Interview de Daniel Carreno, militant syndical à SUD PTT

Daniel Carreno, militant Sud PTT, est décédé le 31 juillet 2018.

Militant SUD PTT, il donnait en novembre 2006 une interview à la revue « Partisan » de l’OCML - Voie Prolétarienne dans laquelle il faisait part de ses réflexions et critiques sur SUD et le syndicalisme en général. La voici sans retouche.

L’activité

Problème du dépassement de forfait sur mon portable perso pour cause d’activité syndicale. (De l’ordre de 100 à 120 € par mois, pendant un an et demi).
Depuis juillet, j’ai un portable payé par le syndicat sur justificatif.
J’ai dû changer de position sur le sujet
Auparavant, j’étais contre l’attribution de portable au permanent. J’ai posé le problème parce que cela devenait financièrement invivable. Le problème se posera aussi pour mon successeur qui n’a pas un gros salaire.
Le syndicat a donc voté l’attribution d’un portable mais aussi un remboursement des frais précédents, ce que j’ai refusé par principe (faute de justificatifs et de contrôle possible) et j’ai reversé la somme au syndicat.
Je justifiais la position précédente (pas de portable) au nom du fait que la permanence ne doit pas être quelque chose de confortable pour le permanent.

V : Je rends compte d’une anecdote sur l’élection des chefs de tribus indiennes du Chiapas rapportée par Traven.

Il y a un manque de volontaire pour me succéder a la permanence.
Il y a néanmoins un jeune de 24 ans, habitant Montgeron. II a une conscience de classe.
Les vieux, eux, ne veulent plus. Parce que la place n’est pas confortable ; parce qu’ils m’ont vu agir et que c’est repoussoir, parce que pour certains, leur base syndicale est faible et disparaîtrait s’ils en partaient.

V : J’expose la démarche de l’interview ; un interview non pas pour Partisan (ce qui avait été évoqué par des camarades), mais pour Voie Prolétarienne, pour alimenter notre réflexion sur le syndicalisme et ses rapports avec la construction de l’organisation communiste. On verra éventuellement si on peut extraire des articles de l’interview.

V : Pourquoi, toi qui est basiste, tu es devenu permanent ?
Le mandat est électif, d’un an, renouvelable par élection deux fois. Soit 3 ans maximum.
Après un certain nombre de critiques que j’avais dirigées (dont une motion de 8 pages de la section de Créteil), les camarades ont pensé que c’était mon tour. « Tu penses savoir comment faire, prouve-le ! ». J’ai reculé puis, après un temps, j’ai pensé effectivement que c’était mon tour.
J’ai trouvé aussi que c’était logique par rapport à l’organisation du tri trois secteurs Courrier, Courrier International et Colis. Cette dernière division est une grosse direction, avec plein de problèmes (de répression entre autres). Il fallait quelqu’un venant du Colis.

Je me suis demandé comment faire. Puis j’ai décidé. Ce que je faisais sur une section (Créteil), j’allais le faire sur 30.
J’ai été sur tous les sites, au service des travailleurs, en essayant d’organiser partout des sections et de les coordonner. Gros investissement contesté par certains de mon syndicat qui trouvaient que j’en faisais trop.
La sauce a pris dans des sites qui étaient des déserts syndicaux (et où on fait maintenant 70% aux élections)
La journée commençait généralement par une diffusion de tracts à 6h quelque part en région parisienne (St-Denis, Montgeron, Bondy etc.). Voir les gens pendant la diffusion, les voir après en salle de repos à la pause. Puis, s’il y avait lieu AG du personnel. Sur certains problèmes, cela se poursuivait par une délégation.
C’est comme ça que l’agence colis-poste d’Argenteuil s’est trouvée en grève un 4 août.
[Avant, tout était ensemble à la Poste. Maintenant les bureaux de Poste sont vides de facteurs. Il y a séparation]
A 9h, habituellement, mon intervention sur site était terminée. A 10h j’étais rue des Envierges, au bureau du syndicat, et je rédigeais des tracts centraux ou locaux à partir d’informations données par les camarades.
Au bureau, c’était beaucoup de téléphone : renseignement, assistance par rapport à la répression. Beaucoup de camarades téléphonaient chaque jour pour faire le point. Souvent des camarades inexpérimentés demandaient un avis. Ce que je donnais. Il me demandaient aussi une décision, ce que je ne donnais pas. Je concluais « Vous faites ce que vous voulez en fonction de notre conversation ». Obligés de trancher eux-mêmes, ils prenaient la décision.
Tout ça était entrecoupé d’un travail de défense individuelle : un entretien préalable, ou un conseil de discipline etc. SUD y est très impliqué car tous les élus au conseil sont SUD (4 sur 4).
Pour donner une idée des raisons pour lesquelles SUD est ultra majoritaire, c’est qu’il y a de plus en plus de contractuels. SUD ayant présenté un vœu pour leur titularisation, la CGT s’est abstenue.

