Football et racisme : liaisons dangereuses

Article qui pense, à travers une approche sociale, les multiples accointances existantes entre football et racisme de nos jours, notamment en France.

Racisme et football, voici deux entités se retrouvant trop souvent liées.

Ici, il s’agira, de comprendre en quoi le football entendu en son sens contemporain mais également au sein de sa riche histoire a toujours été constitué d’une forme de sensibilité, d’un dogme raciste.

Dans une dimension exclusivement nationale, l’actualité relativement récente est florissante concernant cette thématique, entre cris racistes, comme ce fut le cas le 12 avril 2019 lors de la confrontation d’un match de ligue 1 opposant Dijon à Amiens ou plus récemment encore de nombreux messages à caractère homophobe prospérant dans de nombreux stades français. Les actes racistes sont légion au sein du football, que ce dernier soit masculin ou féminin, professionnel ou amateur, et ceux-ci dépassent les frontières. En effet, la liste de ces derniers est longue et non exhaustive.
À ce titre, nous pouvons dès à présent évoquer l’ancien attaquant tchèque Milan Baros, notamment passé par l’Olympique lyonnais, qui a eu un geste « déplacé » suggérant qu’il ne supportait pas l’odeur du Camerounais Mbia lors d’un match Lyon-Rennes en 2007 [1]. Mais également un grand nombre d’incidents entre joueurs, comme ce fut le cas avec le Serbe Kezman sorti par son entraîneur de l’époque, Antoine Kombouaré lors d’un match entre Paris et Saint-Etienne car il aurait insulté Pape Diakhaté de « sale nègre ». Ou encore les multiples insultes de Luis Suarez et John Terry envers Patrice Evra et Anton Ferdinand. L’Italien Paolo Di Canio qui se revendique « fasciste » tout en se défendant de racisme [2].
En Hongrie, l’ancien entraîneur national Kalman Meszoly a tenu, il y a quelques temps, des propos racistes à l’occasion d’une interview télévisée sur les joueurs africains faisant partie des clubs hongrois, estimant que ces derniers « étaient à peine descendus de leur arbre » [3].
Mais aussi, lorsque la Croatie a rencontré la Bosnie-Herzégovine à Sarajevo, les supporters croates ont formé un « U » humain symbolisant le mouvement fasciste Ustase responsable du massacre de Serbes, de juifs et de Roms durant la Deuxième guerre mondiale. D’autres incidents du même acabit eurent lieu, comme lorsque le chant officiel des supporters croates s’intitulant « Lijepa Li si » fut pointé du doigt par SOS Racisme, le Mouvement antiraciste européen (Egam) ainsi que la branche croate de l’association Youth Initiative for Human, car jugé nationaliste, agressif et violent, ravivant notamment le spectre de la guerre dans les Balkans [4]. Plus récemment encore, le 16 février dernier, cette fois-ci au Portugal, l’attaquant du FC Porto, Moussa Marega, décida de quitter le terrain à la suite de multiples cris de singe en sa direction [5].

