
Lorsqu’on évoque la situation au Proche-Orient et son cortège de fléaux que sont la colonisation sans fin des terres palestiniennes par l’État d’Israël, on assiste assez vite à des échanges toujours très vifs entre les sympathisants des Palestiniens qui préfèrent évoquer des crimes de guerre et ceux qui n’hésitent pas à parler de génocide.
Le débat entre Lauterspacht (qui a décrit légalement le « crime contre l’humanité ») et Lemkin qui a décrit celui de "génocide" perdure : faut-il définir une population comme appartenant à l’espèce humaine, quelle que soit sa caractérisation, ou faut-il accepter son auto-définition comme « race » à part, éliminée parce qu’elle est telle ?
En ce qui me concerne, il s’agit dans ces débats avant tout de distinctions très sémantiques, voire de purs sophismes. L’apartheid menée en Afrique du Sud, par exemple, a pu être défini comme étant un crime contre l’humanité, ses auteurs refusant à un groupe humain (les Noirs), la même qualité et la même valeur humaine que le groupe minoritaire constitué des habitants Blancs de ce même pays.
Alors qu’anéantir systématiquement un groupe national (les Palestiniens), assassiner ses membres par bombardements indiscriminés, famine, manque de soins, détruire méthodiquement ses infrastructures d’habitation, de santé, de subsistance, mais aussi sa culture, son histoire ; déplacer et déplacer encore les survivants pour s’assurer que rien ne demeure de leurs racines, tout mettre en œuvre pour les faire fuir de leurs terres ancestrales afin, de manière délibérée, de les remplacer par ses propres nationaux par le biais d’une recolonisation de grande ampleur, puis par une annexion pure et simple ; voilà clairement ce qui peut être désigné comme étant constitutif pour Israël de génocide (du grec genos, « race », et du latin occidere, « tuer »), à savoir l’extermination physique, intentionnelle, systématique et préméditée d’un groupe humain ou d’une partie d’un groupe en raison de ses origines. Il ne s’agit plus d’un exercice de sémantique mais de simple bon sens.
On peut aussi parler de "nettoyage ethnique", sachant que l’ethnos des anciens Grecs désigne une communauté d’habitants partageant les mêmes ancêtres, divinités, cultes, sanctuaires et fêtes. Et il est vrai, à la lumière de ce qui précède, que les Palestiniens réunissent bien les critères de l’ethnos à l’échelle d’un peuple et d’une nation. Or, on ne peut nier que ce qui s’est passé à Gaza (et qui risque de reprendre bientôt) comme ce qui se passe actuellement en Cisjordanie avec la bénédiction des USA, vise ni plus ni moins, à défaut de tous les assassiner, à vider la Palestine de ses habitants “non utiles à Israël” (c’est à dire qui ne constituent pas une main d’œuvre docile et bon marché) pour les remplacer par des citoyens israéliens, c’est à dire des membres de "l’État nation du peuple juif", selon la définition de la loi constitutionnelle adoptée en 2018. Combien de fois avons-nous entendu parler de "Judée-Samarie" à propos de la Cisjordanie ?
Combien de fois avons-nous entendu, dans la bouche de Ben Gourion comme dans celle de Netanyahou, en passant par Golda Meir, Begin ou Sharon, que la Jordanie était la patrie des Palestiniens et qu’Eretz Israël devait aller du Jourdain à l’Est jusqu’à la Mer Méditerranée à l’Ouest et du Liban au Nord jusqu’au Sinaï au Sud ?
Alors oui, tous les Sands, tous les Lauterpacht et Lemkin du monde pourront gloser à l’infini sur l’écume des mots, il n’en demeurera pas moins que génocide il y a et que cet immense crime à jamais imprescriptible a de nombreux complices, au nom des intérêts complexes et intriqués, à la fois politiques, militaires, économiques et religieux, qui lient entre eux les pays occidentaux et les pays arabes voisins de la Palestine. Et qu’à travers ces pays dont nous sommes les citoyens, c’est nous qui sommes ses ultimes complices, nous qui nous taisons et laissons agir, au nom du "mais que pouvions-nous y faire !", cette exclamation qui a tellement servi d’excuse au peuple allemand après 1945.
Abstenons-nous de juger nos parents, car nous ne valons pas mieux qu’eux.