Cet été, nous avons assisté bouche bée, en pleine canicule et mise en lumière du réchauffement climatique, au pire : des cyclistes, dont certains présumés infectés au covid, qui roulent, parfois malades, en plein cagnard. Des voix se sont-elles élevées pour dénoncer :
- le fait qu’on laisse ces personnes faire du sport avec une maladie aux diverses conséquences cardiovasculaire, dans des conditions mettant en danger leur santé et leur vie ?
- le fait qu’on continue ces grands raouts sportifs, à l’instar des JO, des championnats de foot au qatar en stades climatisés, représentants indignes de la surconsommation et de la production effrénée de carbone, et des pires conditions de travail ?
Non. On a balancé des tonnes d’eau sur le goudron noir des routes de France pour rafraîchir les cyclistes, en pleine sécheresse historique, et alors même que l’eau est une denrée de plus en plus rare (et qu’il va falloir changer nos pratiques). Mais bordel ! C’est la honte. “Et que la fête continue…”
Il va falloir réfléchir aux points communs de ce duo que l’on voit régulièrement surgir, au fil des évènements : le réchauffement climatique et la crise pandémique.
Les points communs
Plusieurs éléments sont frappants :
- le déni, dans les deux cas. On parle bien du réchauffement climatique et de la pandémie comme d’une réalité. Malgré tout, pour les deux, des mesures efficaces sont éjectées avant même d’avoir été étudiées. Il faut réellement avoir l’urgence chevillée au corps pour prendre des mesures, parfois d’ailleurs trop tardives, absurdes et peu efficaces car faites dans la précipitation. Le déni de la science également : on laisse de côté les publications scientifiques pour se reposer sur nos croyances : dans le cas du covid, ce sera par exemple la non prise en compte du covid long ou de la multiplication des accidents cardiovasculaires post covid. Dans le cas du réchauffement, ce sera mettre de côté les mesures réellement efficaces (et restrictives), et se répéter une petite fable de type conte de fées, imaginant un progrès technique venant nous sauver… un jour. Et en attendant on laisse Bernard Arnault dépenser 16000 t de CO2 par an pour ses aller-retour en jet privé.
- Ce sont les deux thématiques pour lesquelles notre gouvernement (par le biais de Mr Braun) a annoncé clairement qu’il allait “falloir vivre avec”, actant par cette simple phrase qu’ils n’allaient rien tenter de réellement efficace, et qu’on allait juste accepter de baisser notre espérance et qualité de vie.
- Au niveau politique, les deux sujets sont traités non pour leur fond, mais comme “objets de récupération de voix”. De tous bords, nous voyons avec horreur les partis politiques : soit invisibiliser le sujet, soit d’un coup s’emparer de la question et se rapprocher de l’autre bord de l’échiquier politique, tels des poulets sans tête affolés. Nous avons ainsi dû subir, concernant le covid, la drague honteuse des antivax de la part de LFI (qui les a rapprochés du RN), et pour l’environnement, la récupération ridicule du sujet par Macron entre les deux tours (ça n’a pas duré longtemps, d’ailleurs).
- Pour ces deux thématiques, le business du sport est plus important que les vies humaines : pour le covid, en pleine crise des hôpitaux en Italie, on maintient le match à Lyon, permettant au virus d’arriver en masse sur le territoire encore plus vite que prévu. Pour le réchauffement, l’exemple du tour de France et du déversement de tonnes d’eau sur les routes est suffisamment parlant, mais à vrai dire, ceux-ci sont tellement nombreux qu’il n’est sans doute pas utile de tous les citer.
- Certains pensent que le réchauffement climatique nous emmènera dans une “ère de pandémies”, car les virus passeront plus facilement d’une espèce à une autre, car les espèces vont devoir fuir leurs écosystèmes initiaux, qui ne sont plus adaptés.
- Notons enfin que le manque d’imagination sur ces sujets, globalement, est flagrant. Notamment chez nos artistes “chevaucheurs de tigre”, ou nos acteurs du sport et de la culture. Que ce soit les gros festivals de musique type Hellfest, les salons (Angoulême), etc : si on ne les force pas, ils ne font rien (à l’exception notable et bienvenue cette année, du festival “Ouest hurlant”). Pour éviter des clusters de covid, ou pour limiter les déplacements et la consommation de carbone, il est évident qu’il faudrait plutôt multiplier les petits événements à taille humaine, et y mettre des mesures sanitaires. Le but n’est pas d’empêcher la pratique du sport ni la pratique culturelle, bien sûr : mais quel intérêt, supérieur à la défense de l’environnement et de la santé (et la vie humaine !), fait qu’on maintient “tels quels” ces gros événements surdimensionnés et capitalistes ? Est-on vraiment dans l’impossibilité d’imaginer le sport, la musique... autrement que dans ces grands raouts qui obligent à tant de déplacements, de consommation et gaspillage, ainsi que de rassemblements de masse humaine ?
