On est là où on se sent utile. Suite à « Place de la République : l’insurrection qui se perd »

Si des anarchistes, toto, squatteurSes, anticapitalistes, antifas et révolutionnaires de tous les pays ne sont pas à République c’est un choix assumé. Y voir un dédain ou un purisme révolutionnaire est une explication bien réductrice de leurs positions. Et comparer ce dédain fantasmé au mépris qu’on les patrons face aux ouvriers est injuste. Les employeurs dominent leurs employéEs mais les révoltés qui boycottent République n’impose un pouvoir à personne.

Il y aurait un potentiel insurrectionnel place de la République et ne pas participer à l’évènement reviendrait à laisser l’embrasement filer entre nos mains.
Affirmer qu’il s’y joue quelque chose qui devrait être la priorité des priorités dans les agendas des autres, est un avis parmi tant d’autres que tout le monde ne rejoint pas. Il peut d’ailleurs être perçu comme une douce injonction et comme une culpabilisation des absentEs. Personne n’a signé de contrat pour un poste de petit soldat de la révolution permanente. Et nous n’allons pas établir des fiches de présence et coller des blâmes aux personnes absentes et leur faire porter le chapeau si une initiative collective capote.

On n’est pas là ou certainEs voudraient que l’on soit parce qu’on est mobiliséEs ailleurs. S’il est important de tisser des liens et des passerelles en dehors de notre quartier et de notre milieu d’activiste, il faut accepter l’idée que tout le monde n’a pas envie de s’éparpiller, d’être partout et nulle part à la fois.
Si des personnes ne souhaitent pas prendre part à l’espace République diurne ou nocturne, on peut commencer par se dire qu’elles ont sûrement de bonnes raisons à cela et que leur choix est un minimum réfléchi, aussi réfléchi que celui des personnes qui ont décidé de s’y investir.
Pour beaucoup, cette initiative Nuit Debout et pas mal de choses qui gravitent autour sont une impasse qui les mettent mal à l’aise et leur semble être une perte de temps. Un temps précieux en vue d’autres initiatives organisées en marge de Répu et qui ont une certaine importance.
La lutte et l’espoir sont en ce moment en dehors de cette place.

Évidement on préfère voir du monde se parler et occuper la rue façon Nuit Debout, plutôt qu’en mode clients bien rangés dans les espaces de consommation (bar, magasin, terrasse).
Mais tous les flux à l’intérieur et autour de la place sont parasitaires à des formes de discutions constructives et sereines. Les personnes allant et sortant du métro pour partir ou revenir du taf, les personnes faisant du shopping dans les magasins, tous les commerces qui tournent, les voitures et les bus qui circulent, etc. Sans compter les caméra hight-tech qui dominent l’espace et le nombre de flics du renseignement avec un micro sur eux.
C’est au milieu de tout ce beau merdier, puant la normalité que l’on se coltine chaque jour, que pourrait jaillir la petite étincelle censée mettre le feu aux poudres ?
De la contestation pacifiée en plein milieux des flux, c’est là tout le paradoxe et c’est ce paradoxe qui rebute à juste titre tout un tas de personnes.
Aucun mépris, juste une façon de se protéger et d’assumer le fait que notre place n’est pas là-bas mais dans des espaces de luttes qui nous correspondent et dans lesquels on se sent plus utile. Il y a des combats qui nous parlent plus que d’autres selon nos sensibilités et notre situation sociale. Personne n’a de leçon à donner à personne.

C’est parfois constructif de se confronter à des personnes issues d’horizons divers.
Il est important de ne pas perdre pied avec la réalité, de se confronter aux autres et de rester en contact avec eux, même si ils ne pensent pas comme nous. Il serait dommage de couper les ponts avec des gens pour un seul propos qui nous a contrarié. Il faut parfois prendre sur soi et prendre du recul. Apprendre à connaître l’autre en profondeur, cerner ses contradictions et discuter avec lui pour vérifier si les portes sont si verrouillées que ça et voir si il n’y a pas moyen malgré tout d’avoir un terrain d’entente qui puisse servir de base à d’autres ouvertures.
Personne n’est né politisé, on a toutes et tous sorti de la merde avant de l’être. Il faut donc rester humble avec notre parcours et se souvenir que les discours normatifs qu’on a pu trimballé ne se sont pas déconstruits en un claquement de doigts. Il est facile de répéter mot pour mot ce qu’on a lu dans une brochure ou entendu dans la bouche d’une autre personne, mais se déconstruire en profondeur prend beaucoup plus de temps.
Il serait donc injuste de ne pas accorder aux autres ce que d’autres nous ont accordé en d’autres temps : le droit inaliénable de dire de la merde à un instant T et d’avoir le temps de se remettre en question ! (Un brin d’humour).

Mais ne soyons pas naïf car toutes les rencontres ne sont pas positives. Notre voisinage n’est pas constitué de personnes ayant en leur for intérieur, une révolte qui ne demande qu’à se politiser dans le sens de l’émancipation collective et de l’anti-autoritarisme. Croire le contraire c’est s’assurer de tomber dans un militantisme aliénant. Ne laissons pas notre révolte se diluer dans des discussions qui n’en finissent pas de tourner en rond, au nom de la tolérance.
Pour les personnes ouvertes, la vie est déjà faite de rencontres multiples et improbables que ce soit dans ou en dehors des milieux politisés. République leur apparaît alors comme une opportunité de rencontre plutôt banale au final. Sans enjeu majeur et sans potentiel de débordement. Cet espace est plutôt vécu comme relou, violent et non safe. Aucune raison valable de s’infliger une obligation de présence là bas. Semons plutôt les graines là où la terre nous semble fertile.

A cultiver l’entre soi on finit à prêcher dans le désert, mais à force de consensus on finit par se noyer dans la normalité.

Suite à « Place de la République : l’insurrection qui se perd »

Mots-clefs : nuit debout
Localisation : Paris 3e

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