Résistance !

Comme il est dit depuis le départ : l’anticop21 est l’amorce des luttes à venir, nous venons tout juste de nous élancer vers cet ensemble d’actes concrets et collectifs.

On le sait, dernièrement et plus que jamais, l’État et sa propagande essaient de se propager pernicieusement dans tous les interstices qui existent : même si nous faisons tout ce que nous pouvons pour ne pas les subir, il y a toujours une annonce dans le métro, des unes de journaux, une phrase de la boulangère, une télé dans un bar, pour nous rappeler que « nous sommes en guerre ».

Après le 13 Novembre dernier, les unes des journaux ont bien vite changé. Ils ont pleuré nos morts pendant deux jours, bien assez suffisant pour passer à la rhétorique guerrière : la course au titre le plus violent et le plus stupide, Valeurs Actuelles ("Guerre aux barbares- en traquant les islamistes, en stoppant l’immigration, en changeant de politique étrangère, en réarmant la France") vs Marianne , Le Point vs Libération, toutes ces unes indécentes mises au service de ce sentiment d’unité nationale fabriqué pour l’occasion.

Et donc, que nous restait-il, à nous qui n’arrivons pas à envisager un mémorial comme solution suffisante à l’ensemble des émotions que nous éprouvons, à nous qui trouvons d’un cynisme effroyable ces applications facebook confectionnées pour les attentats, qui avertissent à l’instant même et « rassurent » tes proches que tu es sain et sauf, à nous qui ne nous trouvons pas apaisés par tous ces drapeaux qui pèsent au-dessus de nos têtes comme des menaces ?

Que nous reste-t-il donc ?

J’avais l’habitude de me sentir parmi les exclus, les oubliés, et pourtant !
Les tristes hères c’est eux : recueillis autour de cette colonne, sinistre et lourde, plantée au milieu d’une place toute vide, une menace sournoise qui rappelle le poids de l’existence qu’ils voudraient nous forcer à accepter.
Deuil national ? Deuil national… J’ai beau me répéter ces mots-là, ils continuent à résonner dans ma tête, ils n’arrivent à faire écho à rien. Rien qui touche mes cordes sensibles, mes élans.

L’antagonisme de deux évènement au cours des dernières semaines de mobilisation, où l’on voyait d’un côté de cette immense place dallée, l’écrasant nouveau monument aux morts, et de l’autre des cuisines et des rires, fut peut-être le meilleur acte contre l’état d’urgence.
A l’infokiosque, on avait un thé chaud à la main, et en se les pellant on donnait aux gens des brochures comme plein de nouvelles réflexions, et on se retrouvait parfois dans la situation étrange de se transformer en point accueil d’un nouveau pèlerinage voyeuriste : les touristes qui venaient demander où se trouvait le Petit Cambodge, la Belle Equipe, le Bataclan…

Et nos réponses faisaient écho toujours à quelque chose chez chacun-e : nous sommes Nos Vies.
Nous sommes là pour vivre, manger, discuter, rire.
Pas toujours en paix parfaite avec tout, ni tous-tes, mais nous sommes l’opposition heureuse à ces simulacres d’émotion commune, nous proposons avec modestie, sans faire semblant, le faire ensemble, le rire ensemble, le déconstruire ensemble. L’insouciance.
Sans dogmes, sans sentiments préfabriqués, sans idéologies, sans même bien nous connaître.

Certes, nous n’avons pas attendu les attentats, ni l’état d’urgence pour commencer à nous réunir spontanément, mais ce qu’il semblerait, c’est que la situation des dernières semaines ait créé des espaces de plus, des liens solides, des choses bien belles qui n’ont pas besoin de deuils puisqu’elles célèbrent la vie.

Luxe, calme, et volupté : ce n’était plus du tout ce qui transportait les soirées de beaucoup, même avant les évènements du 13 Novembre.
Cette douceur des invectives alcooliques de trois heures du mat’, cette médiocre exposition des frustrations sexistes dans les bus de nuit, ces brimades homophobes, ces trajets interminables pour regagner son coin de banlieue au plein cœur de la nuit, ces contrôles de police pour un petit joint fumé entre potes, ces bières à 10 euros, ces regards croisés plein de haine et d’envie entre gens bourrés en début de soirée, ces bandes de jeunes étudiants en médecine qui se foutent de la gueule d’un SDF dans une rame de la ligne 5, n’était-ce pas la teneur de nombreuses nuits parisiennes ?

C’est drôle de noter à quel point ils tentent de nous imposer cette fausse dichotomie « soirées pré-attentats/soirées post-attentats », où dans les premières, soi-disant, régneraient la joie et la douceur de vivre, et dans les secondes l’angoisse sourde et le repli sur soi.

Eh bien, non.

