À l’automne 2014, la Ville de Paris met en place ce qu’elle appelle son premier budget participatif. Du 24 septembre au 1er octobre, à grand renfort de communication, elle invite les parisiennes et parisiens « sans condition d’âge ou de nationalité » [1] à voter pour élire leurs projets préférés parmi une liste de 15 proposés ; les projets plébiscités seront mis en chantier dès janvier. L’opération est appelée à être renouvelée chaque année avec à chaque fois une nouvelle gamme de propositions. « Prenez le pouvoir, on vous le donne », « Parisiens, prenez les clés du budget », claironnent le plus sérieusement du monde les slogans de la com’ municipale.
Les budgets des 15 projets s’échelonnent entre 400.000 et 8 millions d’euros : de grosses sommes comparées à la plupart des revenus individuels mais des chiffres plus modestes à l’aune du budget annuel de Paris, d’un montant de plus de 8 milliards (ville et département, investissement et fonctionnement confondus). La municipalité annonce que l’expérience portera sur 5% du budget d’investissement de la Ville (environ 1,5 milliards annuels), soit un montant estimé de 426 millions sur les six ans de mandature. Cela signifie donc que 95% du budget d’investissement et 100% du budget de fonctionnement restent entre les mains de l’exécutif municipal : voilà qui relativise sérieusement le souhait d’Anne Hidalgo de « donner les clés du budget aux citoyens ».
Quels sont ces projets ?
Les aspects « développement durable », « loisirs » et « culture » se dégagent nettement des quinze propositions de cet automne. Côté « développement durable », la Ville propose de mettre en place des barrières mobiles pour interdire la circulation automobile dans certains quartiers et à certaines heures et ainsi « rendre la rue aux enfants » en peignant des marelles sur le sol (1,5 millions d’euros), de distribuer des « kit de jardin pédagogique » dans chaque école pour y développer la pratique du jardinage (1 million), d’améliorer le tri sélectif notamment en investissant dans 10 mini-déchetteries mobiles (1 million), d’encourager la végétalisation d’une quarantaine de façades aveugles (2 millions) ou d’œuvrer à une véritable « reconquête urbaine » en valorisant et embellissant les espaces délaissés et dégradés, en particulier dans les quartiers populaires au sein desquels il est peut-être ainsi envisagé d’amplifier le phénomène de gentrification (1,5 millions).
Le versant « loisirs » s’exprime dans les propositions de rénover 33 kiosques parisiens « pour faire la fête » (3,7 millions), de mettre à disposition des tipis pour que les enfants de parisien-ne-s puissent fêter leurs anniversaires (0,4 million), d’investir dans un écran géant et du matériel de projection pour retransmettre notamment les grandes compétitions sportives (0,5 million), de créer deux piscines démontables et installables dans n’importe quel site de la capitale (8 millions), de mettre en place 14 nouveaux espaces sportifs de rue (2 millions) ou encore de rénover et développer les équipements ludiques et sportifs (parcours santé, damiers géants, ping-pong, etc. pour 3,6 millions).
Quant au volet « culture », il s’exprime dans les propositions de financer la création de quatre grandes œuvres artistiques à quatre portes de Paris afin « d’instaurer un dialogue symbolique avec la Métropole » (1,6 millions), de créer un portail numérique de 14 musées « pour tout savoir, à tout moment, sur les collections, les expositions et les activités des établissements parisiens » (1 million) ou encore de financer des interventions et des installations artistiques dans l’espace public « conçues et réalisées avec les habitants du quartier, pour mieux prendre en compte leurs attentes » (3 millions).
Un dernier projet n’est pas rattaché à l’une de ces trois thématiques, qui propose, pour 2 millions d’euros, de développer dans Paris des espaces de « coworking » (travail partagé) où pourraient se côtoyer étudiants et entrepreneurs dans le but de « favoriser l’insertion professionnelle des étudiants et accompagner le développement des entreprises ». C’est tout ce qu’on trouvera concernant le « social » dans ces 15 propositions, à croire que des projets relatifs au logement en particulier n’intéresseraient pas le budget participatif.
Comment les projets ont-ils été élaborés et choisis ?
Les 15 projets sont dans la continuité de ce que fait plus ou moins déjà la Ville de Paris, parfois de façon éphémère et ponctuelle, sans pour autant demander leur avis aux habitant-e-s : quartiers sans voiture le week-end, parcours artistiques dans la ville, encouragement de l’économie numérique, développement du jardinage urbain, retransmission de matchs sur grands écrans, construction de « city-stades », etc. De plus, sur les 15 projets mis en avant, il y en aura vraisemblablement moins de la moitié de recalés : seront retenus seront tous ceux qui auront recueillis le plus de suffrages dans la limite budgétaire de 20 millions d’euros, soit près des deux tiers du cumul des 15 budgets (32,8 millions).
Mais qui a fait cette sélection de 15 projets et sur quels critères ? Budget participatif oblige, Anne Hidalgo cite l’expérience brésilienne de Porto Alegre – sans pour autant entrer dans les détails de fonctionnement et les différences de qualité démocratique des deux situations. Même s’il n’a jamais motivé plus de 10 % de la population, le budget participatif de Porto Alegre fonctionnait sur des propositions élaborées à la base dans des comités de quartier dont les délégués faisaient remonter les priorités jusqu’au conseil du budget participatif de la ville. À Paris, les 15 propositions ont-elles fait l’objet d’une élaboration similaire ? Pour 2014, rien n’est précisé à ce sujet dans la propagande municipale, mais gageons que si un conseil de quartier ou une association locale avait fait remonter la moindre cogitation à l’origine d’un des 15 projets, on nous l’aurait abondamment fait savoir en vantant la qualité citoyenne du travail effectué.
Loin d’être des « expériences d’actions concrètes des citoyens » comme l’annonce Anne Hidalgo, les projets restent élaborés par la technocratie municipale et, finalement, cette première session du budget participatif se résume à une palette de projets légitimés par le vernis démocratique de l’élection. Avec un investissement populaire aussi inexistant, il n’y a vraiment pas de quoi qualifier l’opération de « participative », la « participation » se limitant ici au simple fait de glisser un bulletin dans une urne.
« Il faut endiguer la crise de confiance entre élus et citoyens en encourageant la démocratie directe », prévient Anne Hidalgo sans peur du ridicule. « Il faut se méfier des mots », semble lui répondre une œuvre de l’artiste-publicitaire Ben, dont la reproduction illustre un des 15 projets.