Je n’ai ni honte, ni peur de l’affirmer ; je peux vous dire mon nom, mon prénom ; je peux décliner mon état civil ; je peux vous montrer mes papiers et la photographie conforme de mon visage. Je voudrais bien, aussi, vous montrer une photographie de mes genoux, bleus, jaunes et rouges après avoir été visés hier par un CRS, avec une grenade assourdissante qui a ensuite éclaté juste devant mes yeux. Plus de peur que de mal, mais surtout plus de chance que de nombreux autres manifestants, car cet incident m’a contrainte à quitter la place. Les autres, ceux qui sont restés encerclés et n’ont pu trouver de voie de sortie, ont ensuite été interpellés et placés en garde-à-vue. À l’heure qu’il est, ils sont près de 300 [1], enfermés dans différents commissariats d’île-de-France, dispersés afin d’éviter tout rassemblement de solidarité - comme celui qui a eu lieu à Marx Dormoy hier soir, et qui a lui-même occasionné de nombreuses interpellations parmi les personnes venues en soutien.
Récapitulons : en amont de la mobilisation, des manifestations interdites, des perquisitions chez certains militants écologistes, des assignations à résidence pour d’autres. Le jour J, une pression et des violences policières immédiates, des centaines d’interpellations et de gardes à vue, qui vont sans doute donner lieu à d’autres assignations à résidence. En aval, hier soir et aujourd’hui, le discrédit classique, taxant les manifestants de casseurs et d’irresponsables, les accusant même de salir la mémoire des victimes des attentats du 13 Novembre, parce qu’en courant lors des charges des CRS, ils ont renversé les bougies et les messages placés spontanément place de la République par les civils parisiens. Bref, nous sommes arrêtés et discrédités pour avoir pratiqué la désobéissance civile, dans un pays qui lui doit la plupart de ses droits, et se targue d’avoir une tradition politique de lutte populaire et de dialogue social ; sur une place régulièrement utilisée comme lieu de rassemblement spontané ; et à la veille du rassemblement de ceux sur qui, selon M. Hollande lui-même, « repose l’espoir de toute l’humanité ».
Bilan ahurissant : la COP 21 commence à peine et nous en sommes déjà exclus. « Exclusion », le mot est faible pour désigner ces atteintes à la liberté d’expression, aux droits de manifester, de circuler, de contester, dans une situation, en effet, d’urgence maximale. Quel espoir pourrions-nous bien avoir en cette Conférence, nous acteurs de la cause environnementale, lorsque nous sommes désignés comme de dangereux ennemis qu’il faudrait museler ? Ce, au moment même où l’on prétend prendre notre discours au sérieux ?
Certes, nous n’en sommes pas à notre premier green washing ; nous n’oublions pas que les « mécènes » et « partenaires » de la COP21 sont (entre autres) EDF, Air France, IKEA, BIC, Renault ; et nous savons que les précédentes conférences ont suscité plus de déceptions qu’elles n’ont comblé d’ « espoir ». Mais une étape a été franchie ces jours-ci en France : au spectre des promesses non tenues et des espoirs déçus se joignent désormais ceux de la répression des acteurs et de la censure de leur voix.