Le déconfinement a commencé. Les activités et lieux où les personnes peuvent se croiser ou pratiquer des activités rouvrent tout doucement, amenant son lot de questions et de tentatives d’adaptation. Ce texte, loin d’être complet et suffisamment approfondi n’a pas été écrit pour dicter des comportements mais plutôt pour se questionner sur les dérives éventuelles et les écueils que la gestion de la crise sanitaire dans nos collectifs peut entraîner. Il s’agit de pistes de réflexions qui peuvent être complétées et adaptées aux spécificités et volontés politiques de chaque groupe. Ce texte manque sûrement d’imagination, les pistes de réflexion et d’organisation qui y sont évoquées sont inspirées de pratiques et de comportements que nous avons déjà, il y en a beaucoup d’autres qui peuvent être créés mais par manque de temps et de discussions de groupe apaisées, ce sont les seules qui sont parues évidentes et accessibles car déjà assimilées et réfléchies dans nos pratiques courantes.
L’État, sa gestion et notre prisme d’analyse
Quel est le sens politique de se baser sur les exigences du gouvernement quand on vise une autonomie vis-à-vis de l’État ? Nos collectifs sont habitués à s’affranchir de ces consignes étatiques quand elles n’ont pas de sens. Est-il réellement nécessaire de s’affranchir de consignes qui ont du sens collectif ? On peut lutter contre la manière dont une règle est mise en place, sans pour autant contester la mesure en elle-même, ou encore considérer que la mesure est insuffisante d’un point de vue sanitaire. L’État a mal géré, de nombreuses critiques peuvent lui être adressées.
Le seul avantage que présente la pandémie, est qu’on peut observer d’autres gestions que celles mises en place par notre État. L’exemple de la Suède peut être inspirant, pas de restrictions, uniquement des recommandations. L’exemple de la Corée du sud, des tests massifs et la mise en place d’une surveillance numérique forte, en est un autre, celui des États-Unis ou de la Chine sont aussi à observer.
Par contre, médicalement, aucune de ces solutions n’a porté ses fruits dans la lutte contre le virus et les systèmes de santé de ces pays qui se sont permis d’autres gestions sont bien plus forts que le nôtre. Il faut admettre que les États touchés par le corona, quels qu’aient été leurs choix politiques durant cette pandémie, aucun n’a réussi à passer à un stade épidémique correct pour continuer à vivre comme nous en avions l’habitude.
La radicalité de principe qui pousse à critiquer l’État, sa gestion et ses mesures est un réflexe fréquent et bien naturel. Être contre ce que l’État fait car on est contre l’État. Et parce qu’il a prouvé à de maintes reprises qu’on ne pouvait compter sur lui pour organiser nos vies. Mais si on souhaite s’affranchir de l’État, s’organiser sans lui, quel est l’intérêt de prendre en compte son avis ? Quel est l’intérêt d’appliquer bêtement des mesures grand public ou de les rejeter en bloc parce que cela vient de l’État ? Ne vaut-il pas mieux nous interroger quant à la finalité de ces mesures et à leur importance médicale plutôt que de considérer que si c’est autorisé/interdit c’est ok ?
Ce ne sont pas des pratiques courantes de respecter les mesures gouvernementales sinon beaucoup de squats ou de manifs n’auraient jamais existé. Peut-être que la radicalité au temps du corona c’est bien de constater que l’État est défaillant et qu’il ne fournit pas les moyens nécessaires pour lutter contre l’épidémie, par conséquent de s’intéresser à la réalité médicale pour mettre en place nos propres règles sanitaires tout en les adaptant à nos valeurs. N’a-t-on pas l’habitude de pallier ses défaillances et de nous organiser sans lui ?
