Le vert est la couleur du dollar. À propos de Greta et de la transition technologique

Peut-on parler de « croissance verte » et de « développement durable » ? Et de quoi s’agit-il ? La destruction des milieux naturels met-elle en danger le capitalisme, ou seulement les populations ? Quelles sont les raisons de l’échec de toutes les négociations sur le climat ? Que seront les « luttes climatiques » à venir ? Autant de questions auxquelles ce texte tente d’apporter un début de réponse.

Depuis une trentaine d’années, on assiste d’une part à une prolifération de discours et d’analyses tant politiques que médiatiques sur l’urgence que revêtent les questions du réchauffement global et de la destruction des milieux naturels, et d’autre part à l’échec de toutes les actions visant à imposer des conditions à l’activité économique afin de limiter les dégâts occasionnés. Alors que chacun s’accorde à reconnaître qu’il faudrait faire quelque chose, rien de significatif n’est entrepris, hormis les incessantes campagnes de responsabilisation des individus des pays développés, la suppression des gobelets en plastique dans les entreprises et des sacs aux caisses des supermarchés, le parking payant en ville et la taxation des carburants. Toutes ces mesures laissent à penser que le poids des actions menées repose punitivement sur les particuliers seuls. De plus, elles apparaissent comme dérisoires face à l’ampleur du problème, quand elles ne visent pas simplement à remplir les caisses de l’État ou à engraisser les capitalistes en stimulant l’activité économique (renouvellement du parc automobile, secteur du recyclage des déchets, normes environnementales sur les bâtiments, etc.).

Pourtant, rien ne semblerait devoir autant relever de l’intérêt général que ces questions : on peut à la rigueur se moquer de la disparition des orangs-outans, mais un réchauffement global significatif toucherait par définition tout le monde, et les conséquences commencent à s’en faire sentir. Pourquoi donc, dans un monde où les crises économiques comme les guerres sont mondiales, et où leurs conséquences sont gérées mondialement, dans un monde pourvu d’institutions comme le FMI, la Banque mondiale ou l’ONU, ne parvient-on pas à se mettre mondialement d’accord, dès lors qu’il est bien clair que chacun est menacé, et que le consensus apparaît comme général ?

La réponse donnée à cela est le plus souvent : il y a des intérêts économiques puissants qui s’opposent à la volonté générale, et qui font que les citoyens comme les États sont impuissants. Cette manière d’envisager les choses repose sur la croyance en une opposition entre politique et économie, et sur l’idée selon laquelle ce qui relèverait de la société et ce qui relèverait de l’économie serait le lieu d’un antagonisme, pour l’heure favorable aux instances économiques, lesquelles devraient être remises à leur juste place, c’est-à-dire subordonnées à la société, incarnée par l’État. Le moyen d’arriver à cette fin est un combat politique visant à transformer les États gangrenés par la puissance économique pour finalement les faire correspondre à leur vraie nature démocratique, qui serait de représenter efficacement l’intérêt général.

Cette conception des choses, qui est le récit sur lequel se fonde le combat politique actuel autour de la question climatique, est évidemment fausse, parce qu’idéologiquement construite à partir de la supposition que les institutions démocratiques seraient là pour résoudre les problèmes posés par le capitalisme. Ici, l’État n’est pas analysé comme un acteur capitaliste particulier, dont les intérêts sont largement identiques à ceux des entreprises petites ou grandes qui existent sur son sol ou y font transiter leurs capitaux. La démocratie elle non plus n’est pas envisagée comme le système où l’égalité supposée des individus est là pour garantir la liberté d’entreprendre, et donner un cadre adéquat aux rapports sociaux capitalistes. Ici, la justice ne sert pas à protéger la propriété privée, mais à faire régner l’harmonie et la paix entre les citoyens. La société elle-même n’est pas envisagée dans sa subordination au capitalisme ni les rapports sociaux sous leur aspect économique. Ici, dans le monde merveilleux de l’idéologie, les professeurs ne produisent pas des forces de travail selon les standards particuliers à une époque de la production capitaliste, ils transmettent des savoirs. Ici, lorsque l’État investit dans des infrastructures, il ne vise pas à fluidifier la circulation des capitaux, mais à moderniser le pays. Ceux-là mêmes qui se moquent des grands discours qui ont servi de justification à l’entreprise coloniale et à sa « mission civilisatrice » se gargarisent aujourd’hui des mots de croissance verte ou de développement durable, fadaises qui n’ont d’autre sens que celui d’accompagner en douceur le désastre.

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