Penser stratégiquement la violence

Des révoltes anticoloniales à l’émeute de Watts, de la grève générale au pillage, de Fanon à Debord en passant par Marx et Sorel, la violence s’impose comme une pratique inhérente aux rapports sociaux, dont elle exprime les diverses formes. Dans son article paru le 8 décembre 2018 chez Contretemps, Daniel Bensaïd réalise un travail conceptuel lisible et concis autour de la notion de violence, dont il appelle à penser les formes et la pertinence stratégique.

Aujourd’hui, Sartre serait mis en prison avec Rouillan et Coupat pour avoir écrit :

« Le colonisé se guérit de la névrose coloniale en chassant le colon par les armes […]. Il faut rester terrifié ou devenir terrible. L’arme du combattant, c’est son humanité, car, en le premier temps de révolte, il faut tuer : abattre un Européen, c’est faire d’une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre »

Il importe de rappeler le contexte de ces paroles de feu. C’était l’époque des luttes de libération nationale, des guerres d’Algérie et d’Indochine, de la révolution cubaine ; l’époque où le pouvoir était « au bout du fusil » ; où, dans son message à la Tricontinental, Guevara pouvait appeler à se lever pour « entonner des chants funèbres dans le crépitement des mitrailleuses » ; où, avant le génocide cambodgien, la contre-violence libératrice pouvait encore sembler légitime et innocente. Où Sartre écrivait du colonisé révolté :

« Nous avons été des semeurs de vent ; la tempête, c’est lui. Fils de la violence, il puise en elle, à chaque instant son humanité. Nous étions hommes à ses dépens, il se fait homme aux nôtres. »

Pourtant, comme le souligne Alice Cherki dans sa préface à la réédition des Damnés de la terre, le colonisé Fanon écrit sensiblement autre chose que ce que croit lire Sartre. Il analyse la violence sans la justifier comme une fin en soi. Certes, « si les derniers doivent être les premiers, ce ne peut être qu’à la suite d’un affrontement décisif et meurtrier des deux protagonistes ». Il faut donc jeter tous les moyens dans la balance, « y compris bien sûr la violence ». Car le colonisé qui décide de s’émanciper « est préparé de tout temps à la violence » : « Dès sa naissance il est clair pour lui que ce monde rétréci, semé d’interdictions, ne peut être remis en question que par une violence absolue. » Sobre constat, qui n’implique aucune mythification lyrique, aucune fétichisation, de cette nécessaire violence face à la violence structurelle coloniale déjà là.

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