Nier que des actes racistes existent dans le monde du football serait absurde. Les militants contre le racisme ont été occupés et préoccupés au cours des derniers mois. Le racisme, la xénophobie et les activités d’extrême droite dans et hors des stades de football suscitent de vives inquiétudes. Les supporters d’extrême-droite trouvent dans le football ce qu’ils viennent chercher, c’est-à-dire une forme de confirmation de leurs croyances racistes.
Nous pouvons dès lors nous intéresser aux réponses apportées par les autorités dites « compétentes », aux positionnements idéologiques et politiques se mettant en place. À ce titre, évoquons notamment le 2 juin 2009, ce jour-là le footballeur amateur Maxence Cavalcante évoluant en deuxième division départementale à Lagnieu, qui devient le premier footballeur français condamné pour insulte raciste sur un terrain. Lors d’un match opposant Lagnieu à Rossillon, le joueur de Lagnieu traite un adversaire de « sale nègre » et de « sale singe ». À la suite de cela l’arbitre arrête le match ce qui est assez rare pour être souligné. Suspendu, Maxence Cavalcante est condamné à quatre mois de prison avec sursis et 1 500 euros d’amende pour insultes racistes. Il s’agit là d’un jugement historique en France puisque pour la première fois, la justice condamne un acteur central du football, à savoir un footballeur, pour racisme [6].
De plus, l’Unesco affirmait au cours de l’année 2000 que la récente condamnation, par la FIFA, des actes et manifestations de racisme ne devait «  pas faire oublier l’absence de réaction observée à la suite du comportement critiquable de certaines personnalités du football, comme Mehmet Ali Yilmaz ». Ce dernier, alors président du club Turc de Trabzonspor, avait en effet traité l’attaquant noir anglais Kevin Campbell de « cannibale » et de « décoloré » [7].
Le cas n’est pas isolé puisque Ron Atkinson, consultant de la chaîne britannique ITV et entraîneur d’Aston Villa, se croyant hors antenne, traitait lors d’une retransmission télévisée Marcel Desailly de « putain de fainéant de nègre » [8]. Que dire des sorties racistes du commentateur sportif Thierry Roland exprimant, entre autres, en 1986, ses regrets lors de la coupe du monde à voir la rencontre Angleterre-Argentine supervisée par Monsieur Benaceur en ces termes « Ne croyez-vous pas qu’il y a autre chose qu’un arbitre tunisien pour arbitrer un match de cette importance ? » [9].
Cette problématique ne s’applique évidemment pas de manière exclusive dans la sphère hexagonale. Ici, nous sommes en droit et en mesure d’estimer que cette thématique possède donc une double dimension, à la fois contemporaine mais également sociale. Comme l’estiment les frères Fassin, la question sociale est aussi une question raciale, tout comme la question raciale est aussi une question sociale [10].
La violence des foules sportives, des hooligans ou encore des associations de supporters dites « ultras », peut être considérée comme partie intégrante des habitus de ces associations, de ces groupes. Au sein des enceintes sportives, ces groupes de supporters doivent faire communauté face à un adversaire. Mais plus ces derniers se sentent ultra et plus l’adversaire du jour sera visualisé comme un ennemi, ce qui sert à souder la communauté autour d’un « nous » face à un « eux ».
Mais alors, le foot est-il un vrai milieu raciste, propice au racisme ou simplement victime d’un certain engrenage social ?
En amont, précisons que nous souhaitons partir du postulat de base soutenant que le foot est encore l’une des dernières sphères sociales proposant une certaine ouverture entre les différences et permet de réunir une quantité considérable d’individus venant de tous horizons autour d’événements fédérateurs, tels que la Coupe du Monde. Au sein même des stades, c’est l’idéologie libertaire qui a dans la plupart des cas donné naissance aux groupes de supporters au cours des années 1970 et 1980. Dans ce cas, comment expliquer qu’une telle dérive se produise au sein de cet espace unificateur, cohésif ?

