Antonin Bernanos en détention préventive et à l’isolement depuis 2 mois

Nouvel épisode dans la répression de l’antifascisme. Entretien avec Geneviève Bernanos.
Tout le monde se souvient des polémiques qui ont accompagné l’apparition du mouvement des Gilets jaunes en novembre dernier. Pour le gouvernement, comme pour une partie non négligeable de la gauche et de l’extrême gauche, ce soulèvement populaire et spontané ne pouvait qu’être intrinsèquement réactionnaire ou souterrainement manipulé par les fascistes.
Article d’abord publié sur Lundi.am

La facilité avec laquelle s’est propagée cette hypothèse, d’un bord à l’autre, de réseaux sociaux en conférences de presse ministérielles, nous renseigne assez sur les desseins qu’elle a pu servir. Au reste, il y avait bien les premières semaines des groupuscules d’extrême droite dans les rues de Paris, de Lyon, de Montpellier et d’ailleurs. Identitaires, soraliens, résidus du GUD et autres clampins royalistes ont tenté de toutes leurs forces de s’infiltrer dans le mouvement en espérant s’y imposer. Dès lors, à Lyon comme à Paris, mais certainement aussi ailleurs, le champ de bataille s’est complexifié : il s’agissait de tenir face au déferlement de brutalité de l’État tout en réduisant au minimum les marges de manœuvre de l’extrême droite et des groupuscules fascistes.
De fait, la rue a été tenue et les fascistes défaits.
Mais la victoire du mouvement antifasciste au sein des Gilets jaunes ne se limite pas à la rue ou à la confrontation physique : bouter l’extrême droite des manifestations n’était pas seulement une œuvre de salubrité publique, c’était aussi rendre inopérante l’opération gouvernementale qui consistait à assimiler Gilets jaunes et fascistes pour les décrédibiliser et les couper de leur énorme soutien populaire. La répression orchestrée par le gouvernement ne pouvait dès lors plus s’appuyer sur ce confusionnisme là, les éléments de langage des communicants de M. Macron se retrouvaient à tournoyer dans le vide : ce n’était pas le péril fasciste qui justifiait que l’on tabasse, mutile et interpelle les manifestants par milliers. Défaire l’extrême droite dans la rue, c’était aussi défaire la propagande du gouvernement.

C’est à partir de ce contexte politique que nous pouvons pleinement comprendre la dernière offensive répressive à l’encontre des militants antifascistes parisiens. Le 15 avril 2019, huit personnes sont interpelées et placées en garde à vue. On leur reproche une altercation avec des membres des groupuscules d’extrême droite Zouaves Paris, Milice Paris et Génération identitaire dont l’un des membres est par la suite allé déposer plainte au commissariat de police. Parmi elles, cinq personnes seront mises en examen dont Antonin Bernanos, figure du milieu antifasciste parisien déjà inquiété et condamné dans l’affaire du quai de Valmy. Quatre sortiront de garde à vue avec un contrôle judiciaire alors qu’Antonin Bernanos sera immédiatement incarcéré à Fresnes sous le régime de la détention provisoire. En attendant qu’une juge d’instruction mène l’enquête sur cette terrible affaire de bagarre, le jeune Bernanos est soumis à un régime carcéral particulier. Placé à l’isolement depuis deux mois, toute activité sportive ou professionnelle lui est interdite et il n’est pas en mesure de poursuivre son cursus scolaire. Parallèlement, son courrier est filtré et ses parents ont dû attendre deux mois avant d’obtenir de la juge l’autorisation de lui rendre visite au parloir. Nous nous sommes entretenus avec Geneviève Bernanos, sa mère, après qu’elle ait enfin pu voir son fils incarcéré. Elle raconte la prison de Fresnes, les conditions de détention et le traitement spécial réservé à son fils.

Vous avez obtenu votre premier parloir avec votre fils Antonin, hier, comment va-t-il ?

Il va bien et réussit à se maintenir en bonne santé malgré des conditions très difficiles au centre pénitentiaire de Fresnes, bien connu pour son insalubrité et son indignité.

Antonin reste fort, il lit, tente de poursuivre son mémoire de master de sociologie qu’il mène à l’EHESS.
Ce centre pénitentiaire mériterait un arrêté d’insalubrité irrémédiable et d’une interdiction d’habiter de la part du préfet !
Pour rejoindre le parloir, nous avons cheminé dans des couloirs aux peintures galeuses et cloquées, des plafonds crevés desquels pendent des fils électriques et suintants d’eau, le tout dans une odeur très marquée de… rats. Le parloir en lui-même est un petit cagibi d’un mètre de large sur 1,5 m de longueur (j’ai mesuré avec mes pieds), au sol en béton usé et crasseux, des plaques de contreplaqué crevées des coups donnés par les occupants laissant apparaitre la brique et les joints de mortiers gonflés d’humidité. Nous avons donc tenu à 4 dans cet espace sur de petits tabourets de plastique. Pour tout dire, quand nous avons été enfermés dans cet espace, où nous tenions à peine debout à 3 en attendant l’arrivée d’Antonin, nous avons été pris d’un fou rire… nerveux, n’y croyant pas nos yeux, nos narines, nos poumons !