V : Débat avec D sur la position de SUD et rappel de leur attitude corporatiste. hostile à la réquisition d’emploi au bureau de poste du 16e en 1995 pour ne pas introduire des contractuels.
La journée continue avec des copains qui passent pour diverses raisons (par exemple parce que leur section, embryonnaire, est à construire). La journée finissait. J’étais à la maison vers 19 ou 20h. Parfois, le soir, il fallait retourner sur un site pour voir les copains du soir (qui embauchaient à 18h) Les équipes embauchent toute la journée 5h, 6h, 12h, 15h, 18h et 23h.
Je faisais aussi les HMI sur les sites (Heures Mensuelles d’Information). À la demande sur les petites unités et mensuellement sur les plateformes colis (surtout Gennevilliers). Dans ces cas-là, j’y restais 24 heures. La première démarrant à 4h et la dernière à 23h.
Je faisais aussi parfois un site sur Paris en cours de journée.
La journée type, lever 4h, rentré 19h30, sinon plus tard (22h, 2h du mat... c’était variable).

V : Physiquement ?

Je me couchais tôt, le soir, extinction à 22h.

Ta famille ?

La décision que je sois permanent a été soumise en famille en précisant les conséquences (charge de travail reportée sur Madame, suivi scolaire néant).
J’intervenais sur des sites pleins de jeunes et sans syndicat. Moi j’avais l’habitude des bastions syndicaux. Là, certains me prenaient parfois pour la direction, ou, variante, pour un club de vacances, Il fallait expliquer le B-A BA. Parfois, je racontais en 3 minutes 150 ans de lutte de classes.
Pour d’autres, la révolte existait Il fallait organiser cette énergie pour construire une section de combat.
Au départ, j’étais assez seul. C’était un travail de permanent.
Cela a marché. Très vite les jeunes comprennent l’intérêt d’être en collectif, On faisait plier le patron suite à une délégation de masse. Ils n’avaient jamais vu ça. Habituellement, en effet, leur révolte était individuelle.

La répression

Ce travail de construction a rencontré une répression dure de la boîte, qu’on n’a pas toujours contenue.

Une section entière a été virée (Boulevard Ney, une agence de 80 personnes), par licenciements et pressions, sous divers prétextes. On n’a pas réussi a endiguer la répression. Seule une minorité a tenue qui a été ensuite laminée Je m’en suis voulu.
Beaucoup de situations sociales dures ; des travailleurs peu payés (1280€) et s’ils m’avaient pas rencontré, ils seraient peut-être encore au boulot. Je les vois encore. Certains disent que ça dépasse le cadre du travail de permanent. Je pense qu’il faut aussi gérer cela.

Ils nous en veulent pas. Ils ont découvert la lutte et le collectif. Ils disent que tôt ou tard ils auraient été virés.

Quelques sections ont pu être montées. Gennevilliers (220 personnes) était une section faible qui prenait des tas de coups. Je suis allé au début pour prendre la tête de quelques délégations. J’ai fait des HMI systématiques. Petit à petit, on a gagné la confiance, ce qui a entraîné plus d’adhérents, moins de pression etc. De 15% on est passés à 43%. Aujourd’hui c’est une base forte.
Montgeron, Argenteuil, VLG (où bosse ex-Claudine), tiennent bon. Pour le reste, ce sont des militants et des adhérents. Pas de sections. Évidement Créteil est au-dessus en terme d’organisation, surtout depuis la fermeture d’Orly qui a vu rappliquer deux militants de lutte. 127 voix à SUD, 35 à la CGT qui pourtant ne ménage pas sa peine.