Football et société : des rapports complexes

Le sport énonce un discours sur la nation, sur ce que signifie le fait d’être français.
Nous partirons de l’aphorisme que le football représente un vecteur social non négligeable. Aujourd’hui, le sport est essentiel dans la représentation des personnes ainsi que des collectifs, le corps du sportif, le corps social de l’équipe offrent autant de perspectives d’interprétation dans des registres racialisés [11]. Cette activité n’appartient à personne en particulier : au sein d’une seule et même équipe, il n’est pas singulier que différentes catégories sociales, que différentes religions soient représentées.
Ce sport, se trouvant présent sur chacun des cinq continents, est souvent décrit comme étant le plus populaire au monde. Le sport en général et le football en particulier propose un discours sur la nation, sur ce que signifie être français. Il est donc légitime et aisément compréhensible qu’il se retrouve confronté à de nombreuses problématiques du fait justement de sa formidable exposition. En soit, c’est une condition sine qua non de la popularité de ce jeu.
Nous visualisons le foot comme un miroir grossissant de l’espace social, des événements se déroulant au sein de la société civile. Miroir grossissant du fait de l’exceptionnelle exposition médiatique, mais également des énormes enjeux économiques et aussi politiques que possède en son sein ce sport. Je m’explique : il existe bien évidemment une multitude de sphères regroupant une cohorte d’individus, une liste non exhaustive de ce genre de sphères pourrait aisément voir le jour, mais ces dernières ne possèdent pas le poids institutionnel, financier, médiatique propre au football. Cependant cela n’est pas le sujet nous intéressant ici-même. En soit, le football est un microscope grossissant des aléas se déroulant au sein de la société. Les crises comme l’affaire des quotas, les insultes racistes, les propos polémiques, la faible représentation des minorités parmi les entraîneurs ou les dirigeants de l’élite, tout cela étant démultiplié par l’attention populaire ainsi que l’attraction médiatique.
Le football est-il victime de son succès ? Le sport est culturellement et politiquement substantiel voire vital du point de vue de la représentation des personnes ainsi que des collectifs. Cependant, dans un même temps, c’est un domaine où on les a assujettis à tenter leur chance. Cette chance représentant l’une des seules perspectives de réussite sociale leur étant disponible. Mais une fois la réussite au rendez-vous, on réduit la portée de cette dernière, puisqu’elle serait « naturelle », car biologisée. De ce fait, les différents maux visibles au sein de l’espace public, de l’espace social se retrouvent également perceptibles dans le monde du football. Telle était notre théorie de départ.
Le racisme épargne-t-il le football ? A cette interrogation, on ne peut que répondre « non ». De quelles manières le monde du foot pourrait-il vivre, évoluer dans une bulle et ainsi échapper aux travers de la société ? En partant de ce prisme-là, il paraît donc concevable que différentes formes de discriminations voient le jour en son sein et s’expriment de diverses manières, comme cela se produit dans la société civile. Le foot ne représente pas un orbe isolé de tout cadre temporel, à l’écart des abus de notre temps, et pas seulement du nôtre, au contraire il en est une composante active.
