La peau lisse son image

Bon, l’idée de départ, c’était de proposer un poisson d’avril.
Mais... La réalité a vite rejoint la fiction !

Avez-vous remarqué que nous sommes abreuvé-es de séries policières ? De reportage du type Enquête d’Action où tous les flics, gendarmes, enquêteurs, avec leurs bagnoles, leurs cars, leurs fusils, leurs LBD, leurs drônes, leurs tasers, leurs gazeuses, même dans les plus petits bleds de France, sont là pour tabasser les gens faire régner la loi, l’ordre, et la tranquilité des familles ?
Et vous savez bien que personne n’y croit peu de monde tombe dans le panneau et que les autres ne font même plus attention.

C’est bien le problème.
La police, en ces temps où les violences policières sont enfin devenues un sujet d’actualité mais ne risquent pas de cesser pour autant en ces temps troublés de remise en question de ses missions, a décidé de réformer son institution. Rien que ça.
Comment ?

En mettant la crosse en l’air ?
Mais non ! Vous n’y êtes pas du tout ! Ca c’était bon il y a 150 ans, et encore qu’à Paris, la soldatesque et la maréchaussée se sont bien rattrappées pendant la Semaine Sanglante.

En créant des milices des escouades Gomez et Tavarres avec des écussons à l’effigie de Stomy Bugsy pour avoir l’air sympa ?
Mais non, ça c’est déjà fait...

En faisant en sorte qu’aucune image de violences commises par des flics ne pourra être diffusée et encore moins retenue contre eux ? Vous avez du retard, ça a été voté la semaine passée par l’Assemblée [1].

En étendant la formation des « gardiens de la paix » à 12 mois au lieu de 8 [2] ?
En interdisant la grille à points [3] qui sanctionne les saloperies petites « libertés » qu’un aspirant flic peut commettre prendre pendant sa formation sans se faire tej ?
Ca c’est très sérieux, et Darmanin va s’y atteler : c’est vrai, un bon flic n’est pas un voyou [4], c’est un féru de déontologie, qui mutilera toi et tes enfants les vrais voyous à la bonne distance avec le bon geste et les sommations ad hoc...

Décidément, vous êtes loin du compte !
Hé on est au 21e siècle... Les réseaux sociaux, ça vous parle ?
A eux oui !
La peau-lisse se refait une image comme en 40, ha oups, c’est pas la bonne image non plus connectée, branchouille, hype quoi !
C’est le travail du Sicop (Service d’information et de communication de la police nationale) de développer ce qu’on connaît : chaque département a son compte officiel de flics sur twitter ou facebook. Comme la Caf, la sécu... Bon ça, à la limite, c’est banal. D’ailleurs, eux, ils font des très bonnes blagues graveleuses pour le 1er avril [5].
Il y a aussi les syndicats policiers, qui dérapent d’ailleurs souvent sur leurs tweets - faut quand même se relire ! Politiquement, c’est toujours compliqué de relayer sur un compte officiel. Et aussi des flics plus ou moins anonymes, dont les comptes sont très suivis, qui racontent leur quotidien, avec plus ou moins de respect du droit de réserve.
Le Sicop les kiffe, car il a aussi des ambitions... promotionnelles, voire carrément « influenceuses » ! Comme le dit Michel Lavaud, le chef, « le Sicop est à l’affût de toutes les possibilités pour défendre l’institution » [6]. En bref, comprenez : il faut innonder les réseaux sociaux de messages promotionnels sur la police.
Et y en a marre des trucs traditionnels ! Des chevaux de la gendarmerie, des chiens policiers, il y en a partout ! Ils font même un peu peur !
On veut du neuf ! Du doudou ! Du looool ! Et ça tombe bien, les flics adorent les bêtes à poils doux et communiquent parfois tous seuls, sans l’aide du Sicop. Et ça donne rapidement une image de... propagande grossière.

Commençons par une première tactique : le coup de main de la presse.

Exemple avec ces flics du 7e arrondissement qui ont arrêté un vendeur à la sauvette qui proposait des chiots non sevrés (c’est un délit) [7].
Les flics ont récupéré les deux bestioles qu’ils ont ensuite donné à une asso (c’est la loi).
Pas de quoi faire un article sur Le Parisien, sérieusement...
Ah ! Mais si ! La dame de l’association a remercié le professionalisme des agents.

« Les policiers s’en étaient bien occupés. Ils leur avaient mis une petite couverture pour qu’ils aient bien chaud ».