Roissy va fermer.

25 petites unités réduites où j’ai passé le plus de temps. C’est les facteurs (les « opérateurs de livraison »). 120 à 150 paquets à livrer par heure sans se tromper. Cadences infernales. Pas le droit à l’erreur.

Le local

Pas très optimiste sur SUD.

Au départ, trois permanents (dont un est toujours là). Le local était un lieu fermé, bureaucratique, sans contrôle. Les militants n’avaient rien à faire au local. J’ai tout fait pour inverser ça par un accueil convivial. Le message que je portais « Camarades, vous êtes chez vous ».
Je me suis rendu compte que cette barricade servait à empêcher un contrôle.
Je me suis aussi rendu compte du creux de leur activité. Au nom de l’autonomie des sections.

V : C’est la que l’idée libertaire, fédéraliste. conforte la bureaucratie.

C’est ça. Puisque tu te démerdes, t’as rien à foutre au local. Le syndicat devient une addition de sections en auto-contrôle. Du coup la tête s’autonomise aussi. Moi je voulais connecter les forces. Il a fallu un an et demi pour faire changer de pratiques. Ceux qui étaient autonomes comprenaient pas. Maintenant, même les plus chevronnés téléphonent pour mettre au courant.

Dans le local, chacun va et vient à sa guise C’est la ruche. Avec des jeunes à casquette retournée. Des beurs en quantité industrielle. Le troisième permanent, de même que les autres de la fédé, ça leur fait drôle. La permanence, c’est un outil. Le lieu où transite l’information. Pas une direction J’ai fait voler en éclats l’ancienne pratique.

Sur les deux autres permanents. Un reste. Il a du mal à s’y faire. L’agitation, l’ambiance, lui tournent la tête. L’autre n’est resté qu’un an. Je l’ai prévenu que je me battrai contre sa réélection. Permanent, il faisait un horaire 10h-12h puis repas, puis 14h-17h. Entre temps, il avait tiré un tract de travers et ne voulait pas entendre parler du secteur cColis. Il a été remplacé par un gars du Courrier International mais qui se déplace et intervient sur tous les secteurs.

Mon départ ne me rend pas inquiet. Avec les permanents qui doivent succéder, le local restera un lieu ouvert.

Il s’agit d’armer politiquement les jeunes sur la lutte de classes et les outils qu’on a pour résister, dans un premier temps.

Il y a un héritage communiste à transmettre, mais priorité au travail pour s’unir afin d’aller à la lutte et de gagner. On parle politique, socialisme, mais tant qu’on s’est pas éprouvés dans le combat de classe, je ne sais pas si c’est retenu.

V : Quand ça progresse ?

Les jeunes qui s’intéressent s’orientent vers plus de militantisme dans le syndicat (ou ce qu’ils croient être le syndicat). Devenir le porte-parole de leurs camarades par exemple.
L’éveil politique se traduit par un autre comportement sur le site où ils travaillent : demande d’aide, de formation. Je ne sais pas s’il y a le temps d’une formation complète (c’est-à-dire débouchant sur le communisme).

Sur l’évolution des SUD

Deux scandales marquent l’histoire récente :
• L’appel à voter Chirac, (maquillé en vote contre Le Pen)
• La question des retraites où SUD PTT s’est honteusement rallié à la stratégie des temps forts de la CGT.
Compte tenu de ça, l’évolution des SUD...
SUD est pour moi un outil local pour éduquer les travailleurs. Au-delà...

Sur l’article de Partisan d’octobre, je partage des trucs. Pas tout. Je ne crois pas qu’au départ SUD était autre chose dans l’orientation. Simplement, SUD COLIS était ultra-minoritaire donc activiste. En 91-92, l’État a sommé les postiers de choisir. SUD n’a donné aucune consigne alors que c’était évident qu’il fallait rester Fonction Publique. Cela a contribué à ce qu’on soit découpés en rondelles de saucisson. Le « faites ce que vous voulez » a facilité les restructurations ultérieures.