Mais alors, comment expliquer ou du moins comprendre que ce sport si cosmopolite dans sa composante même, si pluriel dans son exercice soit à ce point touché par le racisme ? Quels mécanismes peuvent expliquer cela ? En l’espèce, nous pouvons nous interroger sur la manière de redonner au football son fondement démocratique, de démocratiser sa pratique, tout comme ses publics. De plus, nous pouvons nous questionner sur la façon d’affûter son sens d’une pratique intégratrice pour toutes et tous, et profondément encastrée dans son espace culturel et social local, régional, national et international ?
Tout d’abord, il apparaît assez limpide qu’il faille mettre en avant le facteur de classe ainsi que celui de migration (Ndiaye, 2008) [12]. Le sport est synonyme de développement, d’essor social mais également économique pour une grande partie des classes dominées.
Pour un nombre conséquent d’enfants noirs, le sport symbolise un moyen de réussite sociale, car la réussite des aînés les conforte dans l’idée qu’il est un lieu propice à cela, au sein duquel les discriminations raciales ne voient pas le jour. Il est potentiellement analysable le fait que les noirs investissent des sports où en amont d’autres noirs sont présents en nombre de manière visible et à haut niveau, de sorte que ces sports apparaissent comme des lieux sans discrimination raciale, en apparence, et où les talents peuvent s’exprimer et les efforts sont justement récompensés.
Visualiser avec précision les itinéraires de champions d’origine modeste voire très modeste, puis parvenus à la gloire est pratiquement un genre littéraire voire cinématographique qui a accompagné l’histoire-même du sport et donc du football. Les Noirs étant surreprésentés dans les catégories modestes, il n’est pas aberrant ni irrationnel de les trouver dans le sport, notamment les sports historiquement liés aux classes populaires, encore une fois comme le football. À ce titre, nous pouvons aborder un thème revenant régulièrement sur le devant la scène médiatique, à savoir l’équipe de France et les joueurs noirs et arabes la composant. Souvent, nous pouvons entendre ou lire que cette dernière serait composée exclusivement de joueurs noirs et arabes, ou du moins qu’elle manquerait au sein de sa composante même de joueurs blancs.
Ici, faisons un petit aparté. Il convient d’évoquer le cas de Pierre Ménès, qui il y a peu, a dénoncé un racisme « anti-blancs » au sein du football français. Pour ce faire, il prit en exemple son fils qui a tenté de jouer dans un club en région parisienne, et pour qui l’intégration aurait été compliquée du fait de sa couleur de peau (selon Pierre Ménès). Cette notion de racisme anti-blanc provient directement de l’idéologie propre à l’extrême droite. L’idée prédominante serait qu’on privilégie les immigrés ou les non-blancs plutôt que les blancs au sein du sport en général. Apparaît l’ébauche d’un grand remplacement version miniature au sein de l’équipe de foot, alors que c’est justement le fait que le sport, ici le foot, attire généralement plutôt des catégories défavorisées. Défavorisées donc avec plus d’immigrés et de non-blancs. Comme évoqué plus haut, le foot et ici l’équipe de France représente et forme un miroir réfléchissant de notre passé national, qui est aussi un passé colonial. Il serait intéressant ici, d’un point de vue sociologique, d’interroger, de questionner l’aspect hiérarchique régnant dans le football.
D’une part, les joueurs sont hiérarchisés entre eux, comme nous le montre la figure du capitaine.
D’autre part, il serait fructueux d’approfondir sur la manière dont les joueurs racisés sont traités par leur hiérarchie par rapport aux autres joueurs, cela afin de visualiser s’il existe des rapports de pouvoir dans lesquels peuvent jouer les préjugés coloniaux racistes [13].