Dans cette configuration, quel est l’intérêt d’en faire moins que ce qu’il demande alors que la réalité médicale voudrait qu’on en fasse plus ? La radicalité et le principe d’organisation collective qui est prôné doit peut-être passer par la mise en place de mesures sanitaires plus précautionneuses que ce qui est demandé actuellement. Pour protéger les soignants, pour inclure les plus fragiles, pour rompre l’isolement plus rapidement… Les intérêts poursuivis peuvent être nombreux, mais semblent tous hors de portée dans un futur proche. Cela crée une frustration bien compréhensible et nous pousse à prendre des mesures d’urgence qui devraient être réfléchies en profondeur. Notre impatience nous pousse peut-être à l’incohérence.
Si on est contre la réouverture des écoles et la reprise du travail car on juge ces mesures incompatibles avec la pandémie, comment se trouver cohérent en soutenant une activité sanitairement moins réfléchie qu’un protocole long et contraignant, tel celui mis en place dans les écoles, et qui se révèle insuffisant médicalement ?
L’État, les soignants et nous
La situation est exceptionnelle et les réactions le sont aussi. Pour tenter d’y voir plus clair, la seule urgence est de sortir de l’émotionnel et de s’extraire de la temporalité de crise. Cela permet d’avoir accès à une réflexion plus poussée sur nos volontés et nos actes mais également d’éviter les situations où les tensions personnelles ou les spécificités relationnelles soient instrumentalisées dans le cadre d’une réflexion sur la gestion sanitaire. Pour bon nombre de personnes, se protéger du corona n’est pas un choix mais une question de survie.
Les choix personnels ont un impact collectif fort. La pensée globale et l’analyse rationnelle des moyens de gestion de la crise doivent être réfléchies.
En effet, quels que soient les ressentis et situations et choix individuels, il faut rationnellement observer ce que nous venons de vivre d’un point de vue médical. En effet, le confinement a été imposé pour une raison simple : les capacités de l’hôpital étaient insuffisantes. Le nombre de personnes contaminées augmentait et par conséquent le nombre de cas graves nécessitant des soins longs, et lourds également. Matériellement et humainement l’hôpital ne pouvait pas endiguer un tel afflux de malades : manque de personnels, manque de moyens médicaux, manque de protections individuelles…
Le nombre de lits en réanimation a été augmenté lors d’un plan d’urgence qui a permis de quasiment doubler les capacités. Ces lits ont été tous occupés, en particulier dans les régions les plus touchées comme le Grand Est. Réduire les interactions sociales et donc le taux de contamination était la seule solution pour garantir à tous un accès au soin. Cela a à peu près fonctionné mais, l’État étant comme souvent défaillant, cela s’est fait au détriment des équipes soignantes. Elles bénéficient actuellement d’une accalmie nécessaire qui permet de reprendre des forces humaines et de reconstituer des stocks de matériel.
Dans les régions les plus touchées, seule 5 à 7 % de la population a été contaminée.
Les partisans de l’immunité collective ne sont pas sans savoir que le taux de contamination doit être de l’ordre de 65 % pour produire un effet. L’hôpital n’est pas en capacité d’endiguer un tel nombre de malades. Il faudrait qu’il vive la vague que nous venons de traverser plusieurs fois de suite pour arriver à avoir assez de personnes contaminées dans notre société. Ils ne peuvent pas.
Nous pouvons nous interroger au quotidien sur les répercussions de nos actes sur eux.
Quelle place laisser à l’avis et aux recommandations des soignants dans notre manière de penser le déconfinement ?
Arrêter d’analyser ce que nous vivons à travers le prisme de l’État mais nous pencher sur ce que vivent les personnes compétentes et exposées. Chacun est libre de s’auto-responsabiliser mais dans ce cas, l’analyse doit être fine et documentée. Il ne s’agit pas ici d’agir avec nos émotions mais de regarder des faits scientifiques, de les comprendre pour en tirer des leçons et pouvoir se forger une opinion réellement critique de la gestion de l’État et pour pouvoir nous forger notre propre gestion sanitaire. Au lieu de nous caler sur les mesures annoncées sur BFMTV, nous pouvons nous mettre en contact avec du personnel médical pour prendre leur avis sur ce que nous mettons en place et pour nous éclairer sur ce que nous ne comprenons pas, sur ce qui nous semble dénué d’intérêt ou juste émaner d’une volonté de contrôle de la part de l’État.
