Loin de vouloir nous faire revoir le bleu du ciel, on nous promet plus de « bleus » sur le terrain, et leur cortège d’ecchymoses, d’yeux crevés et de harcèlement du quotidien, notamment envers celles et ceux qui en pâtissaient déjà le plus.
C’est ainsi que Macron nous promet 10 000 policiers en plus d’ici la fin du quinquennat, et Castex a annoncé 15 000 places de prison supplémentaires.
Dans le même temps, le président plane et veut lancer l’offensive contre « les stups » - « de la merde », selon toutou Gérald (qui ferait bien de retourner au sanichien). « On se roule un joint dans son salon et à la fin on alimente la plus importante des sources d’insécurité », les « séparatismes » etc. Les annonces n’auraient pas été complètes sans les relents islamophobes obligatoires.
En recrutant des milliers de keufs supplémentaires, c’est Manu qui alimente les risques pour chacun·e lorsque nous croisons la bleusaille. En vérité, cette idée avait déjà germé il y a un bail : dès le début de son mandat il l’avait prévue dans le cadre de la lutte contre le « terrorisme », et la Cour des Comptes s’alarmait des coûts excessifs et a priori injustifiés d’une institution hors contrôle financier :
En 2018, le coût de ces créations d’emplois est estimé par le ministère de l’intérieur à 73,6 M€ (...). Il devrait atteindre 328 M€ pour les années 2018 à 2022 selon les données fournies à la Cour par le ministère de l’intérieur.(...) Selon l’administration, les dépenses de rémunération de la police et de la gendarmerie devraient ainsi augmenter de plus de 920 M€, soit de 9,5 %, entre 2016 et 2022. (...)
Or, (...) le plafond des crédits alloués aux différentes missions du budget général, a arrêté à 13,66 Md€ en 2020, (...) soit une progression de 550M€ par rapport à la loi de finances pour 2017. Dans ces conditions, la Cour s’interroge sur la capacité du ministère de l’intérieur à respecter la trajectoire financière de la mission Sécurités prévue par le Parlement." [1]
A priori, la trajectoire financière a aussi fumé des oinjs et plane très loin. Par contre, 69 000 lits d’hospitalisation complète ont été supprimés en 15 ans. Ah, on réduit les coûts comme on peut hein, il faut prioriser les dépenses. Terrorisme, islamisme, covid... Il faut choisir !
Car ces annonces interviennent dans une séquence particulièrement sordide en termes de fascisation. La loi sécurité globale est passée et a été validée aujourd’hui par le conseil d’État après avoir été votée par l’Assemblée, la loi séparatisme, l’indignation des droiteux qui réclamaient plus de cabane au procès « Viry-Châtillon » : chaque séquence est bonne pour être celui qui sera le plus à droite possible. Il apparaît que c’est la meilleure position pour faire barrage.
C’est ce qu’a dû se dire Xavier Bertrand quand il s’est lui-même vautré dans ce tire-à-la-corde à un seul côté en dégainant à son tour sa « proposition choc » : des peines de prison obligatoires pour quiconque « agresse » un policier, ou serait de la même « bande ». Va falloir sacrément se canaliser pour avaler ça.
On avait déjà eu notre portion de sécuritaire avec la Loi sur la sécurité globale (osons : mondiale !), qui aurait mieux été nommée : intrusion et sécurité des flics ? Non contents de se faire filmer depuis les airs, depuis le torse des agents avec les cameras-piétons [2], on pourra être captés depuis les véhicules des flics, avec le bonus que ceux-ci n’ont a priori pas de restriction sur la captation d’image à l’intérieur de chez vous, ni sur l’utilisation de la reconnaissance faciale. Des cibles de choix, donc ?
Une pensée pour l’intrusion des caméras jusque dans les cellules de garde-à-vue, qui décidément n’étaient pas suffisamment dégradantes, ou dans les chambres des centres de rétention administrative (CRA), occupant-es desquelles n’ont commis aucun délit sinon celui de ne pas avoir les bons papelards. Sécurité, on vous dit !
Vous pouvez voir le résumé complet de ces innovations ici : https://www.laquadrature.net/2021/04/16/loi-securite-globale-adoptee-resumons/
Concernant la loi séparatisme, on a assisté à une course à l’islamophobie de la part de toute la classe politique. C’est à cette occasion que divers amendements tels que l’interdiction du port du voile pour les accompagnatrices de sorties scolaires, l’interdiction des réunions non-mixtes, la coupure des allocations en cas d’absentéisme, ou l’interdiction des prières dans l’enceinte des universités — à l’exception de l’aumônerie — ont été adoptés.
10 000 flics supplémentaires, donc. En plus des 175 000 sous-flics qui ont été adoubés comme tels avec cette loi : les vigiles — un beau métier que cette même loi autorise dorénavant un flic à la retraite à exercer [3]. À votre grande joie, ils pourront contrôler vos papiers gratos, effectuer des palpations et vous garder au chaud dans l’attente de leurs copains poulets : ça s’appelle le « Continuum de la sécurité » [4].
Continuum : une continuité depuis le vigile du supermarché jusqu’à la militarisation complète de la société. Cueilli.e.s dès 16 ans par le SNU, on n’attend pas bien longtemps pour offrir aux lycéen·ne·s leur première expérience avec un représentant de l’ordre, s’iels n’avaient pas déjà eu la chance d’avoir été controlé·e·s, tabassé·e·s, filmé·e·s dans un hall, ou harcelé·e·s pour du « stup ».
Si au SNU on porte la casquette, désormais le policier de base pourra se regarder dans le miroir tous les matins avec son calot tout neuf, qu’on lui aura donné à « l’école de guerre », le nouveau nom de leur centre de formation continue qui sera prochainement ouvert à Montpellier.
D’ailleurs, ils pourront y aller sans payer puisque la loi a aussi voté les transports gratuits pour les flics sur TGV et intercités. Quand on pense que certains osent gueuler sur les pseudos privilèges des cheminots !
« Nous sommes en guerre » : les dominants contre le reste ? Ces annonces viennent conforter l’idée que le pouvoir politique ne peut aujourd’hui s’extraire de la main-mise de l’institution policière, vivant dans la crainte permanente des répercussions politiques qu’occasionnent le moindre de ses caprices.
Le gouvernement profite de la crise du coronavirus et de la réduction drastique des libertés pour imposer son agenda sécuritaire, alors que nous sommes tétanisé·es et que s’organiser dans ce contexte est difficile.