Gilets verts vs. Deliveroo : récit de la première semaine de mobilisation des livreurs

Récit de la grève des livreurs contre Deliveroo : comment s’organiser quand ton patron est un algorithme ? Quelles stratégies de lutte pour planter l’application ? Jusqu’ici l’auto-organisation a permis des mouvements réussis dans toute la France. Mais pour arracher une victoire contre la plate-forme il va falloir maintenir les mobilisations jusqu’en septembre.

Texte initialement publié sur le site Agitations.

Depuis le début du mois d’août, la plate-forme de livraison de plats à domicile Deliveroo connaît un de ses plus grands mouvements de grève depuis son lancement en France. Alors que nous étions habitués chaque année durant l’été à voir émerger des mouvements de contestation, celui-ci semble bien prendre, aussi bien chez les livreurs à l’échelle nationale que dans l’opinion qu’il s’agisse du traitement médiatique ou du soutien des « consommateurs ».

Articulant plusieurs stratégies de blocage, de boycott, de déconnexion et de médiatisation, l’enjeu est alors à la fois de frapper la plate-forme au porte-monnaie en empêchant les commandes d’être livrées, de faire pression sur les restaurateurs pour se retirer au moins de manière temporaire du système, puis enfin de se montrer dans la rue et dans les médias pour rappeler la réalité de nos conditions de travail. Le choix de la grève perlée (organiser des actions et des blocages un, voire deux jours par semaine, pour ne pas trop toucher la rémunération des grévistes) permet alors de maintenir la pression à la fois sur le plan financier et sur le plan symbolique, à un moment de l’année où la faiblesse du nombre de commandes ne permet pas d’envisager des blocages de masse.

Ainsi plusieurs difficultés vont s’imposer aux grévistes et aux livreurs mobilisés : faire durer un mouvement sur un mois où habituellement les commandes sont très peu nombreuses et donc les perspectives d’offensives et de perturbation du système très limitées.

I. Ce qui a mis le feu aux poudres

L’évolution du système de tarification

Comme chaque été Deliveroo profite de la baisse des demandes et de la moindre présence des livreurs (qui sont invités à ne plus travailler pendant les mois de juillet et août pour pallier le manque de commandes) pour imposer une baisse de tarification à ses livreurs qui n’auront aucun moyen de contester ces réformes. Petit à petit les revenus plus stables ont été remplacés par des revenus beaucoup plus variables qui ont d’autant plus précarisé les livreurs.

  • Ainsi, à l’été 2017, Deliveroo avait décidé de rendre caducs les contrats des livreurs payés à l’heure (à l’époque 7,5€/heure + 2 à 4€ par commande livrée) afin de les forcer soit à prendre un contrat payé à la commande (5,75€/livraison) soit tout simplement à prendre la porte. À ce moment-là, le service de Deliveroo était en pleine expansion ce qui permettait de rendre le contrat à la commande plus avantageux ; néanmoins la manœuvre a permis de se débarrasser de livreurs plus anciens qui pouvaient se montrer plus revendicatifs. Au fur et à mesure, l’augmentation des distances de livraison a rendu ce système de tarification à la commande beaucoup moins avantageux.
  • C’est ainsi qu’au mois de juin 2018 a été introduit le nouveau système de tarification « à la distance » dont nous détaillions le fonctionnement dans cet article. Le revenu par commande était alors variable : il comprenait des frais de prise en charge de 2 € ainsi qu’une part variable calculée de manière obscure en prenant en compte la distance (à vol d’oiseau), horaire, le nombre de livreurs connectés ainsi que d’autres paramètres inconnus par l’équipe même de Deliveroo France. La tarification variable garantissait tout de même un montant minimum fixé chaque mois.

Ce système de tarification variable était cette fois aussi plus avantageux que l’ancien compte tenu de l’explosion des distances de livraison (au départ limitées à 5km maximum, distance au restaurant comprise, elles peuvent dorénavant atteindre 10km voire plus dans certaines zones), et du fait que les tarifs étaient plus avantageux (jusqu’à 7-8€ sur certaines commandes pas excessivement longues). Il a fallu attendre le mois d’octobre avec une baisse des tarifs minimum (passés de 5,3€ la commande à 4,7€ à Paris) pour que surgisse un mouvement de grève national que nous vous racontions dans cet article. Début avril, un nouveau mouvement, plus discret et plus local, avait également eu lieu pendant quelques jours parmi les livreurs du 16e arrondissement, autour de la place Victor Hugo.

La fin des tarifs garantis

À partir du 30 juillet 2019, Deliveroo annonçait aux livreurs la fin des tarifs garantis. Fixés autour de 4€ par commande (variable selon les villes), ils peuvent désormais tomber jusqu’à 2€ pour les commandes estimées livrables en moins de 10 min (en ne prenant pas en compte les temps d’attente aux restaurants pouvant prendre parfois plusieurs dizaines de minutes).