Nous devons également nous questionner sur les raisons qui nous poussent tous et toutes à respecter des mesures sanitaires. Les personnes qui ont suivi un confinement strict, l’ont-elles fait parce qu’elles respectaient les consignes gouvernementales, parce qu’elles avaient peur de la répression ou parce qu’elles y voyaient un intérêt médical ? Un intérêt personnel ? Un intérêt collectif ?
Nos repères sont bouleversés. Qui écouter ? À qui se fier ? Sommes-nous suffisamment compétents pour prendre des décisions éclairées ? Dans le cadre de la répression, il est admis que les avocats ont une expertise intéressante. Nous réfléchissons depuis longtemps aux questions juridiques et parmi nous beaucoup sont suffisamment compétents pour être critique de l’action des avocats. Mais la collaboration avec les avocats s’impose comme une évidence pour vérifier les informations et prodiguer des conseils expérimentés ou faire des démarches spécifiques. Le même procédé peut être mis en place pour décider de nos orientations sanitaires. Quand on n’a pas la compétence au sein de notre groupe, on va la chercher ailleurs. La réappropriation des savoirs est déjà une pratique courante dans nos collectifs, il y a peu de choses à réinventer.
Le déconfinement n’est pas synonyme de fin de l’épidémie. Il est juste le signe que l’État poursuit des objectifs économiques et que le nombre de places disponibles en réanimation est jugé suffisant pour accueillir les futurs malades. Avec le déconfinement, le taux de contamination au coronavirus sera plus élevé, par conséquent plus de lits seront occupés. Qu’en est-il des capacités humaines des soignants ? Beaucoup le disent, ils ne pourront pas se permettre d’affronter à nouveau les tensions et surcharges auxquelles ils ont dû faire face ces derniers temps. Mais peut-être que pour prendre conscience de l’ampleur de ce qu’ils ont traversé et des conséquences de nos actes individuels et collectifs, le meilleur moyen est de leur demander directement.
Se donner les moyens de son autonomie sanitaire, penser nos gestes
Ne pas envisager de constituer une puissance matérielle forte pendant cette pandémie, c’est laisser le soin à l’État de gérer la crise et être tributaire de ses distributions, de ses tarifs ou de ses pratiques libérales. C’est laisser les plus fragiles à la merci du système capitaliste. La fabrication de gel, de savons et de masques peuvent devenir des activités à part entière au cours des prochains temps, au même titre que les concerts de soutien et les cantines. Si l’approvisionnement matériel dépend de l’État, l’autonomie sanitaire n’aura pas lieu ou sera faite au rabais, et de manière excluante envers les plus précautionneux et les plus fragiles. Le confinement s’est fait en réaction à des manques. Des manques de matériels de protection individuels, des manques de personnels soignants, des manques de matériels médicaux. Pallier ces manques permet d’éviter de mettre en place des principes sanitaires au rabais car c’est matériellement trop compliqué, que ce soit à titre individuel ou collectif.
De plus, observer nos comportements à travers cette utilisation matérielle permet de prendre conscience de nos cohérences politiques ou non.
La pratique du port du masque est un point de détail intéressant dans cette réflexion car elle fait appel à différents axes de réflexion et permet de mettre en lumière des contradictions mais aussi des opportunités sur lesquelles nous devons travailler. Cette pratique est plébiscitée quand elle offre une sécurité individuelle et un outil de lutte contre la répression. Elle est discutée voire refusée quand l’objectif n’est pas de se protéger soi mais de protéger les autres. On peut trouver le port du masque nécessaire et souhaiter le généraliser en toute circonstance. On peut par contre critiquer le choix du gouvernement de l’imposer sous une forme répressive et de ne pas en mettre à disposition gratuitement pour permettre un accès égalitaire à un matériel nécessaire. On peut choisir d’en produire pour permettre un accès facilité au plus grand nombre.
