Rome : retour sur le contexte de la Campagne « Mai Con Salvini »

Le 28 février dernier, devant la tentative de l’extrême droite Italienne d’occuper les rues de Rome, la Rome antiraciste et antifasciste a envoyé un signal fort : « Salvini, Roma non ti vuole » (Salvini, Rome ne te veut pas).

Aujourd’hui, l’actualité italienne devait être marquée par un évènement historique pour son extrême droite : l’union entre la Ligue du Nord et Casapound à Rome. Tentative de concilier deux projets autoritaires : celui d’une ligue du nord, parti sécessionniste qui n’hésitait pas dans les années 1990 à qualifier la ville de Rome, symbole de l’État centralisé italien, de voleuse ("Roma Ladrona"). L’autre, au contraire, revendique une identité romaine, en empruntant au fascisme historique de Mussolini toutes ces références à la grandeur de la Rome Impériale. Une contradiction évidemment soulignée parfois avec humour par la campagne antifasciste contre cette venue à Rome de Salvini, le nouveau Kapo de la Ligue. Mais également une contradiction dont la tentative actuelle de résolution constitue un enjeu majeur pour l’extrême droite italienne en pleine reconfiguration, et donc pour toutes celles et ceux qui ne comptent pas laisser passer leurs idées nauséabondes.

Ces deux fascismes sont tout aussi dangereux l’un que l’autre. D’un côté, Casapound (proche de Soral idéologiquement, des identitaires dans les méthodes de séduction) est ouvertement néo-fasciste et perpétue toute une mémoire nationaliste, expansionniste, mussolinienne, étatiste et autoritaire avec un relook « social » d’ordre purement esthétique. Organisation particulièrement dangereuse car, tout comme les identitaires chez nous ou les nationalistes autonomes, elle recrute, notamment dans la jeunesse, par des méthodes pernicieuses, en n’hésitant pas emprunter certains codes et pratiques de la contre-culture « antagoniste » de la nouvelle autonomie Italienne. Rhétorique de résistance, anti-antifascisme, occupations de lieux (ils contrôleraient plus ou moins un tiers de la grosse centaine de « centri sociali » de Rome), mais encore et toujours ultra-violence de rue, agressions continues de tout ce qui n’est pas « de souche »… Bref : alchimie dangereuse d’ancien et de moderne, derrière un apparent confusionnisme se trouvent tous les ingrédients pour séduire une large partie de la jeunesse, y compris dans les quartiers populaires.

La ligue du nord, pourrait apparaître moins clairement fasciste, du moins dans son histoire et ses références. Organisation présente quasiment seulement dans sa partie septentrionale (pouvant atteindre localement des scores électoraux faramineux), elle a toujours noué des alliances contre-nature afin de tenter d’obtenir des voix au centre et au sud. Alliances locales et parfois nationales avec des partis très divers, y compris certains de gauche qui se sont ainsi compromis dans les années 1990. A ses origines, elle nourrissait avant tout une haine raciste diffuse dans le Nord de l’Italie vis-à-vis des Méridionaux, qui se traduit politiquement par la volonté Sécessionniste de régionaliser le système fiscal - en contradiction complète avec le mythe mussolinien de l’État fort centralisé à Rome. Mais ne nous leurrons pas : par-delà son aspect folklorique complètement loufoque, le nationalisme padan (La Padanie est cette nation imaginée par les idéologues du parti dans les années 1980, qui correspondait initialement à la plaine du Pô) ne constitue pas moins que le nationalisme impérial cher aux nostalgiques de Benito, la ressource identitaire justifiant la haine de l’Autre, qu’il soit « terrone » (terme péjoratif pour qualifier les méridionaux) ou migrant.

Les contradictions internes aux fascismes italiens ici soulignées ne les empêche pas de s’unir localement pour former de véritables milices de quartier afin de participer joyeusement à la chasse au sans-papier et tout ce qui apparaît provenir des suds. Cela ne les empêche pas non plus de s’attaquer aux minorités sexuelles (mouvement des sentinelles debout), aux droits des femmes (IVG), aux travailleurs et précaires qui se battent pour des droits collectifs. Bref, ces deux organisations sont à la fois un danger pour toutes celles et ceux qui dévient de leur norme blanche, hétéropatriarcale et bourgeoise et pour toutes celles et ceux qui n’entendent pas leur laisser le champ libre et qui croient encore que l’émancipation ne peut être que collective et acquise par la lutte.