L’arrivée d’Antonin a été un vrai bonheur, lui aussi riant de la situation ridicule dans laquelle nous étions placés. Nous avons donc tenu un parloir en nous blottissant les uns contre les autres pour ne pas toucher les parois sales, et en essayant de ne pas être perturbés par les conversations de nos voisins, puisqu’il n’y a aucune insonorisation.
Il est important de dénoncer ces conditions chaque fois que possible, car cette indignité quotidienne dans laquelle on maintient les détenus, pour une grande part d’entre eux non jugés, donc présumés innocents, touche aussi leurs proches et leurs familles : devons-nous accepter d’être traités de la sorte par l’État ?

Comment se fait-il qu’il n’ait pu recevoir de visites avant alors qu’il est incarcéré depuis quasiment deux mois ?

Nous avons déposé nos demandes de permis de visite le 24 avril auprès de la juge d’instruction en charge du dossier d’Antonin, Sabine Khéris, doyenne des juges d’instruction à Paris.
Ces permis sont généralement instruits rapidement et transférés ensuite par courrier aux centres de détention pour permettre aux proches de prendre des rendez-vous.
Dans notre cas, malgré nos vaines relances téléphoniques (le greffe de la juge est resté fermé et sans intérim jusqu’au 17 mai), malgré ma lettre de relance RAR début mai, malgré les interventions de notre avocat, nous n’avons eu aucune suite à nos demandes. Nous avons dû faire appel auprès de la chambre d’instruction pour obtenir une décision favorable le 7 juin dernier. Nos documents semblant avoir été égarés par la juge, nous avions renvoyé début juin de nouveaux dossiers au tribunal. La décision de la chambre a dû « réveiller » Mme Khéris, puisque nous avons obtenu un accord de Fresnes pour prendre nos rendez-vous mardi dernier.
Preuve s’il en fallait de l’indigence de la juge sur cette démarche de droit, et qui apporte le soutien moral indispensable aux détenus.

Dans le communiqué du comité de soutien « Libérons-les », il est stipulé qu’Antonin a été placé à l’isolement depuis le 9 mai. Savez-vous vous ce qui a justifié cette sanction de la part de l’administration pénitentiaire ? Qu’est-ce qu’une mise à l’isolement signifie pratiquement pour un détenu en termes de restrictions des libertés ?

Nous n’avons pas eu de réponse écrite à la question des décisions qui ont présidé à cette mise à l’isolement : dès que nous avons appris sa mise à l’isolement, son avocat a saisi le tribunal administratif dans le cadre d’un référé liberté pour faire appel de cette décision, qui semble avoir été prise par l’administration pénitentiaire elle-même. Cette demande a été rejetée, car cet isolement médiatique semble être une spécificité de Fresnes qui n’existe pas ailleurs, d’où la difficulté à la contrecarrer juridiquement, puisqu’elle ne relève pas d’une catégorie de détention habituelle.

Nous verrons comment poursuivre cette procédure. Mais l’administration pénitentiaire est rarement contredite par les tribunaux administratifs, qui laissent faire les directeurs pénitenciers, seuls à même d’apprécier les conditions de sécurité nécessaires au fonctionnement de leurs établissements. Si des instructions sont venues de plus haut – c’est-à-dire des ministères… on peut le penser – nous n’en aurons jamais la preuve.

Ce qu’Antonin nous a confirmé, c’est qu’il est placé à l’isolement médiatique, procédure appliquée aux détenus susceptibles d’avoir une forte couverture médiatique, et parce qu’il est considéré comme un militant d’extrême gauche ayant participé aux mouvements des Gilets jaunes. Il y aurait donc un traitement spécifique des prévenus « politiques » si ce terme a un sens…

De ce fait, il est seul dans une cellule, et participe à la promenade quotidienne avec les autres isolés médiatiques, mais en petit nombre. Il a donc très peu de contacts avec les autres détenus.
Il vient de se voir refuser sa demande de travailler à la prison sur ce même motif : pas de travail pour les isolés médiatiques ; il n’a pas accès non plus au centre scolaire pour le même motif ; ni à la salle de sport.

