Actuellement en France c’est plus de 71.000 personnes qui sont emprisonnées, sans compter les lieux d’enfermement qui ne sont pas officiellement considérés comme des prisons (centre de rétention administrative, hopital psy, centre éducatif fermé, centre éducatif renforcé, etc.). Les prisons, c’est avant tout un outil de gestion pour l’État et une source d’enrichissement pour les entreprises qui les construisent, les gèrent, les fournissent en matériel de surveillance et de répression et y exploitent les prisonnier.e.s pour des sommes dérisoires. C’est un lieu qui, dans la continuité des pratiques de la police et de la Justice et dans la droite ligne de l’héritage colonial, cible en particulier les non-blanch.e.s et les pauvres. Celleux qui sont sur-fliqué.e.s, sur-contrôlé.e.s, sur-exploité.e.s, celleux qui sont puni.e.s de se démerder en dehors de la légalité ou de se révolter.
Si les femmes sont beaucoup moins enfermées dans ce qui est officiellement considéré comme des prisons (elles sont environ 4% dans les lieux d’enfermement gérés par l’administration pénitentiaire) parce que soumises en priorité à d’autres formes de contrôle social (par la surmédicalisation, la psychiatrisation, la prise en charge par le volet « social » des institutions, par exemple dans des centres d’hébergement du type du palais de la femme), les femmes non-blanches, précaires, sans-papiers sont là encore surreprésentées, et notamment des femmes transgenres.
Dans un contexte de transphobie systémique et étatique, les femmes transgenres sont précarisées sur tous les plans (accès au travail, au logement, aux soins, etc.) et particulièrement exposées aux violences patriarcales et aux agressions. Elles sont donc plus susceptibles d’être dans une situation de danger et de harcèlement de la part de la police. C’est d’autant plus vrai pour des femmes non-blanches ou étrangères, ciblées par la police et confrontées au racisme de la Justice qui est rapide à les envoyer en taule.
Dans les prisons d’Ile-de-France, les femmes trans sont pour beaucoup des étrangères, enfermées pour des motifs liés à la répression et la pénalisation directe ou indirecte des sans-papiers, du travail du sexe ou du trafic de stupéfiants. Par exemple, les lois qui s’attaquent aux conditions de travail des travailleuses du sexe (loi de pénalisation des clients de 2016, divers arrêté contre le stationnement visant dans leur application les TDS, mesures « anti-racolage », future loi contre la cyber-haine, etc.) les précarisent et permettent de les viser à travers divers délits (l’entraide entre TDS notamment peut valoir une condamnation pour proxénétisme de soutien, l’autodéfense peut valoir une condamnation pour violence ou outrage et rébellion, etc.). Les politiques anti-étranger.e.s, le harcèlement des sans-papiers et plus généralement des personnes non-blanches par la police ciblent aussi des femmes trans, par l’accès impossible à un travail et un logement dans un cadre légal et par les déportations. Par exemple, des femmes trans porteuses du VIH et suivies en France peuvent à tout moment se voir dire que leur pays d’origine dispose d’un traitement (pas forcément adapté à leur situation) et être placées sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF).
Ce n’est pas un secret que la prison est utilisée par l’État en particulier pour contrôler les populations non-blanches et pauvres, en précarisant les personnes enfermées et leurs proches, en attaquant la santé physique et mentale des prisonnier.e.s, en les soumettant au bon vouloir et à la violence des matons et de l’administration. C’est d’autant plus vrai pour des femmes trans, enfermées en bâtiment hommes ou femmes selon les conceptions transphobes de l’administration pénitentiaire sur leur genre. Ces pratiques s’inscrivent dans la continuité du contrôle par l’État des transitions, et donc des corps des personnes trans, à l’extérieur (notamment la SoFECT/FPATH, groupe de professionnel.le.s autoproclamé.e.s expert.e.s de la transidentité, qui impose des parcours et protocoles, et qui décide à la place des personnes si elles sont trans ou non).
Pour celles qui se retrouvent enfermées chez les hommes, en maison d’arrêt, c’est souvent l’isolement imposé. C’est-à-dire l’enfermement seule en cellule dans un quartier à part, sans jamais croiser les autres prisonnier.e.s du bâtiment. Cette mesure d’enfermement supplémentaire au sein de la prison est prise évidemment sans consulter l’avis des intéressées, soi-disant pour les « protéger ». Les conséquences sont pourtant très lourdes et viennent s’ajouter aux violences et aux humiliations habituelles de la taule : jamais de sortie de bâtiment pour la promenade ou le sport, pas d’accès au travail ou aux activités. Donc potentiellement des mois voire des années sans voir l’extérieur. Ce surenfermement signifie aussi que ces prisonnières sont coupées des solidarités qui peuvent exister entre prisonnier.e.s en régime classique et qu’elles sont plus isolées face aux violences des matons, notemment face aux violences sexuelles.
Si dans certaines prisons - en particulier en centre de détention ou en maison centrale, où les peines sont plus longues - l’administration pénitentiaire fait mine de commencer à se soucier des prisonnières trans enfermées en quartier homme en leur autorisant l’accès à une cantine de produits féminins ou en inscrivant leur prénom d’usage sur leur carte de détenue, il ne faut pas oublier que la prison reste la prison. Les élans « humanistes » à pas cher de l’administration pénitentiaire ou du ministère de la Justice sont là pour mieux faire passer la pilule de l’enfermement. La réforme de la Justice passée en 2019, c’est 15 mille nouvelles places de prison d’ici à 2021, devant permettre aux juges de les remplir toujours plus. Par ailleurs, il ne faudrait pas tomber dans l’idée que la solution serait de renforcer les alternatives à l’enfermement proposées par l’État, avant ou après condamnation. Elles sont déjà bien employées et signifient au final plus de prison : un écart à une mesure de contrôle judiciaire ou aux obligations d’une peine dite « alternative » signifie souvent de la prison ferme. Ces contraintes sont absurdes et ne servent qu’à réprimer et exploiter toujours plus les personnes auxquelles elles s’appliquent (le travail gratuit via les travaux d’intérêt généraux par exemple, les obligations intenables de trouver un travail ou un logement, les impositions horaires ou de pointage, etc.).
La lutte contre les prisons implique nécessairement de prendre en compte la situation de ces prisonnières, leurs revendications et leur résistances. Elle ne peut pas se faire sans les luttes des sans-papiers, des TDS, des personnes trans et sans les luttes antiracistes et féministes.
La situation des femmes trans en prison, leur traitement et plus généralement le traitement par la police et la Justice des étranger.e.s, des travailleuses.eurs du sexe, des non-blanc.he.s montre la nécessité de remettre en question les appels à plus de prison en réponse aux violences sexistes. Plus de prison, plus de flics et plus de Justice, c’est tout sauf protecteur pour pas mal de femmes, si ce n’est toutes. ça ne veut pas dire se désolidariser des copines qui portent plainte et entrent dans une procédure judiciaire, qu’on soutiendra toujours selon ce qu’elles veulent. ça veut encore moins dire qu’on laissera des hommes brandir l’anticarcéralisme pour se déresponsabiliser de violences, d’agressions sexuelles ou de viols. ça veut dire se rappeler que la police, la justice et la prison, c’est jamais pour nous et souvent contre nous, femmes trans et cis, et s’organiser en fonction.
La prison ne nous sauvera pas du patriarcat.
A bas les prisons ! Liberté pour toutes et tous !