Oh ! Oh ! Oh ! Une petite couverture !
Dans la grande tradition de la préfecture, le journaliste du Parisien glisse de cette anodine histoire qui n’intéresse personne, à ça :

Les commissariats de police récupèrent très souvent des animaux, surtout chats, chiens, quelques NAC (nouveaux animaux de compagnie), confie une source policière. Ce sont principalement des animaux perdus, parfois saisis. Ici, il s’agit d’un flagrant délit. Nous avons d’ailleurs des cages pour les entreposer en attendant qu’un refuge ou une association, désigné par le parquet, vienne les chercher. « Ici, au commissariat, ajoute un autre policier, on a même des croquettes. Ce n’est pas le ministère de l’Intérieur qui les achète mais nous ! »

Oh ! Ah ! Hou ! Des cages ! Des croquettes ! Policier Sauver Chiots !
Comme c’est mignon. Dégoulinant de sensibilité, même.
C’est bizarre, hein, une personne en cellule et un chien en cage, ça fait pas le même effet. Les mots sont importants. C’est vrai qu’un chiot en cellule... C’est gâcher de la place.

La promotion via des comptes personnels - sûrement de vrais gagas d’animaux, qui sont aussi relayés dans les médias

Continuons par Laëtitia et Laurent, gardiens de la paix en Seine et Marne. Vous aimez les chats ? Surtout les tous doux ? Hé bien, eux aussi : au point qu’ils ont recueilli Pirate [8], un vieux chat éborgné ah ben si ! Il est vraiment borgne, le pauvre animal ! A priori c’est un flashball un paintball qui l’a blessé [9], mais ses jours ne sont pas en danger.
Le matou a un compte Instagram et déjà plus de 11000 abonnés ; tous les services de police du coin et d’ailleurs lui envoient des petits cadeaux et pas mal d’écussons et autres produits dérivés policiers.

Voilà, dans le comico l’animal dort sur les photocopieuses, sur les dossiers, sa présence apaise les coeurs des gardé-s à vue et avocats, flics, voyous, enfants, le caressent indifféremment dans une ambiance feutrée... On peut même acheter un écusson pour payer ses croquettes.
Oh ! Oooh ! Ooooooh ! Policiers Aimer Chats !
Notre coeur fond de tendresse... Ces policiers, si sensibles à la détresse animale, après tout, ne sont-ils pas comme nous ?

Soyons honnêtes, ce n’est pas les seuls : les flics de Martigues avaient aussi dégaîné leur plus joli chaton, joliment dénommé Police, il y a quelques années, comme argument anti-stress.

Contre le stress du flic, le chat qui pionce. Chat Calmer Policiers !
A quand le plan du gouvernement pour apporter chiens, chiots, lapins, hamsters, oiseaux, varans, qui contribuent à diminuer les violences policières !

Ah, mais, c’est carrément une télé-novela qui se prépare...
Leurs collègues de Paname ont créé un compte Insta pour leur chatte, Patrouille, un peu plus photogénique que le pauvre Pirate, et... Devinez...
Une « histoire d’amour » virtuelle serait en train de naître entre les deux animaux... Waow, quelle scénarisation.
Ben ouais, un papa, une maman, y a quoi ?

On retrouve sur ces deux comptes les mêmes cadeaux (de mariage ?) fournis par des policiers adeptes des chats (un service com n’aurait pas été aussi lourdingue) et des mises en scène d’un goût exquis.
On vous l’a dit, Policiers Aimer Chats.

Des gens dont c’est vraiment le taf à plein temps

Enfin, suivons les aventures d’Anthony [10], qui va être un peu l’envoyé spécial des commissariats sur Snapchat !
Ouais, ouais c’est son taf, il va faire le tour des comicos de France à la recherche de la belle image de la police, encore mieux que dans tous les reportages de W9... Inutile de dire qu’il va salement galérer a priori : donc il va l’inventer !
Pour celleux qui connaissent pas, Snapchat, avec 14 millions d’utilisateurs/rices en France dont les 2/3 de moins de 25 ans, c’est un réseau social avec des vidéos qu’on s’envoie entre potes, mais où on peut aussi suivre des comptes de marques, de people, etc. Hé ben sur Snap y aura des comptes de people qui seront des condés ! Et l’heureux élu est Anthony, épaulé par un Youtubeur qui lui fera ses montages. Policiers Aimer Jeunes.

Au visionnage du teaser (il n’y a pas d’autres mots) de sa mission d’inutilité publique, nous sommes convaincu-es qu’Anthony saura s’adresser à sa cible marketing et filmer avec brio, moults musiques guerrières et montages dramatisants les tabassages les missions de ses héroïques collègues des forces de l’ordre sur tout le territoire.
Pour la patrie, ils veillent...

Allez, espérons que l’an prochain, un collègue d’Anthony ne créé pas des hashtags challenge #Taser #Gazeusefamiliale sur Tik Tok pour qu’on puisse danser avec nos nouveaux amis !

Notes

[9Véridique, c’est marqué dans l’article !!! On notera que le/la journaliste ne doit pas être familier-e des violences policières, et a quelques formulations qui peuvent être mal interprétées, comme : « Pirate va probablement finir ses jours ici, entourés de Laurent, Laetitia, Valérie ou Béatrice.  » Euh...

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