Parti des « rouges », parti des bruns

Depuis son entrée dans la course présidentielle, le Parti « communiste » français n’a eu de cesse de se couvrir de honte à travers ses déclarations et ses prises de positions outrancièrement droitières. Pendant que Fabien Roussel manifeste avec les flics, Darmanin, Le Pen et Jadot (et Faure, qui s’en fout ?), on fait le point pour ne pas perdre le nord.

Il faut jeter le bébé avec l’eau du bain

Fabien Roussel a été officiellement investi candidat du Parti « communiste » le 9 mai après avoir recueilli l’avis favorable d’environ 60% des adhérents de son organisation (72,42% favorables à la présence d’un candidat « communiste » aux élections, dont 82,36% favorable à la candidature de Fabien Roussel). Roussel, qui était présenté comme le candidat des cadres du parti, est donc également celui de la majorité de ses bases militantes et adhérentes.

À ce titre, c’est bien l’ensemble de son organisation et de ses membres que ses propos et prises de position impliquent. C’est donc au Parti « communiste », à ses cadres et à ses militants que nous nous adressons quand nous prenons position contre leur organisation. Le nier, ou renoncer à le reconnaître par crainte de heurter la sensibilité de nos éventuels camarades encartés dans ce cloaque, serait un aveu de faiblesse et un acte de compromission lâche et indigne.

Ainsi parlait Fabien Roussel

Le 18 avril, Fabien Roussel profitait de son passage dans les colonnes de Marianne [1], journal connu en outre pour sa pertinence et sa subtilité lorsqu’il s’agit de parler de patriarcat et de racisme, pour donner l’ambiance : celles et ceux qui défendent le droit de vivre dignement de son travail, et qui proposent que l’État s’engage à trouver un emploi aux travailleurs sans activité, sont des sales communistes ! Hélas, le camarade Roussel ne criait pas là « Mort au travail », à notre grand désespoir. Pour appuyer son propos et lui conférer ce tranchant si particulier propre aux candidats incapables de franchir le seuil des 5%, Fabien Roussel donne tout : l’État pourvoyeur d’emploi, c’est le « kolkhoze ». Prenez-en de la graine les gauchistes : le kolkhoze, ce n’est pas l’abolition de la propriété privée de la terre, la coopération paysanne et la lutte contre les pénuries alimentaires et les famines chroniques du tsarisme ; non, c’est quand l’État vous aide à trouver un emploi au SMIC.

On aurait pu penser que Fabien Roussel s’arrêterait là. Surtout en cette période de célébration du 150e anniversaire de la Commune de Paris, que tous les radis de France (ceux qui sont roses à l’extérieur et blancs à l’intérieur) se sont empressés d’aller souiller de leur révisionnisme de martyrologues évangéliques. Beaucoup – presque tous en vérité – ont choisi de laisser de côté la dimension armée du soulèvement, qui fut une véritable insurrection en vue de la conquête du pouvoir, pour pleurer sur des cadavres qu’ils avaient au préalablement désarmés, transformant les combattants révolutionnaires en bons citoyens républicains et leurs armes en belles idées. Dans ce foutoir de mauvaise foi et de réécriture mal torchée de l’histoire, Fabien (tu permets qu’on t’appelle Fabien ?) a visiblement oublié que le gouvernement de la Commune de Paris considérait le travail comme un droit, et qu’il s’était donné comme prérogative d’assurer à la population l’accès à un salaire.

Et c’est pas fini : le 11 mai, c’est chez Bourdin, sur RMC/BFMTV, que Fabien nous a de nouveau fait bondir de surprise. Cinq jours plus tôt, le syndicat policier ouvertement fasciste « France Police – Policiers en colère le pastis il est trop cher » adressait une lettre ouverte non moins ouvertement fasciste au président de la République [2]. L’organisation réclamait en outre :
1. L’instauration d’un régime d’apartheid, subtilement appelée « modèle de séparation » (modèle israélien plus précisément) dans 600 quartiers populaires subtilement appelés « territoires perdus de la République » ;
2. L’autorisation pour les policiers de tirer face aux « fuyards » refusant d’obtempérer et aux feux d’artifices ;
3. Qu’on leur donne carte blanche pour la lutte contre la drogue, en prenant pour modèle celle de Duterte aux Philippines (environ 12 000 morts en moins de 5 ans [3]) et de Bolsonaro au Brésil (alors que 38% des personnes tuées dans la ville de Rio de Janeiro l’ont été par les forces de l’ordre en 2018 [4]).

