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Le choeur
Surgi comme de nulle part, voici un mouvement mondialisé comme internet et énigmatique comme un masque de Guy Fawkes, empruntant tout à la fois aux insurrections du printemps arabe et à la codification du mouvement altermondialiste. Si en France les indignés n’ont pas secoué avec autant de vigueur qu’aux États-Unis ou en Espagne le paysage politique, on a pu sentir ici aussi le souffle de cette étrange et paradoxale révolte citoyenne. De l’autre côté des Pyrénées, le phénomène indignados, autrement appelé Mouvement du 15M (en référence à sa naissance le 15 mai 2011 à Madrid.) s’est imbriqué dans un cycle de contestation plus large catalysé par le déclin économique et la dégradation brusque des possibilités d’accès partagé au confort matériel occidental et aux garanties promises par l’État social. À Barcelone, le 15M s’est conjugué tant bien que mal à un terreau local déjà foisonnant avec ses groupes, ses outils et ses dynamiques spécifiques à chaque quartier. Toute force politique consistante se forge des acquis et des évidences partagées, des codes et identités plus ou moins sclérosés qui renforcent autant qu’ils aveuglent. Pour autant qu’on ne passe pas tout simplement à côté d’un événement inattendu, il est délicat d’y trouver des formes d’intervention qui échappent au parachutage idéologique ou à l’encadrement militant. Deux camarades catalans racontent ci-dessous comment ils se sont se laissés surprendre et emporter par l’apparition du 15M, quitte à se perdre un peu dans la foule qui a occupé la Plaça Catalunya pendant quelques semaines. Issus des mouvements okupas et organisés entre autres autour du collectif informel « la penya », ils questionnent la disposition à la rencontre et à l’événement nécessaire à la composition, leurs difficultés et leur excitation. Cet entretien s’insère dans un récit plus développé sur le mouvement barcelonais entre la grève générale de 2010 et celle de 2012.
Marco : Au printemps 2011, quelques mois après l’occupation de la Banque d’Espagne et la journée explosive de grève générale [1], il se monte un collectif tout neuf qui s’est à la base retrouvé à travers internet et les réseaux sociaux. Il s’agit de « democracia real ya » auquel participent aussi au début quelques camarades assez proches. Entre-temps il y a eu Tahrir, la Tunisie et toute une effervescence autour de facebook…
À Madrid il y a un groupe d’hacktivistes [2] qui décide de lancer une occupation de la place centrale, la Puerta del Sol. Deux jours plus tard la police essaie de les en expulser, mais elle doit abandonner parce que des milliers de personnes les soutiennent. En parallèle il y a des occupations de place, appelées par le même genre de collectif informel, dans plein d’autres grandes villes. Avec l’échec de la tentative de répression à Madrid, cela prend médiatiquement, socialement. Sur les réseaux sociaux, facebook et twitter principalement, c’est la folie et tout le monde parle de ça. C’est là que commence cette espèce de mouvement complètement hétéroclite, hybride et mal situé politiquement qui va servir de plate-forme commune à un certain nombre de mouvements préexistants. Fin avril on avait fait un week-end de réflexion en groupe sur le contexte politique et les perspectives du moment à Barcelone et au niveau international. On avait fait un planning des moments de lutte à venir avec le premier mai… On avait évoqué « democracia real ya » en se disant que ça pouvait être intéressant, sauf que quand certains d’entre nous annoncent qu’ils veulent occuper les places, là on est plein à rigoler en disant : « vous êtes fous, les gens veulent garder leur petit confort, rester chez eux, ici ça va jamais marcher ». L’occupation de la place, je l’ai apprise sur la radio publique espagnole.
Inès : Moi j’habitais à côté de la Plaça Catalunya, le lieu de l’occupation, donc je suis passée le premier jour, mais beaucoup de gens des milieux radicaux l’ignoraient ou jugeaient que ce n’était pas intéressant, trop étranger à notre culture militante. Et puis je me suis rendue compte que c’était en train de prendre une tournure spectaculaire, le jour suivant il y avait le double de personnes et ça continuait comme ça à se multiplier.
Marco : Cela a eu la force de sa faiblesse politique de base. Nous, en tant que militants aguerris avec notre vocabulaire si précis dont se foutent les gens qui n’ont pas ce parcours, on aurait eu beaucoup plus de mal à toucher de manière large. Par exemple, le fait que les indignados se revendiquent de la démocratie sans questionner plus que ça cette idée-là, ça nous a pas mal choqués, on ne s’y retrouvait pas du tout, mais ça rouvrait un débat et une libre interprétation du terme pour plein d’autres personnes…
Inès : Un des aspects très forts de ce mouvement-là, c’était de ne pas donner un modèle idéologique clé en main et une liste de choses à faire, un programme. Il y avait un espace qui s’ouvrait où se disait : « libre à toi de penser que la démocratie c’est le fait de pouvoir élire des gens de la manière la plus intelligente possible ou de ne pas en élire du tout. » Il y avait plein de manières de se réapproprier l’espace politique qui n’étaient pas marquées par un cadre dogmatique. Depuis la première grève générale (cf. la seconde partie de l’entretien), la dégradation matérielle très concrète du quotidien des gens s’était encore bien aggravée, avec le sentiment d’être happé par leur « crise ». Et puis sur ce marasme, l’occupation a réanimé le fait de rêver collectivement à une autre société, de se réapproprier un débat politique, et pas seulement se le prendre dans la gueule tous les jours à la télé en voyant les taux de suicide et de chômage qui augmentent. Et puis la place publique c’est génial, c’est beaucoup mieux qu’un espace fermé comme espace de rencontre, comme possibilité de venir vomir ton malaise… Ce n’était pas forcément beaucoup plus que ça au début, mais c’était déjà beaucoup. Se rendre compte que plein de gens le partagent avec toi et qu’éventuellement ce n’est pas seulement le malaise que tu partages mais des aspirations à autre chose, c’est la base pour commencer à s’organiser.
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