. Le mouvement, largement encadré et porté par l’intersyndicale pendant de longues semaines, déborde désormais ses cadres. Ce qui se passe les soirs rappelle l’ambiance du début des gilets jaunes, et ça, ça fait plaisir. Ce sont des groupes spontanés qui se forment, se recomposent, mobiles et inattendus, les flics sont débordés, font des allers-retours dans le quartier, ne savent pas où attendre un mouvement qui ne sait pas lui-même à l’avance où il va surgir.
Une partie de la foule prend alors le métro, c’est ce qui nous est suggéré de faire, non ? Ca part en sauvage dans le métro. Ça crie et ça chante, tout le monde se suit, on prend la 7. Plusieurs rames sont complètement remplies de manifestants. On se retrouve avec plein de personnes qui viennent manifester pour la première fois. Pas mal de jeunes de quartiers.

Deux copains rencontrés sur place qui viennent du fond de la banlieue et ont passé la journée à chercher des manifs, se sont fait contrôler 5 fois. Grosse convergence de la haine anti flic dans le métro, « nique la bac ! nique les schmitt ! » sont écrits partout au marqueur dans la rame.
Petite anecdote sympa aussi, d’une personne avec qui on a aussi passé un bon bout de la soirée : deux frangines se faisaient un resto tranquille dans le 13. Après leur repas vers 20h30, elles sortent du resto, mais en plein milieu d’une charge de la BRAV. Une des frangines est embarquée, l’autre trop véner rejoint les manifs et y reste jusqu’à la fin, beaucoup plus loin dans Paris.
Ces quelques bribes de discussions avec des manifestants rencontrés au détour d’une manif sauvage montrent bien comment la tournure que prend le mouvement permet de rassembler largement des personnes qui jusqu’ici ne participaient pas au mouvement. À la fois parce qu’on se rassemble aussi dans cette lutte contre la répression et la violence des flics, qui concerne les militants, mais aussi et d’abord des personnes racisées, qui vivent en banlieue, dans des cités, ou simplement qui, en se trouvant au mauvais endroit au mauvais moment, veulent subitement en découdre avec les FDP.
Aussi, parce que le mode d’action « manif sauvage » et cramage de poubelles mobilise des personnes qui ne se bougeraient pas pour une manif plan-plan portée par l’intersyndicale. Des personnes qui ne peuvent pas faire grève. En se retrouvant, le soir, on croise des gens qui sortent du taff, bien sapés, qui venaient voir et ont été happés par l’énergie du mouvement. Ça permet de répondre à celles et ceux qui disent trop souvent qu’ils sont contre les actions plus déter, contre les manifs sauvages, contre les tags ou contre ceci, parce qu’il faudrait attendre que le mouvement massifie d’abord, pour, ensuite, pouvoir faire de telles actions. Ici, on voit bien que c’est au contraire parfois le fait de faire ces actions plus déters qui massifient elles-mêmes, qui font que ça ambiance des gens. Vive les manifs sauvages !

Bref, on descend à Place Monge. On chante encore dans les couloirs du métro, les publicités sont arrachées. Une grosse barricade enflammée est érigée à base de poubelles et vélib dans la rue Monge. Puis on part en courant dans les escaliers qui mènent rue Rollin. Il y a bien plus de poubelles que dans la rue Blanqui. Super !
Les poubelles sont renversées, enflammées. On remonte la rue Rollin qui est en feu, jusqu’à la rue Mouffetard. Ça y est, la BRAV arrive, à toute vitesse, en moto. D’autres barricades sont érigées avec les poubelles, les commerçants s’énervent, éteignent quelques feux avec des extincteurs. Ils nous prennent à partie avec véhémence.
On voit là se manifester les intérêts de classe contradictoire. Un certain nombre de commerçants et restaurateurs étaient déjà les premiers à râler contre les poubelles, ce sont eux qui réclament souvent des mesures répressives de lutte contre les incivilités. Aujourd’hui, ils ne se solidarisent pas du mouvement, dès lors que celui-ci leur fait perdre du chiffre d’affaires, nuit à l’image de marque de leur rue ou quartier, et sème la pagaille dans les rues alentour. Vraiment, on a vu ce soir comme ils n’étaient pas nos alliés, comme ils étaient prêts à balancer. Faites gaffe, donc.
Quelques interpells à ce moment, d’après les images visionnées a posteriori. La foule se disperse vers le Panthéon.
En parallèle manif sauvage à Châtelet.
En parallèle dispersions rapides de la Concorde, ça devient tendu là-bas.
En parallèle manif sauvage rue de Lappe à Bastille, moins importante il semble.

En termes de répression, les plus présents dans les manifs sauvages, c’est sans beauoup de surprise la BRAV. Comme quoi c’est vraiment l’arme ultime de la police dans ce mouvement éparpillé !
En débriefant avec des personnes, on a réfléchi à quelques moyens pour les gêner un maximum :

  • De quoi crever les pneus sur les routes par exemple. Mais attention à ce que ça ne soit pas trop dangereux pour les pieds des manifestant.es.
  • Ou de quoi les faire glisser, déraper ? Ca semble peu pratique de se trimballer des sacs de gravillons ou des bidons d’huile de vidange, des billes (?) mais c’est une piste.
  • L’utilisation de lasers dans leurs visières, comme dans celles des CRS d’ailleurs, peut être très utile. Dans le même genre, des frontales puissantes, avec un mode stroboscope c’est encore mieux, les paralyse en cas de manifs nocturnes. Ca marche aussi avec les camions de pompiers qui viennent éteindre les feux. Les blocages de raffineries sont évidemment l’arme ultime, et on espère que ça va durer pour que les flics soient en pénurie d’essence (ça s’était vus, dans certaines villes, lors de la précédentes pénuries).
  • Les barricades les gênent énormément. La plupart du temps ils sont obligés de s’arrêter pour retirer les barricades. On a vu des vidéos de la BRAV balancer violemment sur le trottoir des barrières utilisées pour des barricades, Ils avaient l’air énervés de devoir faire du rangement.
  • De même, les rues les plus bondées, où il y a le plus de commerces et de bars sont très dures à encadrer. Les quartiers gentrifiés de l’est les feraient galérer à mort. On se mêle à la foule et ils ont du mal à distinguer qui sont les manifestants ou non. C’est bien plus rassurant et drôle que sur les grandes places vides comme Concorde. Et en même temps ça visibilise la manif auprès des promeneurs, parfois choqués, parfois enthousiastes. Ça visibilise la bordélisation.

De manière générale, il paraît pertinent d’organiser des manifs dans les quartiers où les poubelles ne sont pas ramassées, de nous renseigner à l’avance sur les arrondissements concernés, et de nous y diriger en priorité. Dans cette guérilla urbaine, amenons l’ennemi dans des zones où nous sommes en position de force (commerces, badauds, poubelles).
À très bientôt, dans les rues !

Quelques participant.es de la guerre sociale.

Localisation : région parisienne

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