Tout au long de son histoire, cette équipe de France fut donc constituée de joueurs issus de diverses filiations en phase avec les courants migratoires du moment présent, que ceux-ci soient polonais, italiens ou encore espagnols.
Rien d’étonnant, de surprenant à cette « forte » présence de joueurs noirs sous le maillot bleu aujourd’hui. Cela représente simplement un moment de l’histoire sociale de notre pays et des grands courants migratoires internationaux. Comme l’exprime Pap Ndiaye, les cartes des assignations racialisées sont sans cesse rebattues, mais la naturalisation des compétences trouvera toujours à s’exprimer.

Football et racisme : des connexions brûlantes

« Les Noirs sont bons en sport ».
Pap Ndiaye, au sein de son ouvrage « La condition noire », estime que cette phrase revient avec vigueur au sein de nombreuses discussions. Le cas spécifique des sportifs noirs pose de nombreuses questions, à travers le fait qu’ils se retrouvent présents en masse dans des sports populaires, de premier plan médiatique, comme le football, au sein desquels la « francité » s’est construite à la fois politiquement mais également racialement. Cela engendre, toujours selon Pap Ndiaye, le fait que le champion noir peut voir son appartenance nationale suspectée par une frange raciste en même temps que ses compétences tendent à être naturalisées.
Historiquement cette dialectique ne fut pas toujours de mise, au contraire cette exaltation de la puissance physique noire est relativement récente. Dans le courant du XIXe siècle, l’écrivain et homme politique français Arthur de Gobineau évoquait, au sein d’un essai eugénique et raciste, la faiblesse musculaire supposée des Noirs, de leur propension à la fatigue [14].
Dans la même veine, plusieurs médecins du Sud des États-Unis publiaient des études soulignant la débilité physique des Noirs libres, ces études portant notamment sur les prisonniers censés vivre dans les mêmes conditions et autorisant donc des comparaisons. Ces mêmes études évoquèrent le manque de solidité nerveuse et de courage ainsi qu’une prédisposition au rachitisme, au gigantisme, aux goitres et à diverses maladies psychiques propres aux Noirs.
À ce titre, le cas de Samuel Adolphus Cartwright, médecin qui pratiqua dans le Mississippi et la Louisiane durant la période avant la guerre de Sécession est éloquent. Il écrivit que « la couleur noire n’est pas seulement celle de la peau, mais elle a contaminé chaque membrane et chaque muscle en teintant toutes les humeurs, et le cerveau lui-même, d’obscurité  » [15]. La peau noire était donc considérée comme l’indice que le noir n’était pas simplement présent sur la peau, qu’il n’était pas qu’une question mélanique, mais le signe d’une corruption interne des organes, d’une disposition physiologique particulière et néfaste. Pour Cartwright, ce n’était donc pas uniquement la peau de l’individu qui était noire mais bel et bien l’ensemble du corps humain, jusque dans ses dispositions intérieures, invisibles et secrètes.
Le questionnement des stéréotypes raciaux véhiculés par le sport. Michael Jordan « Comme si nous étions sortis en dribblant du ventre de notre mère  » [16].
Il est évident que la tentation de l’explication biologisante à propos de la forte présence de sportifs noirs dans un nombre conséquent de sports est toujours présente, tapie dans un recoin, prête à surgir dans la bouche d’un commentateur. On pourrait considérer cela de manière indulgente si ces considérations n’allaient pas de pair avec une disqualification des Noirs dans d’autres domaines, notamment ceux de l’intellect et de la haute création, réduisant de fait les talents sportifs comme compensation de déficiences intellectuelles implicites.
À ce titre, un récent exemple peut être évoqué explicitement, il s’agit des propos tenus à l’antenne par le commentateur sportif Daniel Bravo lors d’un match opposant Strasbourg à Reims lors de la saison passée de Ligue 1. Durant ce même match, ce dernier avait estimé que « six buts et cinq passes décisives, c’est quand même pas mal pour un Noir… Un joueur qui n’a été titulaire que 17 fois » [17], avant de se rétracter et de s’excuser pour ce « lapsus » dans un tweet [18]. Comme si ces bonnes statistiques footballistiques n’entraient pas en adéquation avec la couleur de peau du joueur.
La façon dont des footballeurs noirs sont accueillis au sein de certaines enceintes de football européennes, rappelle que le temps des zoos humains n’est pas si éloigné que ça. Les stéréotypes racistes, qui assignent les personnes à certains secteurs d’activité, sont compatibles avec des activités éventuellement valorisantes comme le sport. S’il ne faut pas surcharger de sens les propos outranciers des fans qui ne visent parfois « que » la disqualification de l’adversaire [19], vue de l’extérieur, la frontière reste mince entre l’ancrage idéologique et le jeu dans le jeu.
L’apparition d’athlètes noirs d’exception frappa de stupeur, la désintégration de l’idée du corps noir faible s’opéra de manière spectaculaire. De nombreux exemples pourraient ici être évoqués afin de mettre en lumière cette remise en cause des idées reçues concernant le physique noir. Par exemple, celui de Jack Johnson qui fut le premier champion du monde noir de boxe poids-lourds en 1908. Ce dernier affronta James Jeffries, boxeur blanc, qui déclara : «  Je vais combattre pour l’unique objectif de prouver qu’un homme blanc est supérieur à un noir  ». Le succès, le triomphe de Johnson aura pour rôle d’entraîner la chute de la condescendance, de la supériorité raciale physique des Blancs au début du XXe siècle.