Accueil de public, responsabilité individuelle, portée politique et validisme
Reprise d’activité et sens politique
La reprise d’activités et la réouverture de nombreux lieux provoquent beaucoup de discussions au sein des groupes et diverses stratégies sont envisagées ou mises en pratique.
La temporalité de cette pandémie est à prendre en compte dans ce cadre. L’espoir de découvrir, puis d’avoir accès à un vaccin ou un traitement n’est que peu probable dans un futur proche. Les statistiques montrent qu’il faut environ 2 ans de recherche médicale pour arriver à produire un remède. Les mesures sanitaires et le temps que nous allons passer à vivre avec le virus doivent donc être pensés dans une durée longue et non pas comme des adaptations temporaires dont on pourra bientôt se passer. Dans le cadre de la logique capitaliste dans laquelle nous évoluons, nous devons également nous préparer au fait que l’accès au remède sera favorisé pour les classes les plus aisées de la population, et plus difficile d’accès pour les plus précaires, tout comme l’est déjà l’accès aux soins classiques (1/3 des Français a déjà renoncé à des soins pour raisons financières).
La manière dont ces adaptations sont pensées doit prendre en compte, non pas les consignes étatiques mais la réalité sanitaire expliquée par les soignants à qui on demande d’assumer nos choix. De plus, les décisions prises et les manières d’aborder cela sont hautement politiques.
Si par la reprise de nos activités sans adaptation suffisante, on met des personnes en danger, c’est un choix politique, au-delà de la culpabilité individuelle qui pourrait être ressentie si notre activité ou notre lieu devient un foyer d’épidémie.
Dans un groupe de 100 personnes, on peut considérer que : 30 n’attraperont pas du tout le virus, 40 feront une sorte de grippe presque classique chez eux, 20 feront une grippe beaucoup plus forte que d’habitude accompagnée de symptômes spécifiques au Corona mais en restant quand-même chez eux, 8 seront hospitalisés dans un service médical simple, 2 seront hospitalisés en réanimation (et malheureusement une partie de ceux en réanimation décédera). Ces chiffres peuvent bouger, en fonction de l’accès au soin des malades. En effet, plus l’accès au soin sera saturé, plus les proches des personnes devront s’exposer au virus et prendre le risque de le faire circuler.
Est-ce cohérent de critiquer le positionnement de l’État qui pousse à une reprise du travail par soucis économique au détriment de la santé tout en organisant des activités, sans but économique, qui font courir plus de risques aux participants que l’activité professionnelle ?
L’activité a-t-elle réellement une visée sociale ou répond-elle à un besoin de se faire plaisir et de retrouver des moments d’avant ? Est-ce politiquement viable de proposer des activités moins sécurisées que le cadre professionnel tout en affirmant lutter contre l’emprise du travail sur nos vies ? Ne pousse-t-on pas les gens à se refermer sur une vie sociale uniquement basée sur les rapports sociaux professionnels ?
Le discours qui pousse à prendre des précautions est moralisant. C’est chiant la morale, c’est sûr. Mais quand on est potentiellement responsable de la mort ou de l’hospitalisation d’une personne avec qui on a été en contact, il est normal que la morale intervienne ou il est en tous cas crucial de se poser la question de notre responsabilité. Comment accepter de se faire vecteur d’un risque mortel à une personne ? La responsabilité individuelle de propager l’épidémie n’est pas une stratégie de communication, c’est une réalité médicale. Tous individuellement, nous avons un rôle à jouer dans la diffusion de l’épidémie et donc nous avons notre part de responsabilité dans les conséquences que cette propagation entraîne. Les milieux écologistes sont habitués à l’image du colibri, le petit animal qui lors d’un incendie tente de l’éteindre à hauteur de ses moyens en argumentant qu’il fait sa part. Dans une gestion d’épidémie, cette métaphore est réelle, chaque individu a un rôle à jouer en collectif, contrairement au milieu écologique où elle permet simplement de donner bonne conscience à des bobos adeptes des toilettes sèches. Le cas de la Corée du Sud nous montre qu’une seule personne peut amener 7000 personnes à devoir suivre une quatorzaine et en contaminer 54 autres.
