Notes blanches #1 : « La force de l’ordre », enquête au sein de la BAC parisienne

Ces « notes blanches » sont une série de fiches de lectures qui parcourent des publications plus ou moins récentes sur des thèmes concernant de près nos luttes : police, justice, surveillance, etc. Ces fiches tentent de donner une vision globale et cohérente de ces problématiques, dont chaque livre recoupe une ou plusieurs. Cet ensemble peut servir d’appui à une réflexion sur nos pratiques militantes, notamment dans le contexte de l’état d’urgence et la politique sécuritaire post-attentats. Pour ce premier épisode, on a lu le livre de Didier Fassin, « La force de l’ordre ». Article initialement paru sur Rebellyon.info.

Si nombre de militant-e-s et habitant-e-s des quartiers populaires connaissent fort bien les « modalités d’intervention » de la police, ce n’est pas le cas du grand public. L’institution policière cherche de plus en plus à s’éloigner des regards. Pour Didier Fassin, là est « l’enjeu de l’interdiction des travaux de sciences sociales sur la police, tout du moins ceux qui ont pour objet d’observer sur le terrain les modalités de son intervention : la disparition d’un regard extérieur sur l’action de la principale institution à laquelle l’État délègue l’usage légitime de la force » (p. 39) [1]. La fermeture de l’institution à la recherche, décrite par l’auteur dans le premier chapitre, témoigne donc d’une volonté des forces de l’ordre de soigner leur image. Le fait que les policiers ciblent désormais les personnes documentant la répression en manifestation procède de la même dynamique. En l’état actuel des choses – soutien aux forces de l’ordre après les attentats, islamophobie, état d’urgence, répression du mouvement contre la loi travail – la (re)lecture de ce type de recherches ne peut pas être une perte de temps.
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Didier Fassin donc, a eu la chance de pouvoir enquêter au sein d’une BAC de banlieue parisienne, et ce livre est le fruit de plus d’un an d’observation (de mai 2005 à février 2006 puis de février à juin 2007). Chaque chapitre du livre aborde un des thèmes qui a pu se dégager de l’enquête, et mêle descriptions de situations et éléments plus théoriques. Mais surtout, le livre regorge d’« anecdotes » toutes plus effarantes les unes que les autres. Repartons pour l’instant d’un constat dressé par de précédentes enquêtes sur la police, et que l’auteur reprend à son compte : « Il était désormais établi (…) que sillonner la ville en voiture sans objectif précis en attendant des appels ne se justifiait ni pour lutter contre les délinquants et les criminels ni même pour rassurer les résidents par une présence visible » (p. 112). Et partant de là, posons-nous naïvement la question : à quoi sert la BAC ?

Politiquement, et comme de récents sondages l’ont montré, les policiers sont très majoritairement de droite, a fortiori ceux exerçant dans la BAC. Le local de l’unité suivie par Didier Fassin était orné d’un drapeaubleu-blanc rouge décoré d’un casque franc sur lequel était inscrit « 732 » [2]. Ce dessin existait aussi en t-shirt, que les baqueux n’hésitaient pas à porter pendant leur service. Tout comme nous avons vu l’imaginaire raciste et néocolonial des fonctionnaires de la BAC, les valeurs portées par les brigades « mettent en jeu la virilité, la force et l’ordre » (p. 264), valeurs typiques des milieux d’extrême-droite. Au sujet des unités de la BAC, l’auteur en vient à parler de « paramilitarisation », c’est-à-dire « cette tendance à ajouter ou substituer aux forces de l’ordre régulières des brigades que leur mission, leur tenue, leur armement, leur style d’intervention et leur rapport à la hiérarchie situent à la marge du dispositif officiel » (p. 266).

Par ailleurs, les baqueux ne sont jamais recrutés dans leur région d’origine. Ils sont souvent de jeunes hommes blancs, issus de milieux populaires, voire de la campagne, et à leurs yeux « les habitants des quartiers [ne sont] pas seulement des étrangers, ils [sont] aussi des ennemis. Le sentiment de la différence [suscite] des expressions d’intolérance. La perception de l’hostilité [conduit] à un imaginaire de la guerre » (p. 75), ce dernier étant par ailleurs entretenu par les discours politiques et médiatiques sur « l’identité nationale ». Les habitants sont aussi vus comme des « sauvages » et les cités comme des « jungles », dans la lignée d’un imaginaire bien colonial… Mais rassurons-nous : « Un commissaire m’expliqua qu’on avait récemment introduit quelques enseignements d’anthropologie dans certaines formations d’étudiants policiers, afin de les sensibiliser aux diverses cultures auxquelles ils pouvaient être confrontés ; quand, impressionné mais intrigué, je lui demandais qui en était chargé, il me précisa que ces cours étaient dispensés par des fonctionnaires des renseignements généraux » (p. 74).

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