Soutenir l’autodétermination du peuple kurde sans oublier la résistance syrienne au boucher Assad

Dans un contexte où des Syriens et des Kurdes vont s’entretuer au seul profit des dictateurs, la question du soutien de la gauche française aux Kurdes des YPG divise, car il relève parfois d’une indignation sélective invisibilisant la résistance syrienne contre le boucher Assad.
En faisant le pari que les lectrices et lecteurs sont aptes à se faire une opinion par eux·elles-mêmes, ce méta-article fait le choix de ne pas discuter des coalitions de circonstance liées aux nécessités de la guerre. Il se contente, au contraire, de regrouper quelques liens vers des lectures utiles et appelle à un soutien au peuple syrien opprimé.

La polémique

« Mise au point sur l’agression turque au Rojava » est un article du collectif Agitation autonome, publié le 17 octobre 2019, qui contient également une republication de « Le point d’explosion de l’idéologie au Kurdistan », datant de mai 2018, par le collectif Solitudes intangibles. Ils sont le point de départ d’une réactivation d’une polémique concernant une gauche qui manquerait de nuance : sa tendance au « campisme » et sa porosité à la propagande d’État. SortirDuCapitalisme y a consacré une de ses dernières émissions radio également : « L’offensive turque au Rojava, un décryptage ».

Le premier article a été également publié dans Lundi matin du 22 octobre. Ce qui a donné lieu rapidement, sur ce même média, à un droit de réponse extrêmement énervé du Collectif des combattantes et combattants francophones du Rojava (CCCFR) : « Réponse aux idiots utiles de l’invasion turco-djihadiste » qui lui-même a donné lieu à une contre-mise au point : « Briser les frontières : pour une analyse conséquente du conflit syrien » par Agitation autonome, publiée le 28 octobre 2019.

Ils/Elles en ont parlé

Les liens suivants donnent une idée de comment ce débat a été relaté sur divers sites web.
On peut lire sur :

  • lundi.am a présenté « Réponse aux idiots utiles de l’invasion turco-djihadiste » par :

    Ce lundi, nous publiions un article intitulé « Mise au point sur l’agression turque au Rojava » qui annonçait « clarifier un certain nombre de points d’aveuglements d’une certaine gauche française quant à la situation actuelle au Rojava ». Il s’agissait de prendre en compte la réalité des populations syriennes au moins autant que celle des Kurdes qui se retrouvent bien malgré eux sous le feu des projecteurs, en particulier depuis l’invasion turque. Une réponse incisive à cet article n’a pas tardé à nous parvenir, signée par le Collectif des combattantes et combattants francophones du Rojava (CCCFR) et qui revient sur un certain nombre d’affirmations de la « mise au point », pour défendre clairement les positions des YPG Unités de défense du peuple » au kurdistan syrien).

  • grozeille.co a publié une retranscription de l’émission sortirducapitalisme, en l’introduisant comme suit :

    La situation, déjà compliquée, est allée en se complexifiant alors que les logiques de guerre se font sentir et que les jeux d’alliance bougent. Il n’est pas facile de se faire un avis sur la question, comme en témoigne la lourde opposition entre deux positions que l’on peut retrouver ici et là.

Le même site écrivait récemment dans « Soutien à tous les révolutionnaires en Syrie ! » :

Alors que le Rojava est encore sous les bombes et que les initiatives de solidarité se multiplient, nous recevons et publions ce texte qui fait le point de manière plus générale sur la situation des révolutionnaires en Syrie.
Le sentiment de l’auteur étant que, s’il est tout à fait urgent de soutenir activement la révolution en cours au Rojava face à ses oppresseurs, il n’en faut pas pour autant oublier les révolutionnaires syriens, qui subissent aussi une intense répression à Idlib.

Pour contextualiser ces prises de position ou ces non-prises de position, il convient de rappeler que :

  • l’extrême gauche a souvent ignoré l’insurrection populaire syrienne, démarrée en 2011, contre le régime Assad
  • les souverainistes, qu’ils soient mélenchonistes, confusionnistes rouge-brun ou autres protagonistes de la fachosphère, considèrent tout simplement Assad et Poutine comme des dictateurs respectables donc, au mieux, la question ne se pose même pas, au pire, elle se résume à un complotisme crétin « l’Armée syrienne libre est une construction islamo-djihadiste de la CIA (et de Laurent Fabius ?) ».
    Par ailleurs, tout élément à charge contre Assad, documentant les exactions de son régime, est assimilé à de la propagande au même titre que la fiole de Colin Powell à l’ONU. On n’a pas oublié le cas du chroniqueur du Média dans Naufrage du journalisme alternatif qui, comme le ferait un vulgaire soralien, retweet aussi bien du Panamza que des logos « ISISraël ».
  • lundi.am a beaucoup documenté la résistance anti-Assad, notamment dans ses articles tagués En route ! et, dans une moindre mesure, International
  • il y a beaucoup de liens à explorer dans les deux articles d’Agitation autonome et l’article de Solitudes intangibles, comme ceux concernant l’autogestion des insurgés syriens, par exemple ici sur Contretemps « Syrie, révolution, autogestion » et cette brochure hébergée sur editionsantisociales.com « Sous le feu des snipers, la révolution de la vie quotidienne »