Risques de dérives autoritaires et d’ingérence
Si on exclut des personnes en ne prenant pas des mesures suffisantes c’est un choix politique. Il faut être conscient qu’en général on en sait assez peu sur l’état médical des personnes que nous pouvons croiser et nous sommes encore plus ignorants lorsqu’il s’agit de l’état médical de l’entourage des personnes que nous avons en face de nous. Aussi, les personnes précaires sont souvent des personnes fragiles. En effet, les mauvaises conditions de vies qui sont subies, provoquent souvent des pathologies qui les rendent fragiles face au virus. De plus, l’accès au soin étant souvent compliqué pour les personnes précaires, leur état médical n’est pas la seule raison qui les rend fragiles. À ce compte-là, autant afficher clairement que les personnes obèses, les trop précaires pour se soigner, les personnes souffrant d’hypertension ou d’anomalie immunitaire sont exclus. Le fait que le discours soit plus fin que le registre employé ici ne change rien à ce que les actes traduisent. On peut penser que c’est pour le bien de la personne que l’accès lui est interdit. Que pour son bien elle devrait s’auto-exclure de toute activité collective pour les deux années à venir. Mais, au-delà de la violence avec laquelle cette position peut être vécue, c’est prendre des décisions à la place des personnes concernées. Que des personnes qui n’ont pas suivi le confinement pour des raisons variées, expliquent aux personnes confinées la manière dont elle doivent gérer leur déconfinement, c’est inadapté car une personne fragile ne partage pas la même réalité qu’une personne plus forte médicalement et une personne qui a suivi strictement le confinement ne partage pas la même réalité qu’une personne qui a choisi de ne pas le respecter lors du déconfinement.
C’est un choix politique que de laisser parler et décider les dominants et de faire de l’ingérence dans la vie privée des plus fragiles. C’est aussi un choix politique d’exclure ou de pousser à l’auto-exclusion des personnes en raison de leurs capacités physiques. L’auto-responsabilisation des personnes fragiles est une approche libérale de la gestion de la pandémie.
Expliquer à une personne ce qu’elle doit faire ou ne pas faire dans le cadre de sa protection personnelle, c’est autoritaire. C’est faire de l’ingérence dans sa vie privée. En effet, chaque personne a sa propre cohérence sanitaire. Le risque 0 n’existe pas donc tout choix qui implique des interactions sociales est un risque. C’est aux personnes concernées de choisir le niveau de risque qu’elles peuvent prendre. Ce sont elles qui risquent de passer de longues semaines en réanimation. De plus, étant toutes et tous des individu-e-s à part entière, les priorités ne sont pas les mêmes pour chaque personne. Ces choix n’ont pas à être jugés. Si vous êtes réellement inquiets pour la santé d’une personne fragile, donnez-lui les moyens de se protéger. Lui interdire l’accès à un lieu ne la protège pas, ça la soumet et ça l’isole alors qu’elle subit cette crise avec une grande violence. Est-ce cela la société dont nous rêvons ? Une société formée de collectifs autoritaires qui créent de l’isolement ?
Mesures sanitaires et validisme
Si on demande à une personne à risque de ne pas fréquenter des activités ou des lieux car la contrainte collective est trop forte pour l’accueillir correctement, c’est un choix politique. Et c’est du validisme.
