Lors de la manifestation du 1er mai 2016 à Paris, vers 16h, les CRS ont commencé par diviser la foule à hauteur de la caserne de Reuilly, puis un groupe de gardes mobiles s’est déployé sur les bords du cortège alors que les manifestant-e-s était déjà passablement énervé-e-s par leur présence agressive depuis le début de la manifestation. Les forces de l’ordre ont été régulièrement exortées à partir, mais leur hiérarchie a jugé utile de les laisser dans cette posture provocante et dangereuse.
Vers 16h10, et alors que la foule était encagée et ne pouvait donc pas quitter les lieux, les CRS ont subitement gazé et lancé une dizaine de grenades de désencerclement en moins d’une minute, de manière offensive, occasionnant un mouvement de panique et blessant gravement plusieurs personnes. Un journaliste, qui a reçu un plot de caoutchouc au visage, a failli perdre son oeil. Il a diffusé la photo de son visage sur les réseaux sociaux.
À quel moment ça s’est passé ?
Il s’agissait d’un moment particulièrement chaud où la manifestation progressait lentement sur le boulevard Diderot.
Suite à une provocation policière, les flics ont arrêté la manif entre la rue Chaligny et la rue de Reuilly. À ce moment là, les flics ont attaqué d’abord avec des bombes lacrymogènes. Il s’agissait de CRS principalement, mais aussi de membre de la Compagnie d’Intervention Territoriale.
Mais très vite, ils ont envoyé des grenades de désencerclement en rafale. Plusieurs dizaines à priori dont une grosse série de 10-15 enchaînées en moins de 30 secondes. C’est sans doute à ce moment là que la personne a été blessée.
La situation était très tendue car les flics nous acculaient dans un espace très limité. Ainsi, on essayait de fuir la police mais on se heurtait à la foule qui s’entassait. Il n y a pas d’issue sur le bord du boulevard Diderot. A un moment, les gens ont essayé d’ouvrir une brèche dans un chantier jouxtant la caserne de Reuilly afin de sortir du piège. C’est à ce moment là que les flics ont chargé.
De plus il est à noter que plus on s’éloignait de la police, et plus les jets de grenades de désencerclement s’effectuaient « en cloche ». C’est à dire qu’ils arrivaient à hauteur de visages. Au moins une grenade a été envoyée dans ce mode. Une des dernières de la série.
Vidéo : Doc du réel
C’EST QUOI CES GRENADES ?
Les grenades appelées communément "grenades de désencerclement" sont arrivées dans la panoplie du maintien de l’ordre en 2004, quand Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, s’est employé à doter les forces de l’ordre de nouvelles armes "non létales" : Flashball Super Pro, Taser X26, etc.
"Dispositif Manuel de Protection" est le nom officiel de ces grenades. Une note du directeur central de la sécurité publique du 24 décembre 2004 encadre leur utilisation et stipule que « les dispositifs manuel de protection ne doivent être employés que dans un cadre d’autodéfense rapprochée et non pour le contrôle d’une foule à distance ».
Les grenades de désencerclement sont en effet constituées de 18 plots de caoutchouc de 10 grammes projetés à 126 km/h sur un rayon de 30 mètres autour du point d’impact. L’explosion en elle-même émet une détonation de 160 décibels
Plusieurs fabricants produisent ces grenades : les entreprises SAPL (pour Société d’Application des Procédés Lefevre), SAE ALSETEX et VERNEY-CARRON. Mais le principal fournisseur de l’État reste SAPL, dont on peut apercevoir le nom sur les enveloppes plastifiées retrouvées sur le sol après la manifestation (photo : G)
Selon le modèle et le fabricant, elles peuvent porter différentes appelations : DBD (pour Dispositifs Balistiques de Dispersion, fabriqués par Alsetex et Verney-Carron), DMP (fabriqués par SAPL) ou DMPL (fabriqués SAPL et Verney-Carron, mais dotés d’une charge de gaz lacrymogène CS concentrée à 20%).
AUTOPSIE D’UNE GRENADE DE DESENCERCLEMENT
La grenade est composée de 18 plots de caoutchouc semi-rigides de couleur noire, maintenus par une enveloppe de caoutchouc souple (photo : F) et fixés sur un cylindre en caoutchouc semi-rigide (photo : D), lui-même fixé sur un cylindre central en plastique dur de couleur blanc et rouge, fileté à l’intérieur pour venir se visser sur le bouchon déclencheur (photo : B et C).
Au centre de la grenade se situe le détonateur composé de TNT et amorcé par le percuteur situé à l’intérieur du bouchon déclencheur, lui-même constitué de plastique blanc recouvert de caoutchouc noir.
Ce bouchon déclencheur contient des éléments métaliques (photo : A) qui se séparent régulièrement de leur support et sont propulsés alentour, occasionnant de nombreuses lésions dans la chair des personnes blessées. Le centre de la grenade, qui contient le détonateur, éclate également en fins copeaux de plastiques durs qui peuvent également venir se ficher dans les chairs.
Le détonateur est amorcé lorsque la goupille est sortie de son trou et lorsque la main relache le levier (photo : H). A cet instant le policier a 1,5 secondes pour lancer la grenade, sinon quoi elle lui explose dans la main.
L’étiquette collée sur l’enveloppe (photo : E) indique également les conditions d’utilisation des grenades de désencerclement, qui en plus d’être réservées à la défense (et non à l’attaque comme ça a été le cas lors de la manifestation du 1er mai) doivent être lancées de manière à rouler sur le sol, et en aucun cas en cloche les bras levés par dessus l’épaule. Autant dire que cette règle n’est que rarement respectée par les forces de l’ordre.
CONSEQUENCES
Il n’est pas question ici de suggérer une meilleure utilisation de ces grenades, ni de demander le remplacement de ces armes par d’autres, mais seulement d’informer sur leur fonctionnement, leur cadre d’utilisation et leur dangerosité.
Il va de soi que l’utilisation d’armes à effet de souffle comme ces grenades ou d’autres (GLI F4 « assourdissantes » ou OF F1 « offensives ») contre des personnes civiles et non armées - et il n’est pas inutile de rappeler ici qu’un pavé, un baton, une bouteille, un pétard ou n’importe quel projectile qui n’a pas été usiné comme une arme n’en est pas une - est un acte criminel, dont la finalité n’est pas tant de dissuader, mais de faire mal et de blesser.
Les forces de l’ordre sont le bras armé de l’État. Hier, par leur violence et leur obstination à entraver la progression la foule, elles ont démontré une fois encore qu’elles sont la milice du capital et, par là, une force opposée au peuple et contre-révolutionnaire. Rien de neuf sous le soleil...
Plus d’infos sur les armements du maintien de l’ordre sur : http://desarmons.net/