Comme l’estime Sylviane Agacinsky, évoquer, étudier le racisme, ce serait chercher ce qu’il y a de potentiellement raciste dans nos modes de pensée, y compris la pensée philosophique. Puis, plutôt que de faire fond sur ce que nous aurions de commun avec les « autres », accepter l’épreuve des autres, de la multitude et de la multiplicité. Faire l’expérience du partage, qui n’est pas la rencontre du semblable.
La face théorique du racisme vient toujours doubler sa face politique en lui donnant des assises, en la rationnalisant mais sans pour autant la produire de toutes pièces. De plus, en ambitionnant de penser et de visualiser l’humanité de l’homme en son sens le plus vaste, à première vue la philosophie semble conciliable avec les différentes formes de racismes, car ces dernières sont généralement identifiées à des modes de pensées particularistes.
Si le racisme résulte, selon Michel Wieviorka, de certains phénomènes sociaux, comme les crises, la pauvreté ou la guerre, cela ne suffit pas à expliquer comment il se forme. D’après Etienne Balibar, le racisme peut-être entendu comme un ensemble de pratiques, de conduites plus ou moins violentes, de discours et de représentations qui contribuent à la fois à fonder et à sauvegarder l’identité communautaire à la garder sauve, pure, intacte, stable, protégée de toute contamination étrangère.
En amont d’être une pensée de l’homme, le racisme est une conception de la communauté, il est une certaine façon de construire cette même communauté. Les questionnements que le racisme pose à la philosophie ne peuvent concerner seulement la pensée de l’homme mais indissociablement et d’abord celle de la communauté. Le raciste, selon Claude Lévi-Strauss, c’est celui qui rejette hors de l’humanité les « sauvages » qui ne font pas partie de son village ou de sa communauté, qu’elle soit géographique, religieuse ou encore ethnique.
Les « spécialistes » de sciences sociales doivent assidûment, immuablement faire la chasse à l’essentialisme, faire abstractions de ses éclaircissements utopistes, dans le but précis de proposer des pistes explicatives plus complexes, c’est-à-dire des explications sociales. Ce n’est décidemment pas du côté de la biologie que l’on a trouvé ou que l’on trouvera, une explication un tant soit peu valable au succès des athlètes noirs, mais bel et bien du côté des formes d’organisation des sociétés, des opportunités socio-économiques, des structures sportives ainsi que de l’histoire de l’immigration.

Et les institutions sportives ?