Il nous a aussi informés que Fresnes chercherait à supprimer cet isolement médiatique, qui ne semble pas avoir de fondement juridique ; de ce fait, sa situation serait peut être amenée à changer dès demain lundi 17 juin : soit il est rapatrié dans les cellules classiques de détention, soit il est maintenu à l’isolement avec les détenus dits « fragiles » qu’il faut protéger des autres du fait des motifs de leur incarcération (violeurs, pédophiles, etc.). Nous en saurons plus à notre prochaine visite prévue mardi 18 juin.

Nous constatons également depuis le début de son incarcération que ses courriers sont retenus par la juge Khéris. J’ai reçu sa dernière lettre le 21 mai et elle datait du 9 mai. Il reçoit aléatoirement des courriers, et ne sait pas si les siens sont envoyés. Didier Fassin son tuteur de master à l’EHESS m’a alertée que son courrier expédié depuis les États-Unis où il enseigne, lui a été retourné par Fedex. Des amis qui ont tenté de lui envoyer des livres m’ont informé également des retours de leurs envois.

Nous ne pouvons que continuer à lui écrire, en espérant que certaines lettres passeront selon des critères qui nous échappent, et qu’à un moment la juge Khéris sera enfin « assouvie » de ces lectures.

Nous assistons donc par toutes ces brimades une opération de désinsertion sociale menée par la justice et l’administration pénitentiaire contre un étudiant brillant, qui avait montré sa capacité à réussir dans des conditions extrêmes, puisqu’il avait déjà validé sa licence en détention à Fleury.

La situation d’Antonin nous permet d’éclairer et d’alerter sur les conditions carcérales de près de 72 000 personnes détenues en France, pour 60 000 places qui violent les droits humains les plus élémentaires, situation encore dénoncée par Adeline Hazan, contrôleur général des lieux de privation de liberté, en mai dernier. Faut-il rappeler que la France a une densité carcérale de 117% en moyenne, soit la plus élevée en Europe, juste derrière la Roumanie et la Macédoine selon le Conseil de l’Europe d’avril 2019 ? Qu’elle enferme systématiquement les personnes jugées « déviantes » qui porteraient atteinte à la sécurité de la société – ou plutôt des intérêts du gouvernement et des puissants qu’ils soient migrants, ou militants ? Que la prison a des résultats lamentables sur la prévention des violences, comme le souligne une étude récente publiée sur la revue américaine Nature et relayée dans Le Monde le 13 mai dernier, qui remet en question l’intérêt de la prison dans la prévention des violences : « l’emprisonnement augmente la violence après la libération ou dans le meilleur des cas, n’a aucun effet ni positif ni négatif » ; faut-il rappeler la faillite de la mission de réinsertion des centres pénitenciers, ou encore la volonté manifeste de ne pas utiliser les moyens de contraintes pénales alternatifs à la prison (surveillance électronique sous bracelet, etc.).

Et puis, sur cette question de violence enfin, il faut souligner le dernier rapport de l’OIP qui dénonce la violence des personnels pénitentiaires sur les prisonniers, sujet qui reste encore malheureusement peu mis en lumière, malgré les suicides, les tortures, les coups, les brimades infligés à l’abri des regards de la société.

Il devient donc urgent de penser une société sans prison, ce qui est une idée difficile à défendre aujourd’hui, parce qu’on pense la justice comme une justice punitive ; pourtant elle n’a jamais réinséré ou corrigé les « déviances », en témoignent le niveau de récidive ou la prévention inefficace des violences, comme je le rappelais plus haut. Or la prison produit quantités de souffrances tant pour les prisonniers, que les personnels pénitentiaires, que pour les proches et familles de prisonniers, et les condamnations pénales ne réparent pas les victimes. Cette justice pénale participe à l’oppression des populations racisées des quartiers populaires ou de militants victimes des crimes d’État : en France Rémi Fraisse mort en 2014 à Sievens ou toutes les victimes de violences policières Adama Traoré, Lamine Dieng, Théo, Zined et Bouna, Ali Ziri, etc., etc., etc. et partout en Europe Carlo Giuliani en 2001 au G8 de Gènes ; jamais ces victimes n’ont eu justice face à l’État.

Parce qu’il est difficile, voire pervers, de réformer ou d’améliorer la prison, parce qu’il n’y a que de fausses bonnes idées ou de vraies mauvaises idées (téléphones qui devient payants pour les prisonniers, dématérialisation des audiences qui déshumanisent les procédures pour répondre à la question des transferts qui sont dangereux pour les détenus et coûtent chers à l’administration, etc.), parce qu’elle doit réinterroger toute la société elle-même dans ce qu’elle produit, je rejoins les idées de ceux qui portent l’abolitionnisme comme Gwenola Ricordeau, qu’il y a nécessité de poser la question de l’abolition du système carcéral et du système pénal, pour faire avancer les idées d’une justice transformative qui implique la société toute entière, et ceux qui sont concernés : ceux qui ont causé des torts et ceux qui les ont subis, qui sont les mieux placés pour résoudre les problèmes individuels et tout différents générés par ces torts.

