1) ACTA : Comment pourriez-vous définir de manière synthétique l’enquête militante ? Que signifie donner à l’enquête une centralité politique et stratégique ? Comment cela se traduit-il concrètement dans vos pratiques, notamment au sein de la Plateforme d’Enquêtes Militantes ?
PEM : Pour le dire simplement, l’enquête militante est le style ou la méthode – nous y reviendrons – qui assure le lien entre théorie et pratique. La centralité stratégique qu’on accorde à l’enquête militante consiste donc à ne pas séparer l’élaboration intellectuelle de l’intervention politique et vice-versa ; à ne pas distinguer le plan de l’organisation de celui de l’analyse. Cela se traduit par une posture militante toujours présente dans la manière dont on se rapporte aux luttes et aux processus sociaux. Son objectif n’est donc pas la simple rédaction de textes, entretiens ou comptes rendus d’enquêtes dont on pourrait commodément s’approprier le contenu grâce à un support électronique ou papier. Cela n’empêche évidemment pas la production de matériaux textuels et/ou audiovisuels afin de restituer les résultats – qui sont toujours partiels, toujours in progress, toujours situés – de la co-construction d’un savoir fait pour et par les luttes.
Pour résumer, l’enquête militante vise à la consolidation réciproque entre théorie et pratique, entre production de connaissance et production de conflit. Par conséquent, quand elle est menée à bien, l’enquête militante doit déboucher avant tout sur un renforcement de la praxis.
Quant à la posture propre à l’enquête militante, elle implique :
1. De prêter une attention particulière aux comportements subjectifs de résistance et d’insubordination, de coopération et d’entraide – qu’ils soient ouverts ou latents – tout en saisissant le cadre objectif à l’intérieur duquel ils se déploient.
2. De toujours chercher à construire de l’internalité aux luttes, c’est-à-dire à s’ancrer dans les espaces (lieux de travail, quartiers, universités, assemblées populaires, etc.) et à y garantir une présence militante dans une temporalité de moyenne-longue durée, en établissant ainsi un rapport de confiance et d’interconnaissance solide avec les sujets qui se battent pour transformer leur cadre de vie.
3. De viser à saisir des tendances – à la fois dans les transformations objectives de la société et dans les comportements subjectifs de la classe – afin d’anticiper les terrains sur lesquels il est possible de faire travailler politiquement les contradictions à l’oeuvre.
On peut donc parler – à propos de l’enquête militante – de style, pour rendre compte de l’attitude constitutive de la praxis qui l’imprègne d’un bout à l’autre. Mais aussi de méthode, quand à travers l’enquête on poursuit de façon explicite et systématique un objectif politique déterminé collectivement, dans une dynamique de dépassement tendanciel de la frontière entre « enquêteur·euse·s » et « enquêté·e·s ». Dans le premier cas, elle est la démarche qui in-forme l’intervention militante et qui l’accompagne dans son déploiement ; dans le deuxième, elle est le procédé qui donne corps à un projet de transformation, elle est la modalité qui concrétise le processus d’intervention. Dans le premier cas, elle sert donc à forger des hypothèses politiques dans des situations que l’on juge potentiellement intéressantes ; dans le deuxième, elle sert à vérifier ces hypothèses, c’est-à-dire à les con-valider, à les réaliser. Dans le premier cas, elle remplit une fonction principalement descriptive ; dans le deuxième, performative. Plus globalement, l’enquête militante est la courroie de transmission entre l’analyse de la composition subjective (d’un segment) de la classe et l’organisation politique à l’intérieur d’un contexte objectif donné.