Heureusement, SUD ne souscrit pas à I’EDA syndical.
Explications : la promotion en interne se fait suite à des examens de compétence (« EDA - Examens d’Aptitude). Pour les permanents, il est évident que les examens sont impossibles. Il y a donc une promotion spécifique aux responsables syndicaux. Pour moi, cela aurait entraîné, au bout de quelques années, un salaire de cadre et de revenir au travail avec la fonction de cadre. SUD n’a pas accepté cela, contrairement aux autres syndicats. Mais c’est vraiment le minimum. Pour le reste les positions sont réformistes. Par exemple l’appel à l’ONU pour l’Irak. Idem pour l’Afrique.

Je ne pense pas qu’il y a changement depuis 89. Simplement, SUD grossit et devient une masse molle, alors qu’il y a 15 ans, c’était un carré très nerveux.
Mais l’orientation est la même.
Pour la CES ? Je ne pense pas que ça joue un rôle dans l’évolution des dirigeants.

Au niveau fédéral, ça débat peu. Cela ne vient pas seulement des choix d’en haut. Personne n’interdit la prise de parole, Je ne vois pas comment ils pourraient museler. Mais il y a une grande inertie et une grande démoralisation. L’ensemble des syndicats se contente de la parole dirigeante. Il y a bien des coup de gueule, mais sur des questions d’organisation, pas sur le fond. Par exemple, rien sur la tactique perdante sur les retraites.
Notre syndicat intervient par contre, sur les retraites, sur la répression antisyndicale, mais on se heurte au manque de réaction au niveau fédéral. Ils ne nous répondent pas.

V : Cela tient au fait que les militants ne voient pas ce qu’il faut faire.
Comme rien n’est évident, il n’y a pas de débats. Si la seule perspective est de maintenir des forces en attendant des jours meilleurs, c’est pas porteur. Ou alors, il y a des débats sur des positionnements, comme le vote Chirac. Il y a eu débat au Bureau Fédéral puis des protestations sans écho et sans réponse, au prétexte que cela avait été tranché. Le contenu des comités fédéraux ou des commissions centre de tri est pauvre.

Organisation des SUD : En île de France, il y a un syndicat spécifique pour le tri. En régions, les syndicats sont départementaux. C’est de plus en plus inadéquat à l’organisation de la Poste. Les subdivisions sont de plus en plus grandes et par filières. Les centres de décision ne sont plus au même endroit. SUD va sans doute devoir calquer l’organisation de la région parisienne. Cela a un enjeu sur l’info (les grèves), sur les cibles.

Les transformations

V : Parle un peu des transformations ces dernières années.
Il y a eu une grosse modernisation en 1996. Les trieuses de lettres apparaissent dans les années 80. 96, c’est la fin des trains ambulants avec le triage dedans. Le tri s’est reporté sur les machines + le transport routier. La rentabilisation (en fait la productivité) s’est faite par mécanisation. Il faut aujourd’hui 2 heures à une machine, là où il fallait une nuit.
Les plate-formes colis apparaissent en 94 : ainsi Créteil avec machines.
Au niveau des facteurs, c’est le quasi abandon du sac au profit de dispositifs à roulettes.
Les sites ferment, remplacés par des plate-formes plus grosses avec des bécanes énormes. Le processus continue. Avant il y en avait un par département. Maintenant il y en aura deux, voire un par région avec « dégraissage » et des machines encore plus grosses.
Cela n’entraîne pas de luttes car : mutations attendues ou retraite à 52 ans.