N’oublions pas les Syriens et Syriennes opprimés

Pour ceux·elles qui n’auraient pas le temps de lire tout ça, au moins savoir qu’entre les récents bombardements russes d’Idlib, les récentes manifestations contre le régime d’Assad à Idlib et Deir Ez-Zor et la récente grève générale à Manbij, des arrestations par les milices du régime syrien, ont lieu en ce moment même. Et Assad, comme le rappelle un récent article de Libération « Torture en Syrie », c’est ça :

La « chaise allemande » et le « tapis volant », qui broient le dos et la colonne vertébrale, les suspensions au plafond, par un bras ou une jambe, des heures durant, les brûlures en faisant fondre des sacs en plastique ou après avoir aspergé les corps d’insecticide, les électrocutions, les coups qui fracturent mains, pieds, cages thoraciques ou crânes, les fouets qui lacèrent la peau, les viols.

Le SNHR, qui compile les disparitions et enquête sur le système de détention en Syrie depuis le début du soulèvement, a calculé que 14 298 personnes, dont 63 femmes et 178 enfants, sont mortes sous la torture entre mars 2011 et septembre 2019. Parmi elles, 14 131 l’ont été par le régime de Bachar al-Assad, les autres par des groupes jihadistes ou armés.

Ou comme le montre le rapport de Human Rights Watch (HRW), Si les morts pouvaient parler, rendu possible grâce aux 53 000 photos prises entre 2011 et 2013, date de la fuite d’un militaire du régime Assad : « Cæsar ». Une partie de ces photos illustrent les sévices infligés sur les détenus. David Crane, ancien procureur du TPI pour la Sierra Leone, en parle ainsi « Coups, brûlures, mutilations de différentes parties du corps, mutilations des organes sexuels, arrachages d’yeux, prisonniers affamés à mort ». Des photos particulièrement insupportables sont placées à la fin du rapport et montrent des corps nus et décharnés posés à même le sol. « Des photos qui rappellent Auschwitz et Dachau » ajoute-t-il lors d’une conférence de presse à Amnesty International.

Quelques exemples de cadavres qui ont été identifiés au cours d’une enquête de plusieurs mois sur l’archive Cæsar, réalisée en recoupant témoignages des ami·e·s, de la famille, des militaires qui ont fait défection…

  • Abdullah Arslan al-Hariri, 36 ans, a participé à des manifestations contre le régime dès 2011, à Namr.
  • Khalid Hadla, 39 ans en 2013, faisait partie d’une famille qui soutenait la rébellion à Daraya.
  • Osama Hussein Salim, palestinien du camp de Yarmouk, a été arrêté arbitrairement et n’avait, d’après un de ses amis, aucune activité militante.
  • Ayham Ghazzoul, était étudiant en master pour devenir dentiste à Damas et travaillait au centre syrien pour les médias et la liberté d’expression ainsi que dans un centre documentant les violations des droits humains en Syrie.
    Il a été torturé dans l’université par d’autres étudiants d’un syndicat progouvernement : l’Union des étudiants de Syrie. Ces étudiants tortionnaires l’ont ensuite dénoncé et remis aux militaires. Un témoignage de sa mère qui vit maintenant en Allemagne.
  • Ahmad al-Musalmani, 14 ans, a été envoyé par sa famille au Liban pour le mettre en sécurité. Il s’est fait arrêter alors qu’il se rendait à l’enterrement de sa mère en Syrie. Il avait une chanson anti-Assad dans son téléphone. Un témoignage de son oncle qui vit en France.
  • Rehab al-Allawi, 25 ans, étudiante en ingénierie, militait dans un comité local d’activistes à Damas. Elle aidait les personnes qui avaient fui Homs.
  • Oqba al-Mashaan, 32 ans, de Mou Hassan, dans le gouvernorat de Deir Ez-Zor, a été accusé d’avoir manifesté, de commerce d’armes et d’appeler à la révolte.
  • Mohammed Tariq Majid, 23 ans, étudiant en 2e année de comptabilité, a participé à des manifestations contre le régime à Daraya

À l’heure où nous appelons au soutien pour l’autodétermination du peuple kurde au Rojava, n’oublions pas nos frères et sœurs martyrisés dans les geôles d’Assad.
Soutien inconditionnel au peuple syrien opprimé !