Brigades d’action cinéma : appel à films

La grève c’est l’arrêt du travail aliénant, la suspension du temps de l’exploitation et c’est l’occasion de regarder en face ce qui oppresse. D’un côté, les maudites images médiatiques, de l’autre les images « alternatives » des spécialistes officiels. Entre elles, nos images, qui sont en passe, à la vue des dernières condamnations [1], de devenir illégales.

« Nous ne sommes peut-être pas encore en dictature, mais les apparences de la démocratie disparaissent à une vitesse folle. En décembre Amélie, 21 ans, était arrêtée, jugée en comparution immédiate et envoyée en taule (8 mois ferme) pour avoir “filmé” des policiers ! » Nous voulons continuer à chercher des espaces de diffusion, à nous organiser pour la création de films, pour la défense de ces images manifestantes.

Les mouvements de révolte s’enchainent comme les plans d’un même film, de plus en plus fréquents ces dernières années, de plus en plus rapprochés, le rythme du montage s’accélère. Les mouvements se coupent brusquement comme dans un film de la nouvelle vague, se changent l’un en l’autre en fondu enchainé, se superposent comme dans un film expérimental. Chaque signe vu quelque part où chaque vidéo qui tourne sur internet fait partie d’une mosaïque d’images qui évoquent mentalement ce mouvement. Une banderole aperçue sur une route, une vidéo de matraquage traumatisante, un départ collectif euphorique vécu, une prise de parole émouvante ou un fou rire sur un piquet de grève, tous ces moments de vie vus font partie de notre mémoire visuelle de ces mouvements et s’inscrivent comme des images. Nous voulons donner une forme consciente à ces images, une forme cinématographique, une forme toujours collective et anonyme, une forme désirable.

Les mouvements de révolte nous déplacent : dans nos vies, nos habitudes, nos sensibilités, nos idées, bien sûr, et dans notre perception. Et certains, comme les Gilets jaunes, nous amènent loin. La manière que nous avons de voir le monde n’est plus la même après le mouvement contre la loi Travail, ne pourra plus être la même après les Gilets jaunes. Les Brigades d’action cinéma sont nées du mouvement des Gilets jaunes, de son surgissement, de la violence de ses images, de ses manifestations sauvages qui ont fait trembler le pouvoir. En ce sens, les Brigades sont liées à un désir de films sauvages, autonomes, révoltés, populaires. Les mouvements déplacent aussi nos pratiques, nos actions, nos gestes. Ils déplacent nécessairement notre façon de faire des films. Il y a une manière de faire des films en 1968, dans le Quartier latin ou dans les usines, comme il y a une manière de faire des films aujourd’hui dans les cortèges ou sur les ronds-points. Les mouvements et leurs images bousculent nos pratiques politiques et nos repères idéologiques, ils bousculent même les couleurs dans le cadre, noir, rouge, jaune, vert, violet.

Dans notre premier film Révolutions : 1er RDV – Crous contre culture, d’après les discussions que nous avons eues après sa projection à La Clef (cinéma occupé parisien), plusieurs ciné-tracts ont été faits en l’honneur de ces déplacements affectifs, grâce à ces déplacements. Les images se bousculent, renversent des barrières qui sont jetées sur des camions de la gendarmerie, les couleurs s’échappent, explosent en feu d’artifice, les images exclament, provoquent, brillent. Des grenades, du sang, des enfants agenouillés et humiliés : les violences policières et leurs supports vidéos hantent les films, les images médiatiques sont détournées, le mouvement devient vague qui déferle sur le pouvoir en direct sur TF1, une motocross en roue arrière, les pavés s’élèvent dans le ciel, c’est le saut. Révolte et surgissement des images.

Nous ne voulons pas que ce film soit un objet terminé, une fixation des images de la lutte. Nous ne voulons pas encadrer les mouvements qui ne font, comme l’ont montré les Gilets jaunes, qu’advenir. Nous avons appris que les luttes sont longues et qu’il faut tenir, recommencer, se réinventer sans cesse. Nous envisageons ces ciné-tracts comme des films infinis sur les luttes en cours et à venir, où chaque étape, chaque film est un rendez-vous (RDV) autour d’une situation et de sa mise en forme expérimentale. Aujourd’hui, la grève est au centre actuel de la lutte, nous pensons que l’horizon est plus loin, que l’opposition à la réforme des retraites n’est qu’une partie émergée de la révolte. Et, bien que fidèles au cri des Gilets jaunes : « Révolutions », nous nous demandons ce que la grève peut poser comme questions à notre cinéma. Que la grève soit victorieuse ou défaite, qu’elle continue ou se termine trop tôt :

Nous aimerions proposer à nos camarades, et à tou·te·s les cinéastes amateur·rice·s ou professionnel·le·s qui veulent nous rejoindre, une nouvelle recherche à propos de la grève pour un deuxième film collectif : Révolutions 2e RDV – la grève.

Nous proposons cet appel à films, car nous pensons qu’il nous faut continuer à dire, autrement que par des mots, ce que nous vivons. Les Gilets jaunes étaient un soulèvement, une révolte surprenante, qu’en est-il de la grève ? N’est-ce pas une autre temporalité ? Qu’est-ce que cela change dans notre manière de faire des films ? Nous sommes curieux·euses de voir une nouvelle série de ciné-tracts sur ce sujet. La grève permet aussi de parler du travail, peut-être de s’éloigner des manifestations, vers les blocages, les piquets de grève, les sabotages, les secteurs en lutte et leurs modalités d’organisation, leurs espérances et leurs conditions de travail, leurs modes d’action entre eux ou avec d’autres, le rapport entretenu avec les syndicats… des questions et des réponses que pose la grève en cours, des idées à développer en images, en passant à la fiction ou via des personnages ? L’occasion d’une réalisation collective ? Et mille autres idées que nous n’avons pas encore, en cherchant à savoir comment ce mouvement nous transforme et quelles sont les images qu’il lui manque. Et la grève, n’est-ce pas des rencontres et des solidarités nouvelles, et le plus souvent, entre des mondes qui s’ignorent ?

Vive le cinéma et vive la grève !

Thème : la grève
Durée : 10 minutes max
Adresse : bacbacbac@riseup.net
Date limite : 1er mars 2020

Pour voir le premier film, le regarder avec des potes ou le diffuser quelque part (tenez-nous juste au courant) :

• Le lien Vimeo : https://vimeo.com/377834512
• Le mot de passe : BAC

Mots-clefs : cinéma | grève

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