C’est dans ce contexte (la lettre fasciste, le débat sur les violences policières désormais inévitable dans la sphère médiatique, les lessives répétées de l’IGPN, les interminables virages sécuritaires, les quarterons de généraux factieux, le procès inique intenté par les policiers assassins à Assa Traoré, les morts, les blessés, les mutilés, etc.) que Fabien Roussel a appelé ses camarades à se joindre à la manifestation policière organisée le 19 mai - et à ne pas participer à celle du 12 juin contre les idées d’extrême droite.

La pourriture, stade suprême de la dégénérescence

Non, le Parti « communiste » français ne traverse pas une mauvaise phase. Non, la candidature de Fabien Roussel et ses prises de position ne sont pas des anomalies. Ce qui se déroule sous nos yeux est la conséquence des compromissions et des trahisons qui ont rythmé la vie de ce parti au moins depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, après laquelle le parti a désarmé ses partisans avant d’amorcer son processus de droitisation, jusqu’à abandonner l’objectif de la conquête du pouvoir. Exit l’internationalisme, le centralisme démocratique, la lutte des classes et la dictature du prolétariat : vive la production française, les profs, les programmes communs et les postes aux ministères.

Ce qui reste de cette organisation, c’est un cadavre putride à dégoûter les croque-morts les plus aliénés. Certes, on trouvera toujours des sociologues, des fils et des profs et autres futurs personnels d’encadrement de la société capitaliste, pour nous brosser une nécrologie impeccable du parti, et tenter de faire oublier ce qu’il est : le parti du bulldozer de Vitry [5] et des avions de Sétif, de Guelma et de Kherrata [6]. Celui qui, devant l’Assemblée nationale le 11 juillet 1945, dénonçait les émeutes anticoloniales du peuple Algérien comme un complot fasciste. Celui des petits bureaucrates en carton, aussi obnubilés par leurs pourcentages que les moules par leur rocher, qui versent dans l’opportunisme le plus crasse et le plus droitier, prêts à tout pour se racheter une place dans les sondages, surtout à aller siphonner les réservoirs de l’extrême droite et de ses faux adversaires. Les masques tombent, et ils continueront de tomber. Supprimer des brigades canines et mettre des LBD au placard dans des municipalités à droite à gauche ne saurait relever d’autre chose que de l’anecdote anachronique.

Il est évident que toute organisation prétendument progressiste qui déciderait de se lier au parti de l’ordre en faisant passer la ségrégation policière des classes populaires pour une mission de service public devra être traitée en conséquence.

Un incontrôlé à la colonne de fer

Notes

[5Le 10 janvier 1980, le maire « communiste » Paul Mercieca envoyait un bulldozer escorté par des militants de son parti pour déloger 300 travailleurs immigrés maliens qui occupaient un foyer dans sa commune. Georges Marchais prit la défense de son ami et camarade en affirmant que ces travailleurs immigrés avaient été envoyés là par le maire giscardien de la commune de Saint-Maur dans l’objectif de noyer Vitry sous les travailleurs immigrés et que, comme Vitry en comptait un nombre déjà élevé, il était tout naturel de les en chasser. On retiendra également l’attitude du Parti « socialiste » qui désapprouva le geste d’une main pour demander qu’on freine l’immigration de l’autre, en affirmant que le vrai racisme, c’était de nier les difficultés que posaient tous ces travailleurs immigrés aux municipalités où il s’entassaient. Pour en savoir plus sur l’affaire du bulldozer : https://sinedjib.com/index.php/2020/08/15/vitry-reformisme-raciste/

[6Maurice Thorez s’était opposé à ce que Charles Tillon, alors ministre PCF de l’aviation, démissionne après les massacres, pour ne pas perdre les sièges relativement inconséquents mendiés à l’État bourgeois. Pourtant, le ministère de l’aviation était loin d’être un ministère-clé, ce dernier pouvant à tout moment être court-circuité par l’État-major de l’Armée.

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