Dans les Centres de tri pour la distribution des lettres, il y a eu embauche de jeunes contractuels, encadrés au début par des fonctionnaires, dans des centres nouveaux conçus pour un encadrement rigide. Roissy et Melun Sénart ont inauguré avec vidéo, badges pour passer d’un endroit à l’autre, maître-chien, accès bloqué aux syndicats et services sociaux. Idem pour les bureaux du patrons. (Ce qui rend impossible la délégation de masse dans le bureau du patron).
A Roissy, c’est la Brinks à l’entrée : ton badge fait apparaître une photo sur un ordi.
Les nouveaux centres c’est : main d’œuvre contractuelle, moins de gens, mécanisation et flicage. Cela entraîne une grosse pression sur les salariés. Comme comparaison, au tri PLM, dans les années 80, les gens allaient au café du coin sans qu’un chef puisse le voir. Cela facilitait les contacts.
Avant les pauses étaient élastiques. Tu pouvais avoir un quart d’heure de retard. Aujourd’hui, une minute de retard est sanctionnée. Cela rappelle ce que j’ai connu il y a trente ans à Citroën.

V : Est-ce que ce flicage est l’enjeu d’une bataille ou bien est-ce que ça apparaît comme une toile de fond pas modifiable ?
Même cette question est l’enjeu d’une bataille. Pour les jeunes, c’est une toile de fond pas modifiable. Il faut des explications, et sur la durée, pour en arriver à le contester.
Il y a eu des batailles gagnantes. A Melun Sénart il y a eu refus collectif du port du badge en brassard. Avec AG et débrayage pour y arriver. Il y a eu aussi bataille pour l’accès aux locaux sociaux. Grâce aux portes à badge, ils désactivaient les locaux sociaux pendant les heures d’exploitation. C’était pratiquement jamais ouvert et il fallait demander des autorisations spéciales pour y accéder. Il a fallu des actions pour que ce soit accessible.
Idem Roissy et sur les nouvelles plate formes.
Ils veulent casser les méthodes classiques d’organisation et d’action. Les nouvelles brigades, les horaires, le flicage compliquent notre tâche.

L’interpro

V : Et l’interpro ?
Il y a eu des liens interpro au printemps 2003 avec des jeunes profs d’histoire du 93 avec AG communes et interventions. C’est parti de liens d’individus à individus. Cela a été des liens entre syndicats mais pas au sein d’une ville particulière. Après, ces liens ont cessé. Cela c’était de l’interpro que je comprenais.
Aujourd’hui, je ne vois pas ce que c’est ni sur quelle base. Anecdote du tract diffusé à Yerres par une militante PS par ailleurs au G10.
On trouve tout à l’interpro. La Tchétchénie, les autres SUD, le DAL, Copernic s’y met. Bové aussi. Avec qui et pourquoi, rien n’est clairement identifié. Et surtout, on ne voit pas d’actions.
En gare de Lyon, au PLM, on était en interpro dans le soutien à un piquet de grève des Wagons-Lits. Aujourd’hui, il y a des tas de réunions qui aboutissent à rien. Nous on a rejeté le USE à Londres et on s’est fait mal voir à SUD pour ça.
A Choisy, lors de la grève d’un transporteur sous-traitant de la Poste, on a apporté un soutien humain et logistique (à des gens par ailleurs à FO), Ça c’était de l’interpro.
Beaucoup de tâches peu ou pas définies. Comme Annick Coupé, après le vote mettant fin à son mandat syndical. Permanente a temps partiel au G10, puis devenue temps plein je ne sais comment. C’est aussi le cas d’autres reconvertis. Aguition n’est pas retourné au travail. Je ne sais pas comment il a fait. Peu sont vraiment retournés.

V : Mais les exemples que tu cites nécessitent des luttes et il y a peu d’occasions.

L’interpro en UL, oui c’est possible, comme fait la CGT, soutien juridique, action au quotidien. Aujourd’hui, j’ai le sentiment que l’interpro c’est une orientation de permanents pour buller. Ça m’énerve.
Exemple des transporteurs d’Issy comme possibilité de liens interpro.

L’interpro SUD est fait mais non décrit. L’interpro SUD, c’est le PQ pour la Tchetchénie. J’exagère à peine.

Le travail politique

V :Quel lien fais-tu entre un travail syndical révolutionnaire et la construction du parti révolutionnaire ?
(Silence)
Je milite dans l’urgence, dans le but de vite réarmer de jeunes travailleurs.
Ensuite, pour faire passer les idées, c’est plus facile de faire passer le message en tant que militant syndical. Pratiquement, aussi. Tu peux rentrer sur un site. La méfiance des travailleurs est moindre. Ils rejettent l’organisation politique. Moins le syndicat.
Ensuite tu peux développer des idées politiques.