La réalité est qu’il n’y a pas « d’après », pas plus qu’il n’y avait « d’avant ». L’exclusion et l’aliénation de soi sont deux aspects quotidiens des solitudes parisiennes, rien de nouveau sous la pluie des faubourgs, sous les luminaires des quartiers bourges.

Plus aucun d’entre nous n’a envie de lutter pour maintenir en état des soirées depuis longtemps abandonnées, aucun n’a envie de se sentir l’âme d’un résistant en sirotant un mojito à 14 euros en terrasse, aucun ne pense que cela puisse réellement représenter le moindre divertissement, la moindre construction d’espaces communs, la moindre déconstruction collective.

Nous sommes un ensemble, de plus en plus solide, de plus en plus dense, à ne pas être dupe. On ne pourrait accepter de macérer dans le jus de leur propagande odieuse : leur haine et ces sales angoisses de sous-sols qu’ils essaient d’injecter sont des insultes constantes à nos vies.

Mais notre rage à nous est saine : elle comprend l’importance de construire et habiter le plus d’espaces et d’horizons possibles, mais surtout de les habiter avec joie constante et courage.

Qui sait quel visage prendra ce grand changement que nous avons commencé à créer ?
Qui sait s’il faudra lutter avec fureur pour continuer à le faire fleurir, ou si ce qui pousse déjà tout autour de nous et en nous, ne sera pas suffisant pour qu’il puisse éclore naturellement et s’épanouir ?

Pourquoi cette mobilisation m’a fait à moi l’effet de quelque chose de particulièrement différent des fois passées ?
Je ne sais pas, mais la meilleure réponse est que c’est un sentiment largement partagé : aucun-e d’entre nous ne pense que tout va s’arrêter là.
Il n’y a pas même besoin de « rebondir » sur « d’autres luttes » : un long horizon d’actes communs s’ouvre devant nous.

Plein de graines ont germé durant ces dernières semaines, et nous sommes tous et toutes passé-es par beaucoup d’émotions différentes.
Nos réunions après les attentats furent douloureuses : le choc et la conscience angoissante de ce qu’on allait nous faire bouffer pendant la mobilisation. Bien, nous avions raison. Mais qui s’est laissé abattre ? Nous avions déjà compris naturellement le besoin de prendre plus que jamais notre élan, nouer, tisser du lien, et ne jamais oublier de rire, même dans les moments les plus oppressants.
Mais surtout que ce n’était qu’un début : le nôtre.

Le signe le plus fort a eu lieu au tout début de la mobilisation : le banquet des copains et copines venant des terres en lutte.
En convergeant à Versailles malgré l’état d’urgence, en s’installant en ce jour radieux tout devant ce château pompeux, ils nous ont ramené cette joie qu’on avait eu peur un instant d’avoir oubliée.
C’est aussi grâce à cette journée que beaucoup ont récupéré les forces un peu mises de côté pour repartir en dansant et en sautant au son de la Batucada vers les jours de lutte à venir.

Rien ne s’est passé parfaitement, cela dit, mais ce qui s’est créé est bien plus fort que tout.

Le 29 Novembre, place de la République, un peu entre répression et folie, des solidarités tacites sont nées tout d’un coup.
Quand on pense que la veille au soir, une réunion encore avait eu lieu, où s’étaient exprimées les réticences et les craintes de se retrouver en tout petit comité sur la place le lendemain : on pensait 500, on s’est retrouvé-es 5000 !

On était tous enfermés dans ce huit-clos ultra-violent où on voyait pleuvoir au-dessus de nos têtes les grenades offensives, les tirs de sommations, où on tombait en courant au milieu du brouillard de gaz, où si vraiment on n’était pas chanceux , on se prenait en plus un coup de matraque bien placé.

Les tirs en cloche (voire à bout tendu) sont tombés un peu sur tout le monde, comme les coups de matraque d’ailleurs : des passants, des joggers retrouvés là par hasard, des pacifistes assis en rond, des gamins, des anciens.

Puis la nasse, comme d’habitude. Il y a une vidéo très chouette où tous les copains et toutes les copines rigolent et dansent, entourés de CRS.

Ces cons tentent d’arracher un-e à un-e ,un copain, une copine de la nasse, mais ça ne se laisse pas faire : y a même un moment où ils se retrouvent ingérés dans leur propre nasse, c’est dire s’ils sont doués (on ne parlera même pas de leur capacité flippante à s’autogazer).

Après ce 29 et ses 317 gardé-es à vue ; un gros boulot du collectif de soutien et la tentative de mettre en place des moments de réunion et discussion autour du partage de l’expérience de la répression.

Concrètement, ça crée du lien.

Puis il y a eu le 4 décembre, l’action au Grand-Palais : une journée plutôt bien orchestrée.

