20 novembre : journée internationale du souvenir trans

Le 20 novembre, c’est la journée internationale du souvenir trans. Une journée à la mémoire des personnes trans disparues. Comme Vanessa Campos, assassinée cet été sur son lieu de travail au Bois de Boulogne. Pour cette occasion, quelques mots à leurs mémoires. Texte initialement publié en 2018.

À l’autre bout de mon monde, c’était dans le froid sous le néon blafard. C’était au cœur du brasier hier. C’est dans le cri feutré par la balle d’un flingue, à côté de moi. C’est après le dîner et le vin, tu n’étais pas assez avenante, contre la butée de la baignoire traîtresse, la main qui presse le sommet de ton crâne. C’était entre tes côtes, dans ton torse, dans ton ventre, dans ta gorge, en enfilade, le poignard. Ici et là, tu es mort·e aujourd’hui encore, gueule muette grande ouverte, incapable à prononcer une dernière fois ton propre nom.
Il passe sur mes lèvres, il coule dans mes larmes : je t’appelle et tu deviens ma mémoire. À chaque nouvel homicide, tu crèves une fois encore, tu ressurgis dans nos chairs et nos sangs quand ton nom abreuve notre bouche.
Notre mémoire, nos horizons.

Nous n’avons pas le droit à de belles gueules héroïques, aux regards fiers arrogants, dessinés par le peintre du moment. Nous ne mourrons pas l’épée à la main ou la kalachnikov au poing. Nous sommes trop proches du crime pour faire de belles et de beaux martyrs. On nous condamne au crime de la trahison, et tant que l’accusation planera au-dessus de nous, nous resterons les laideurs monstrueuses qui méritent leurs sorts.
Pour survivre, TRAHIR
nos familles, nos ami·e·s, nos amours et nos religions, nos États, nos frontières. Trahir nos lois, nos médecines et nos corps assignés, les attentes et nos garde-robes, nos démarches, nos cordes vocales et nos muscles. Trahir le bon l’ordre des choses est le crime dont je suis la plus fière.
Mais c’est un péché trop grand, trop envahissant, trop total. Pour celles et ceux qui se cambrent dans un chemin paisible, il restera toujours la peur d’être encore le danger.
« Si tu restes complice complètement, nous laisserons peut-être ta vie tranquille. »
Par-delà le chantage et face au danger, leurs peines sont exemplaires. En prison, doublées lorsqu’on nous dépouille de nos médicaments et de nos dignités. Temps carcéral, temps humilié.
Au lieu de trouver le travail, le toit, le médecin et la confiance, on nous offre la honte et la solitude.
Un nez brisé la dent branlante et l’œdème au visage : pas de quoi se plaindre. On nous rappellera la place qui nous incombe à coups de barre à mine, de schlass dans les gorges, de verges dans les culs, de balles dans le torse. Leurs subtiles opérations du maintien de l’ordre.
Ma mémoire n’est pas belle à voir. Mais je crache sur ta pitié.
Ce soir, je rêve d’une fête en silence. En attendant de trouver les mots qui ne sont pas dressés contre nous et qui nous appartiennent, je me contente de me taire. Ou bien de hurler.
Ce soir, je rêve d’une fête tout inouïe aussi fraîche que les noms qui nous font peaux neuves. J’ai déjà choisi un jour d’été pour célébrer une autre de mes naissances. C’est un anniversaire qui ne figure nulle part sur les papiers, dont l’État n’a aucune idée : un véritable sabbat
Je choisis donc une nouvelle date pour célébrer mes mort·e·s : fêter notre mémoire et nos horizons. Tu ne la comprendras pas toi, notre fête.
On fêtera
les caniveaux les trottoirs les sourires au cutter les chevilles tremblantes et les ampoules des talons aiguilles
On fêtera
les demies-ampoules à partager en cachette en sourires et les seringues mal lavées les scalpels des sales médecins les barreaux de la mauvaise prison les bons crachats dans les cheveux et les portraits refaits pour le mauvais regard
On fêtera
les cent mètres chaussé·e·s sur des dix centimètres perdus face à la police les ami·e·s parti·e·s les expulsions aux aurores le froid des frontières les silences paranoïaques de nos nuits la famille et les langues à oublier les accents à étouffer et les espoirs à brûler.

Se souvenir que nous ne cesserons jamais de vivre, et de nous battre pour notre place dans un monde qui ne nous mérite pas, tant nos rires sont magnifiques et nos corps fantastiques.

À tous mes frères aux gros pec’
À toutes mes sœurs au gros clito’
À la mémoire de nos oublié·e·s

Haine Rage Amour

Luz

Mots-clefs : transidentitéS

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