V : Et ensuite ?
Notre discours doit se traduire sur le terrain. Tant qu’on n’a pas fait la preuve qu’il gagne, ou au moins qu’il transforme, on n’est pas vraiment entendu.

V : Et si tu as gagné ?
Alors ce qu’on a gagné peut être présenté comme un micro exemple de ce qu’on pourrait faire à une échelle plus vaste.

V : Mais comment entrer en débat sur le sujet ?

ll n’y a même pas débat. Je dis que les bolcheviks en 1917, c’est pareil que la grève. Le message est reçu.

V : Est-ce que ça aboutit à des contacts plus politiques ?

Non. Il n’y a pas de relance et pas de suivi. L’agence de Montgeron par exemple. Quand le syndicat a été en ordre de bataille, je l’ai laissé de côté. En tant que permanent, tu te tournes vers ce qui est faible.

V : La logique n’est pas la même que pour un travail politique. Il faudrait une microstructure avec partage de rôles. Des camarades pouvant faire un suivi politique. Vois-tu des camarades conscients capables d’aller au-delà du syndicalisme et de faire cela ?

C’est pas mûr. Certains sont en bonne voie, mais les discussions doivent continuer à être menées. Avec la reprise du boulot, j’aurai moins de possibilités de déplacement. Ce que j’ai fait, c’est des bouteilles à la mer.

V : La politisation ne fonctionne pas comme des bouteilles à la mer où sur le nombre, une sera recueillie. Si les discussions s’insèrent pas dans un cadre collectif en construction, elles pourront peut-être être utiles ultérieurement mais rien ne se construira de lui-même.
C’est vrai, mais c’est mieux que rien. Je n’ai pas d’autres moyens en termes de temps. On part de loin. Le travail de conviction est énorme pour une jeune personne. L’organisation de la lutte fait gagner un temps considérable. L’autre phase, je suis pas capable de la conduire.
Je vais reprendre le travail, mais on est nombreux à porter le syndicat. J’aurai plus de temps. Je vais continuer à militer sur d’autres petits sites. J’aurai plus de temps car je laisserai le juridique et la logique syndicale à d’autres.
Ce que j’ai fait, c’est de la maison Bouygues. De la construction rapide. A consolider.

Bilan

V : Ton bilan perso ?
Bilan positif sur plusieurs plans. Alors que j’étais réticent au départ.

1/ Prise directe avec la jeunesse des cités du 93 tant décriée. Je les ai vus fonctionner. Ils sont présents dans les agences d’Argenteuil et de La Courneuve.
Pour distribuer en sécurité dans les cités, les patrons y ont recruté.
Ils ont eu des problèmes d’encadrement, les jeunes ayant, au travail, le même comportement qu’en cité et se laissant pas emmerder par les chefs. En s’appuyant sur leur révolte, un travail a été possible pour expliquer la bourgeoisie, la classe ouvrière, l’intérêt du syndicat. Ces jeunes perçoivent très vite les possibilités du collectif. Évidemment, cela suscitait des tas d’autres discussions (« Moi, j’irai chercher ma femme au bled »)

2/ J’ai mené quelques luttes. Gagné certaines, perdu d’autres.

3/ J’ai pu démasquer la CGT et FO du Colis par rapport à leur comportement dans ces luttes.
J’ai mis en évidence que c’était des collabos. Les saloperies sorties par eux en réunion, je les balançais ensuite.
Mon syndicat SUD s’est construit quasi exclusivement parmi les contractuels. CGT et FO ne mordent pas du tout et voient leur influence décliner au fil du temps (moins de fonctionnaires, moins de militants qui se démoralisent et se laissent acheter. Ils prennent du galon dans la hiérarchie ou bien ont des sinécures scandaleuses). Seule la CFDT arrive à mordre en signant les accords salariaux pourris et en s’en vantant.