La réaction des personnes du monde de la culture face à la crise covid est là encore révélatrice : “Danser encore”, dira HK les saltimbanks. Mais oui, dansons pendant que le monde crève de chaud la gueule ouverte et qu’on sacrifie inutilement les plus fragiles, crachons sur les 150 000 morts directs de la pandémie, piétinons toutes les valeurs humanistes qui ont fait de nous société (et que nous continuons à défendre hypocritement) : cela nous évite d’avoir à supporter la moindre frustration.
Des différences cependant
Pourtant, il est considéré comme normal par à peu près tout le monde, dans une conversation, de s’inquiéter vivement du réchauffement climatique, d’assurer qu’il va falloir faire des efforts importants, de demander des politiques qu’ils s’emparent du sujet. Par contre, avec le covid, TABOU. Il ne faut pas demander aux gens de porter un FFP2 pour protéger leurs citoyens. On nous traite de trouillard, on virilise. Quand vous évoquez l’aération des lieux clos dans les écoles et les masques au-dessus d’un certain seuil épidémique, on ricane. Pire, le dernier protocole sanitaire ne prévoit plus de tests. Alors même que 40 000 personnes décèdent par an, que d’autres sont handicapées par la maladie, qu’on découvre des séquelles cumulatives sur les organes, qu’on voit les vagues être de plus en plus rapprochées et les retentissements sur tout le système de santé (que ce soit pour la prise en charge de ces malades ou tout simplement l’absence de travailleurs, en covid aigu ou long). Que l’on voit le Monkeypox arriver, et les mêmes éléments de langage se mettre en place (lorsqu’il y en a, puisque la tendance est à invisibiliser les épidémies), sans aucune réaction.
Le but n’est pas, bien entendu, de mettre en concurrence ces deux sujets. Plutôt de mettre en lumière qu’il faut parfois savoir demander des mesures difficiles, impopulaires, pour enfin agir ; ne pas se contenter de pirouettes, et cesser de flatter les bas instinct du “profitons maintenant, tant pis pour les suivants”. bref, devenir adultes, responsables.
Questions aux militants et à la gauche écologiste
Cela nous emmène à la grande question à poser à tous les sympathisants de la lutte écologiste, notamment : Expliquez-nous comment des personnes qui luttent contre le réchauffement climatique peuvent-elles espérer la moindre action restrictive en termes de consommation énergétique, alors qu’elles-mêmes parfois (ou la population française en général) est incapable de mettre un masque en lieux clos pendant 10 minutes, tels qu’en pharmacie, bureau de vote ou supermarchés, ou un peu plus longuement dans les transports en commun (alors qu’il peut sauver directement des personnes en empêchant la moindre contamination) ? Comment peut-on imaginer que les gens vont s’imposer les contraintes énormes nécessaires pour cette lutte climatique, alors que la moindre petite contrariété telle que le masque, ou ouvrir des fenêtres, leur est insupportable ?
Au niveau de la gauche de parti, comment les députés LFI, censés être porteurs de ces demandes environnementales (cf leur programme), peuvent-ils concilier un tel déni pandémique avec leurs visions écologiques ?
Comment peut-on rester mutique face à une pandémie, alors que l’on sait que le réchauffement climatique va en amener de plus en plus, déplorer la sixième grande extinction des espèces (-60% des vertébrés sur l’ensemble des forêts européennes en 40 ans, dont un tiers d’oiseaux en moins) sans constater que le phénomène touche désormais, déjà, l’humanité ?
Comment peut-on soutenir le principe de précaution pour l’environnement, alors qu’on le dénie totalement lorsqu’il est question de nos propres enfants et de leurs multiples contaminations covid à l’école ?
Comment peut-on accepter sans souci la ségrégation des plus vulnérables, contraints eux, encore, à l’isolement face au covid en roue libre ?
L’absence de réaction face à la décision de laisser les plus fragiles se faire infecter dans l’endroit où ils devraient être protégés — l’hôpital — laissera des traces. Ce silence est coupable. Même les associations de malades sont peu voire pas du tout réactives (à l’exception de celles qui concernent les immunodéprimés peut-être. Et encore, aucun procès pour inaction n’est en cours par exemple).
Nous voulons des réponses. Nous avons notamment interrogé les élus, par des lettres ouvertes aux députés, par des mails et questions sur les réseaux sociaux, nous avons réagi en les voyant s’activer uniquement pour flatter leur partie d’électorat antivax. Nous n’avons jamais eu la moindre réponse étayée. Nous posons la même question à la population, aux militants, aux organisations de soignants, aux syndicats enseignants, aux compagnons de luttes, aux amis, aux personnes avec qui nous pensions partager des idéaux communs (de solidarité notamment). La réponse en général, se résume à un haussement d’épaules. Une mobilisation à ce sujet leur semble impensable.
Le déni prend sa forme, ici, la plus malsaine : le mutisme. Dans le cas des députés, on imagine bien le raisonnement enfantin : “Si je dis rien, on pourra pas me gronder, d’abord”. “Je ne me ferai pas d’ennemis en demandant masques, aération et vaccination, je veux pas fâcher mes copains”. Et avec ahurissement et frayeur, nous nous rendons compte que ce sont des enfants gâtés qui portent le message progressiste en France en matière d’environnement et de santé publique.