Pendant que des copains-copines mettaient le dawa à l’intérieur à coups de « toxics-tours » et de boules puantes, à l’extérieur alors qu’on ne pouvait plus entrer à cause des barrages au faciès, un autre copain a escaladé un lampadaire pour dérouler une chouette banderole. Puis on a du coup arrêté de faire semblant de pas se connaître et c’est là qu’on a compris que quasiment toute la file d’attente, c’était nous !
Des slogans en solidarité au camarade perché sur son lampadaire, des « État d’urgence on s’en fout ,on veut pas d’État du tout ! », des rires et des bises à tout le monde.
Bien sûr il ont direct rameuté les alpins pour déloger le copain, mais on a formé spontanément une barrière de sûreté autour du luminaire.
Les gazeuses ont pas beaucoup tardé, mais concrètement, la presse étant bien présente, une belle banderole bien déployée, un copain de l’international ayant appelé à une conf de presse improvisée sur le parvis, toute cette journée s’est sommée à notre avantage : un seul copain embarqué, celui du lampadaire, relâché peu de temps après avec une amende de 11 euros (sans parler des CRS qui se sont encore gazés tous seuls et qui ont reçu sur leurs bottes quelques boules puantes qui n’ont pas pu être lancées à l’intérieur).

Mais surtout : pas de journée d’ouverture ce 4 décembre ! On a complètement court-circuité leur sale initiative hypocrite, et on a bien rigolé. Et pourtant fallait voir le dispositif de répression ! Police à moto, police montée, gendarmerie, sécurité, alpins, etc.

En attendant le 10 décembre (journée de soutien contre les expulsions à Notre-Dame-des-Landes), on a multiplié les opérations cantines-infokiosques place de la République, et les moments de retrouvailles aux lieux-dits le soir.

Le 10, donc, à place Stalingrad, en soutien aux exproprié-e-s de Notre-Dame-des-Landes on a eu l’énième chouette journée de partage et de retrouvailles autour d’une cantine autogérée, d’un spectacle, de prises de parole, de lectures, de musique et j’en passe. Il faisait froid, mais pourtant on a bien ri, bien partagé : la bouffe toujours aussi bonne, on a du thé, du café et des copains-copines de tout horizon. La présence policière tout autour, mais ils ne nous ont pas emmerdé-es.

Le 11 au soir, les copains du MILI nous ont servi une très bonne soirée de soutien au collectif juridique.

Le 12, je n’ai pas assisté aux lignes-rouges, mais au rendez-vous de Belleville à 17heures : on était éparpillé un peu partout aux sorties de métro, on se regardait, puis on a fini par se réunir.
D’un coup, émanant de cette sortie-là, on commence à entendre le bruit des percus : la Batucada est vraiment nombreuse et nous fait une arrivée super classe.
On lui emboîte le pas.
Tout le monde rigole, l’ambiance est franchement agréable, et c’est tangible. Des copines tendent une banderole entre deux arbres, on procède en cortège plutôt uni.
On marche, on sautille, on dit nos slogans, on parle aux commerçants, ils nous font des signes, pour beaucoup nous tendent des sourires.

Mais comme d’habitude les CRS sont venus gâcher notre fête : ils sont arrivés d’un coup en force, en sortant de leurs camions anti-émeutes en hurlant comme s’ils allaient à la guerre. Gazeuses, matraques, l’attirail.
Puis il y a eu la nasse au canal Saint-Martin, il parait même qu’un copain est tombé à l’eau, que ce sont d’autres copains qui l’ont sorti du canal, et qu’il serait resté transi de froid dans la nasse pendant une heure encore.
Puis les copains ont été libérés par groupes de 10. Aucune GAV.

Le soir même on avait tous rendez-vous pour notre boum au cinéma Avesso, encore une fois, c’était bien sympa, et on était très nombreux-ses (le bémol : l’heure de fin de la soirée mais passons). Les copains assignés à résidence, finalement libres, nous ont rejoint-e-s.

Le 13, on remettait notre action cantine-infokiosque.

Pour l’instant, aucun-e d’entre nous ne compte attendre le prochain gros évènement capitaliste pour lutter, et même l’État d’urgence ne saura être notre seule raison pour le faire : nous sommes entré-e-s dans une logique de continuité, nos rendez-vous et nos réunions continuent à se suivre, les mobilisations seront quotidiennes, nous ne comptons pas nous éparpiller.

Comme il est dit depuis le départ : l’anticop21 est l’amorce des luttes à venir, nous venons de nous élancer vers cet ensemble d’actes concrets et collectifs.

Nous n’avons pas besoin de nous intimer à ne pas baisser les bras : qui y pense ?
Les bras sont levés, bien hauts, et ils rythment nos mots avec le poing : RESISTANCE !

Mots-clefs : répression | COP21

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