Déborder c’est destituer.

Reprendre le contrôle du temps. Arrêter d’attendre. Vaincre, abattre, construire.

Nous sommes débordés. Tous les jours, exténués on se réveille, sans envie, car au fond nous nous demandons à quoi bon travailler. Quel sens donner à cette vie où à tout âge nous sommes contraints à utiliser notre temps pour travailler ? On a rendu l’école obligatoire de sorte que même les plus jeunes s’habituent et intériorisent l’idée de se voir refuser la liberté d’usage de leur temps. Le matin, on se lève tôt, on rentre tard, on travaille, on fait nos devoirs, on part dormir après avoir succombé aux tentations offertes par les nouvelles technologies qui nous occupent et nous coupent du temps. Ou bien le matin on se lève tôt, on n’a pas le temps de voir ses enfants, on travaille, on rentre, on regarde le divertissement ou la propagande télévisuelle et on dort. Et ça recommence, infiniment, le temps passe toujours de la même manière sans que nous puissions choisir ce qu’on veuille en faire. Le système nous déborde pour nous rendre faibles, vulnérables, car il sait que dans un monde où tout doit toujours progresser, le temps reste limité. Nous sommes fatigués, le beau mouvement qui a commencé offre un peu de repos. On reprend contrôle du temps, on expérimente la liberté de choisir ce qu’on veut faire.

La domination est temporelle, car on ne maîtrise ni le cours du temps ni son usage que nous sommes esclaves. Alors, pourquoi ne pas profiter de cette grève pour renverser la situation ?

La puissance du mouvement des gilets jaunes réside dans le fait qu’ils ont su, à partir d’une simple taxe sur les carburants, initier une critique viscérale de ce monde. Grâce à cette éruption populaire, les violences policières ont pu être mises en lumière, la répression et le mensonge d’État ont été criants, on a pu critiquer les politiques libérales et la hiérarchisation des territoires construite par le capitalisme et on a enfin pu poser la question de la démocratie. Les Gilets jaunes ont su soulever des problèmes si fondamentaux qu’ils ont fait vaciller le système. Le gouvernement était débordé, il ne pouvait répondre à tous ces assauts et avait alors perdu le contrôle du temps. C’est la rue qui donnait le battement de la mesure. Acculé, le pouvoir constatait puis tentait de se défendre tandis que nous attaquions, chaque samedi avec la même vigueur.

Là est sûrement une stratégie qui nous mènera à la victoire sur la question des retraites. Certains entendent nous soumettre toujours plus à la dictature de leur temps, celui du travail dénué de sens et douloureux. Ne demandons pas qu’ils abandonnent de nous déborder quelques années de plus. Débordons-les. Nous ne devons pas nous battre pour avoir le droit, après 62 ans, de jouir de notre temps libéré, mais nous devons déborder le pouvoir afin de retrouver immédiatement la possession du temps. Le problème est bien plus fondamental que la réforme en elle-même. Le gouvernement à beau répéter que le but n’est pas de faire des économies, les faits le contredisent. C’est le libéralisme qui sert de base idéologique à ce projet, alors soyons ambitieux critiquons le problème à sa racine, critiquons leur idéologie et la fausse rationalité économique qu’ils prônent. Alors que le projet concerne directement la question du travail, il est nécessaire de réapprendre à avoir un minimum de considération philosophique sur le travail et sa nature en contexte capitaliste. Mais au-delà de la question du libéralisme et du travail, débordons-les toujours plus en les attaquant sur la question écologique qui peut être un vrai catalyseur de lutte. Le monde brûle, tout nous appelle à produire moins donc à travailler moins, allonger pour tous le temps de travail est absurde.
La réforme est la couche de peinture que certains entendent gratter, cassons directement le mur sur lequel la peinture est appliquée. Attaquons de tout côté pour qu’enfin s’effondre leur construction qui n’offre protection qu’à une minorité de privilégiés.

Attaquer ça n’est pas négocier. Tant que les syndicats accepteront de se soumettre au jeu des négociations, le gouvernement restera maître du calendrier, maître de l’attention médiatique, maître des horloges. Attaquer ça n’est pas demander le retrait de la réforme. C’est manquer d’ambition et à nouveau se maintenir dans l’attente de l’annonce du recul du gouvernement. Attendre, voilà à quoi nous condamne la stratégie en cours.

Ils sauront protéger la réforme, car elle est leur œuvre, c’est leur temps qui a servi à sa construction. Ils ne sauront pas protéger les bases du système en place, car ils ne l’ont pas construit et le croient résistant. D’ailleurs, ils ne cherchent pas spécialement à le défendre, trop convaincus de sa solidité. Alors, avec le temps qu’il nous reste débordons-les. Fracassons les murs porteurs. Si leur maison s’effondre alors nous aurons enfin l’occasion de construire une maison juste et où chacun trouvera sa place. La déconstruction comme la construction seront notre œuvre, une œuvre du temps libéré, car c’est ceux qui sont débordés qui ne peuvent construire comme ils veulent et qui se laissent dicter la marche à suivre.

Débordons, car déborder c’est destituer et destituer c’est gagner.

À lire également...