On ne peut être que triste et en colère.
Triste parce que dès qu’il y a un piège, même visible, les nôtres foncent dedans au mépris des conséquences pour eux et les autres.
En colère, parce que même si on a nos responsabilités, on nous fait passer pour les seuls coupables.
Ce constat amer, on peut le faire pour beaucoup de choses et ici, en l’occurrence, au sujet du différend entre Rohff et Booba.
Au delà des dégâts personnels, cela nous fait reculer et conforte nos détracteurs et ceux qui ont choisi de hurler avec eux pour gratter un billet.
Il va falloir rappeler quelques faits : les rappeurs, mêmes multimillionnaires, ne sont pas détenteurs de leurs moyens de production. L’industrie du disque vend du spectacle et a besoin de sensationnel en permanence. Rien de tel que le « clash » pour alimenter les réseaux sociaux et faire parler d’un artiste.
C’est d’ailleurs cette logique qu’empruntent les Soral, Zemmour, Finkielkraut et autre faiseurs d’opinion en créant des polémiques et faisant fructifier leurs affaires à travers des calomnies et des insultes.
Dans un milieu ultra concurrentiel comme celui du spectacle, il n’y a pas besoin d’organiser de faux événements : les querelles trouvent leur source dans la logique de compétition économique. La seule chose qui compte c’est de vendre ses disques et ses produits dérivés, d’être devant l’autre. Cela se fait au détriment du message et à travers la reproduction et l’amplification de ce qu’il y a de pire dans nos quartiers. Pas besoin de complot ou d’interventions sataniques pour s’embrouiller. (...)
Il faut rappeler avant qu’on nous ressorte l’argument de « l’américanisation » de la société que les bastons entre quartiers sont aussi vieilles que les rivalités de clocher de la France des campagnes. (...)
Dans les confrontations, ce sont souvent des satellites, des personnes éloignées du groupe qui prennent de plein fouet le premier coup ou les représailles. Le plus désastreux arrive fatalement à la personne de bonne volonté qui tente de s’interposer pour mettre un terme au conflit ou éviter un drame.
Dans un contexte économique et social désastreux, sans perspective de changement, la « bande » remplace l’organisation ou le mouvement politique. C’est dans un contexte de récession économique et suite à la répression du gouvernement américain sur le Black Panther Party et les Young Lords que les "gangs" se sont développés. Une organisation de substitution, avec comme seule objectif la survie à court terme.Au lieu de lutter pour de meilleures conditions de vie, on se bat entre nous et contre nous.
Représenter les siens (ou quelque chose dont on se sent proche), c’est déjà quelque chose. Dans ces circonstances, s’affirmer à travers le groupe devient un impératif.
Idem lorsqu’il s’agit de défendre les couleurs d’un club de foot ou l’honneur d’un artiste qu’on apprécie. Avec la nouvelle notoriété des rappeurs comme Booba et Rohff, certain.e.s peuvent passer à l’action ou être pris à partie sans motif sérieux.(...)
Notre société est violente, parce que le système économique qui la régit est basé sur l’exploitation de l’humanité, le pillage des ressources et la concurrence entre les individus.
La réussite individuelle et financière ne suffit pas. Se battre c’est avoir le courage de ne pas se charcuter pour un blouson ou une réputation, mais faire comme les anciens d’ici et du bled qui se sont battus pour la justice, l’égalité et la dignité.(...)
Extraits tirés du site Quartiers Libres
Skalpel ’Mémoires des luttes : Chapitre 1’