4/J’ai côtoyé tout ce milieu de permanents et appris que pas mal ne foutaient pas grand chose, tous syndicats confondus. SUD compris. Un milieu idéologiquement en décomposition.

5/ J’ai envoyé chier plein de patrons. On s’est fait de bons petits trucs.

6/ J’ai pu mettre des collectifs en lien et ouvrir le local de permanence du syndicat. J’ai pu déléguer la prise en charge des petites unités, des agences, par les sections plus fortes des centres de tri. Cela a été dur de les sortir de leur routine. Leur bastion est finalement confortable. J’avais réparti les 25 agences en 3 : celles de banlieue Nord pour Gennevilliers, celles du SUD pour Créteil et celles de Paris pour la permanence rue des Envierges. Ça commence à marcher seulement au bout de deux ans.

V : Discussion sur le principe de la permanence.
Fonctionner par demi-permanents demande de la rigueur, demande des militants disponibles et extractibles,.. et un collectif.

Un permanent détaché, quelque part, c’est une preuve de faiblesse. Ça compense un manque d’énergies.
Le problème est posé dans le syndicat avec la fin de mon mandat. Sans relève, soit le syndicat coule, soit il faut fonctionner autrement. Soit on augmente la durée du nombre d’années a la permanence. Ce qui serait catastrophique et entraînerait des départs.
A l’époque du PLM, les mandats étaient d’un mois. Puis un an non renouvelable. Puis renouvelable une fois. Aujourd’hui, c’est renouvelable deux fois.
A l’époque 8 grosses sections avec beaucoup de militants dans chaque section. Il y avait un lien permanent. Les fermetures ont explosé les équipes militantes. Beaucoup sont partis en province. Aujourd’hui, on a gonflé en adhérents mais il y a peu de militants. D’où les permanents et la difficulté du renouvellement.

V : Partisan comme outil ?
Je les laisse sur les sites. Les camarades ne les achètent pas. J’ai des retours si je stimule.
Je vais photocopier l’article sur SUD dans le dernier et stimuler des discussions. SUD l’auberge espagnole, SUD l’émiettement idéologique, c’est complètement vrai.
J’ai appris, comme d’autres, l’existence d’un SUD Intérieur en voyant un tract. Pas besoin de discuter de chaque SUD qui se crée, mais là, ça posait problème. Pas de réponse non plus de la Fédé là dessus.

V : je parle d’un tract hallucinant de SUD Intérieur, recto, protestation sur l’infiltration des groupes subversifs, du point de vue des conditions de travail et verso sur le détail des "orgas juives" avec luxe de détail donnés par le métier de RG.
Aussi ça m’a choqué, au début de mon mandat de permanent un coup de fil des RG sur un rassemblement. J’ai découvert qu’il y avait des rapports courtois établis entre les permanents SUD et les RG. Les Postaux Paris ne semblaient pas choqués de ces rapports.
Dans le même registre, en 2002, nous avons été bloqués en cars, à la frontière espagnole, lors d’un déplacement qui ciblait le sommet de Barcelone, où Chirac et Jospin allaient signer l’engagement à repousser l’âge de prise de retraite.
Les flics espagnols avaient cogné. On a été mis sous protection de la police française. Krivine discutait avec les flics et les RG. J’aurai préféré qu’on se fasse hacher menu plutôt qu’être mis sous la protection de la police française.
Tout cela en dit long sur l’inscription de SUD dans le paysage.
Ils n’ont pas dévié depuis 89 contrairement à ce qui est écrit. Combativité en déclin ? Non.

V : Il y a quand même une évolution. Une dérive accentuée.

[Hors enregistrement, il a décrit un effet des conditions très dures Des salariés disparaissent du jour au lendemain. Laissent tout en plan.
Des fois ne viennent même pas réclamer leur compte tellement la pression est forte.
S’ils pètent un câble, c’est aussi que l’encadrement est formé à faire chier. Ce n’est plus les fonctionnaires de l’ancien temps. Ils se sont servis de ces derniers pour la mise en place des plate-formes Ils avaient besoin de leur savoir-faire. Les nouveaux sont contractuels, exercent un encadrement féroce et ne laissent rien passer. ]

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