En effet nous ne sommes pas tous égaux face au virus. Tout comme une personne à mobilité réduite n’est pas à égalité avec une personne valide dans l’espace public. Exclure une personne fragile sous prétexte que ce n’est pas adapté à sa condition physique revient à expliquer à une personne en fauteuil roulant qu’elle n’est pas la bienvenue car il y a des escaliers. Refuser de porter un masque face à une personne fragile, revient à expliquer à une personne électrosensible qu’on refuse de couper son téléphone en sa présence. Refuser d’appliquer les gestes barrières en présence d’une personne fragile c’est avoir une conversation craignos au téléphone avec quelqu’un de craintif et d’attentif aux questions de sécurité. Argumenter en disant que la personne n’a qu’à rester chez elle, c’est dire au craintif qu’il avait qu’à ne pas avoir de téléphone.
Des réflexes militants à adapter à la pandémie
Décider à la place des concernés, exclure des personnes faibles, sont des écueils politiques qui sont habituellement évités dans nos pratiques collectives car de longues réflexions ont eu lieu et ce sont des points questionnés et travaillés depuis longtemps. Pourquoi ne pas extraire et appliquer les outils utilisés dans nos luttes habituellement pour s’en servir pour être plus forts et inclusifs que l’État dans nos collectifs au temps du corona ? Pourquoi ne pas se servir des enseignements de la lutte féministe qui permet d’organiser des temps en non mixité ? Pourquoi ne pas se servir des outils de prévention qui existent déjà dans le cadre de la réduction des risques liés aux consommations de produits stupéfiants ? Ne peut-on pas s’inspirer de la gestion des maladies transmissibles que nous connaissons déjà et avec lesquelles nous avons appris à vivre pour en tirer des enseignements applicables au corona ? C’est évident de porter une capote lors d’un rapport sexuel, pourquoi ne deviendrait-il pas évident de porter un masque lors d’une interaction sociale tant que le consensus médical le préconise ?
Responsabilisation des individus au sein du groupe et domestication des corps
On est habitués à la responsabilisation individuelle dans les lieux collectifs : sortir les poubelles, laisser un espaces propres derrière soi, ranger correctement le matériel pour les suivants... Pourquoi en temps de pandémie la responsabilisation individuelle ne se pense pas au sein d’un groupe hétérogène ?
La question du libre choix est épineuse quand elle doit passer par la domestication des corps. La discipline qui est demandée est contraire à nos idées et nos valeurs. Assurer l’agencement et l’ordre des multiplicités humaines est choquant, ce sont des pans entiers des stratégies répressives qui sont appliqués dans un cadre de protection sanitaire. L’enfermement, le contrôle des corps, y compris dans la sphère privée… Nous avons raison de nous méfier, ce sont des outils d’assujettissement, de contrôle et de discipline que nous rejetons.
Quid de nos principes d’inclusivité ? Comment articuler ce refus de contrôle et de soumission avec la protection des plus faibles ?
Pour protéger sa liberté de porter un masque, doit-on obliger des pans entiers de la population à rester chez eux par peur ou par précaution médicale ?
La responsabilité individuelle n’a jamais eu autant de conséquences graves sur le collectif. Si on choisit de s’organiser sans l’État tout en étant inclusif, on peut refuser les directives de l’État pour appliquer les siennes sans perdre de vue que celles de l’État émanent initialement d’instances médicales. Mais comment organiser le cheminement de pensée qui nous conduira à adopter des comportements collectifs suffisants ?
Comment accéder à un consensus dans nos prises de décisions, quand les actes des uns, l’absence d’action collective suffisante peuvent avoir des conséquences mortelles sur les autres ? Comment organiser des espaces de paroles où ceux qui ont peur du virus peuvent côtoyer ceux qui ont une gestion libérale de l’épidémie ? Quel cadre peut-on poser pour que tout le monde puisse avoir un accès égalitaire à un espace décisionnel ou non ? Comment éviter la violence validiste ?