Bref : ces deux organisations sont fascistes, et si ce qui les divise les rend moins forts, leur union par-delà ces divisions les rend plus fort. C’est bien ce que Salvini tente de faire après avoir repris une ligue en mauvais état après divers scandales et embrouilles internes. La Ligue se veut désormais regrouper autour d’elle l’ensemble de l’extrême droite Italienne sur le modèle du Rassemblement Bleu Marine. La perspective de la prise du pouvoir, alors que Salvini semble désormais avoir dépassé la droite berlusconienne dans les sondages, semble donc motiver une union autour de la xénophobie, quitte à mettre entre parenthèse l’anti-méridionalisme. L’Italie méridionale devient ici un enjeu majeur : les méridionaux ne doivent pas tomber dans le piège tendu par la ligue. Il est aujourd’hui nécessaire de rappeler que la ligue constitue un danger pour tous les migrants « extra-Européens » mais pas seulement. Elle cherche à reléguer tout un ensemble de groupes au rang de citoyens de seconde zone, à commencer par les méridionaux, qui restent en réalité une cible de la haine raciste de la ligue.

D’où le triple enjeu, clairement perçu par nos camarades italiens de ne pas leur laisser les rues de Rome ce 28 février. D’abord, combattre chacune de ces organisations ; mais également leur tentative de rapprochement et sans pour autant cautionner le gouvernement social-démocrate de Renzi. En continuant l’application des plans d’austérité, en s’attaquant au droit du travail avec le Jobs Act qui précarise toujours plus, en cautionnant actuellement les politiques européennes vis-à-vis de la Grèce, en enfonçant l’Italie dans la crise, ce gouvernement, comme d’autres en Europe, porte la responsabilité de la montée de l’extrême-droite qui, nous le savons bien, suit toujours de près les crises systémiques du capitalisme.

C’est donc à la fois dans une perspective anti-fasciste, anti-raciste et anti-capitaliste que s’est élaborée une campagne unitaire pour appeler une contre-manifestation nationale à Rome pour le 28 février : « Mai con Salvini, roma non ti vuole ». La réussite d’une telle initiative est de taille : plus de 30 000 personnes contre moins de 15 000 « fascio-leghisti ». Sans rentrer dans les interminables polémiques du chiffre, tous les observateurs se sont accordé pour dire que cette « marche sur Rome » symbolique s’est soldée par un échec avec un nombre clairement supérieur de contre-manifestants. Contre-manifestation festive, massive, colorée, dynamique et offensive. Une telle réponse, sans l’aide de la gauche institutionnelle, ou presque (les orgas ne faisant tout au plus que du suivisme) pourrait faire rêver en France. Par ailleurs, des scènes de la manifestation de la ligue, comme l’arrivée du cortège de Casapound avec son flot de saluts romains, ont permis de mettre un terme à la confusion que faisait régner la ligue, qui prétendait à une époque qu’elle ne nouerait jamais de lien avec les fascistes. Voire, qu’elle n’était pas d’extrême-droite - la preuve étant que certains gauchistes décompos et brunâtres les auraient rejoint.

Cette campagne était clairement auto-organisée. Elle a été portée avant tout par une large partie de la gauche dite « extra-parlementaire » liée aux Centri Sociali Autonomi et aux collectifs étudiants, de précaires et aux réseaux d’aide aux migrants. Elle s’est opérée de manière diffuse et décentralisée, en accord avec les modalités d’auto-organisation horizontales propres au mouvement autonome extra-parlementaire historique italien. Les partis étaient d’autant plus minorisés qu’ils ont récemment fait preuve d’un réel mépris pour un mouvement antifasciste en pleine effervescence après l’agression fasciste de Casapound du 18 janvier à Cremona qui a porté dans le coma un camarade, Emilio (#emilioresisti). En effet, après la réponse antifasciste offensive qui a vu un comico retourné et un siège de Casapound fermé, les socio-traitres de Sinistra Ecologia Liberta n’ont pas hésité à appeler à plus de fermeté envers les méchants manifestants et à proposer à la police leur aide pour identifier certains d’entre eux, qui par-delà le débat sur les méthodes, ont exprimé une colère légitime que nous ne pouvons que comprendre. Cet évènement expliquerait-il leur complète absence dans la campagne #romanontivuole ? Comme d’habitude, ces partis ont porté une large responsabilité dans le déplacement du problème de la violence fasciste à celle de certains camarades et qui a conduit à une division du mouvement unitaire qui a suivi le choc de l’agression de Cremona. Dans ce contexte, la manifestation du 28 février semble donc confirmer que le mouvement antifasciste italien a su surpasser ces embrouilles internes, en se passant joyeusement des tentatives de récupération politiciennes par l’auto-organisation à la base.

Pour plus d’infos (en Italien), voire le site d’info infoaut ou la page facebook de la campagne.

Note

Emilio est récemment sorti du coma et a pu rentrer chez lui. La lutte continue !

Mots-clefs : anti-racisme | Italie

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