Le fait que le sport de haut niveau soit largement retransmis à la télévision, tend à valider les stéréotypes raciaux, puisqu’il exalte des qualités qui sont historiquement attribués aux groupes racialisés.
De nos jours, un nombre considérable de pays européens soutiennent plus ou moins activement les diverses campagnes contre le racisme dans le football. De nombreux clubs professionnels de football, associations nationales et de fédérations nationales, comme l’Union des Associations européennes de football (UEFA) et la Fédération Internationale de Football Association (FIFA), ont dénoncé le racisme et mis en place des ébauches de mesures disciplinaires contre les personnes responsables. Cela n’est évidemment pas suffisant, les actes racistes et l’exclusion des minorités ethniques et des migrants, ainsi que la discrimination continuent d’exister sur et hors du terrain. Les activités futures du FARE (football contre le racisme en Europe) avec l’UEFA, la FIFA et les institutions de l’Union Européenne mettront non seulement l’accent sur les efforts communs pour éradiquer les comportements motivés par des raisons racistes dans les stades, mais encourageront aussi les clubs et les associations à introduire des politiques et des mesures qui promeuvent la diversité afin d’assurer une représentation égale des migrants et des minorités ethniques à tous les niveaux du football – pas seulement sur le terrain. Elles doivent se donner comme objectif d’offrir la même diversité dans les comités directeurs des clubs et des associations de football que sur le terrain de jeu.
Les structures d’encadrement sportif, comme le sont les grandes fédérations nationales et internationales, ont tout de même longtemps été indifférentes aux injustices sociales et raciales, quand elles ne les cautionnaient pas au nom de l’indépendance du sport par rapport à la politique. Alors que les premières grandes manifestations xénophobes liées au football datent de la fin des années 1970, ce n’est qu’en mars 2003 que l’UEFA et FARE, réunis à Londres, adoptent une charte proposant dix mesures concrètes pour lutter contre le racisme dans le football. À ce titre, peut-on parler d’un « pseudo combat des instances » ? Les diverses mesures législatives mises en applications dans un grand nombre de pays d’Europe depuis quelques années désignent à l’évidence que racisme, xénophobie et idéologies politiques ont déjà une longue histoire commune dans le domaine du football un peu partout en Europe et dans le monde.
Précisons tout de même, comme l’ont fait Dominique Bodin, Luc Robène et Stéphane Héas [20], qu’il y a quelques années de cela, un certain nombre d’hommes politiques ont décidé de condamner l’ « inacceptable ». En effet, l’ancien ministre des Sports français, Jean-Francois Lamour, lançait ce qu’il nomme un appel à la responsabilité de tous [21]. En outre, l’ancien ministre des Affaires étrangères espagnol, Miguel Moratinos, estimait que «  tout propos raciste visant n’importe quel joueur en raison de la couleur de sa peau devait être dénoncé sans retenue [22] ». Le même jour, toujours un ancien ministre, l’anglais Richard Caborn qui fut ministre des Sports, annonçait qu’il allait demander l’intervention de la FIFA et de l’UEFA afin de sanctionner les diverses dérives constatées. En soit, il s’agit d’analyses lucides mais inefficaces, car beaucoup de déclarations pour peu de réponses effectives, cela pouvant s’apparenter à un anti-racisme de façade. Pour mener une action efficace et décisive afin de résoudre un problème social aussi angoissant, on ne peut pas s’appuyer uniquement sur des remèdes contingents et provisoires qui sont trop précaires. L’un des risques étant l’apparition d’un esprit de résignation fataliste, une certaine tendance au parasitisme social.
Nous pouvons estimer que, malgré notre postulat de départ envisageant le football comme un spectre social réunificateur, le sport n’est pas à proprement parler un lieu privilégié de lutte contre le racisme. Pour que cette activité, pour que le football soit tangiblement antiraciste, au-delà des déclarations lénifiantes sur ses « valeurs de fraternité », il conviendrait que le monde sportif dans sa globalité décide qu’il le devint réellement, authentiquement et agisse de fait en conséquence.
Trop souvent, un positionnement idéologique individuel de certains acteurs du football hexagonal voit le jour, comme ce fut le cas avec l’entraîneur du Stade Rennais Julien Stephan [23] ou encore avec le joueur du PSG Kylian Mbappé [24], mais cela marque d’autant plus le manque d’harmonisation collective pour lutter contre le « vrai » problème qui est la haine raciale et ses multiples manifestations sportives dans les stades.
Comme l’exprime Pap Ndiaye, le sport n’a pas besoin de torrents de bons sentiments, mais de droit et de civisme.
Il reste donc du travail afin d’accomplir cette tâche.

Notes

[8Propos faisant l’objet d’un carton rouge dans L’Equipe Magazine datant du 30 avril 2004, numéro 104 page 19.

[9Guy Dutheil, « La fin des années Thierry Roland », Le Monde, 25 septembre 2004, page 32.

[10Didier et Éric Fassin « De la question sociale à la question raciale », Paris, La Découverte, 2006.

[11Catherine Coquery-Vidrovitch, « Ndiaye, Pap – La condition noire », Cahiers d’études africaines [En ligne], 201 | 2011, mis en ligne le 26 avril 2011, consulté le 19 mars 2020. URL : http://journals.openedition.org/etudesafricaines/14258

[12Pap Ndiaye « La condition noire. Essai sur une minorité française. Paris, Calmann-Lévy, 2008.

[14Arthur de Gobineau « Essai sur l’inégalité des races humaines ». Paris, Pierre Belfond, 1967.

[15Samuel Adolphus Cartwright « Ethnology of the Negro or Prognathous Race ».

[16Pap Ndiaye « La condition noire. Essai sur une minorité française. Paris, Calmann-Lévy, 2008.

[19Christian Bromberger « Le match de football. Ethnologie d’une passion partisane à Marseille, Naples et Turin », Paris, Editions de la Maison des Sciences de l’Homme, 1995.

[20Dominique Bodin, Luc Robène et Stéphane Héas « Racisme, xénophobie et idéologies politiques dans les stades de football ».

[21Au cours d’une émission sur RTL le 16 novembre 2004.

[22Au cours d’une conférence de presse au Costa Rica le 18 novembre 2004.

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