Enfin, la détention d’Antonin ne doit pas être déconnectée du contexte actuel de répression de masse contre les mouvements sociaux, syndicaux, ouvriers, et les Gilets jaunes, et elle s’inscrit dans un tournant autoritaire du gouvernement qu’il ne faut pas sous-estimer.
Partout en Europe, ceux qui sont aux avant-postes de la lutte contre les idées de l’extrême droite sont ciblés, visés.
La situation d’Antonin nous permet aussi d’alerter sur tous les moyens d’une justice d’exception qui s’est abattue ces derniers mois contre tous ceux qui ont osé dire leur refus de ce monde, et pas seulement les jeunes des quartiers populaires ou les militants ; arsenal judiciaire qui n’a cessé de gonfler depuis ces dernières années. Je me permets de le rappeler les chiffres de la chancellerie comptabilisant entre novembre et mars 2019 plus de 8 500 gardes à vue, 800 condamnations à de la prison ferme, 388 mandats de dépôt.

Mais dans ce contexte, il me semble important de rappeler la présence précieuse des antifascistes dans les cortèges et dans l’espace public pour chasser la présence des groupuscules néo nazis.

Les antifas ont empêché l’amalgame que l’État, dépassé par les mouvements de contestation sociale, a voulu faire entre Gilets jaunes et fascistes, les faisant passer pour des racistes, islamophobes, antisémites portant les idées de l’extrême droite, etc. Il fallait décrédibiliser un mouvement de masse de révolte que plus personne ne contrôlait, à la veille des élections européennes… qui ont été remportées par le Rassemblement national ! Le gouvernement, quand il est mis en danger par les contestations sociales – ce fut le cas avec la loi Travail en 2016, et maintenant avec les Gilets jaunes -, utilise systématiquement les mêmes stratégies : La République en marche de Macron serait le seul rempart contre la montée du Rassemblement national de Le Pen, c’est le discours que l’on entend à chaque élection.

Antonin subit cette répression, car il a aussi lutté auprès des Gilets jaunes, et parce qu’il représente pour l’État et ses institutions un danger, il est désigné comme un ennemi de la République, et paie ses engagements d’un acharnement policier et judiciaire qui atteint sa liberté.

Ses amis parlent de « vengeance d’État » et de mon côté, je ne peux que faire de tristes constats : d’abord souligner que pendant toute la durée des mouvements sociaux, la presse a cherché à relayer de fausses informations, mentionnant qu’Antonin et son frère avaient été arrêtés avec Julien Coupat avant une manifestation des Gilets jaunes, ce qui était faux, ce jour-là Antonin était à l’étranger, et son frère manifestait avec moi ; le Journal du dimanche évoquait qu’il avait été vu dans tel ou tel quartier de Paris aux abords de faits de violence, alors qu’il était en province ce jour-là ; d’ailleurs les renseignements généraux le savaient bien puisqu’ils se postaient tous les samedis matin en bas de mon domicile pour nous suivre ; ils ont même arrêté son frère le 1er mai dernier à 50 mètres de la maison pour l’empêcher de manifester, le maintenir en garde à vue 24h et le faire comparaitre pour un rappel à la loi devant la justice… Alain Bauer lui-même a indiqué sur BFM que depuis que certains militants antifascistes avaient été arrêtés et incarcérés la participation des black blocs à la manifestation du 1er mai s’était dégonflée.

Je ne peux aussi que constater que les assassins de Clément Méric sont en liberté actuellement, Antonin est en prison ; ceux qui se sont opposés aux militants de Génération identitaire au col de l’échelle en 2018 qui empêchaient les migrants de passer au péril de leur vie ont été condamnés, les militants fascistes n’ont pas été arrêtés. Les groupuscules fascistes, les représentants de l’extrême droite ont pignon sur rue, leur idéologie répugnante est partout dans les médias et dans nos institutions.

Ce n’est pas une vision « complotiste » de ma part, mais [je lis encore sur Médiapart la semaine passée, qu’une majorité de policiers impliquée dans les enquêtes IGPN de violences policières sont des sympathisants de l’extrême droite, ou membres de syndicats d’extrême droite (fédération professionnelle indépendante de la police FPIP ou France Police (policiers en colère) ou l’ancien syndicat Front national Police… Je lis encore dans Liberation cette semaine que les syndicats de policiers font la police dans les tribunaux : Alliance et Unité SGP-Police font pression sur les juges, quand il est évoqué de faire passer en correctionnelle des policiers d’ici la fin de l’année ; ils se mobilisent systématiquement pour invoquer la légitime défense et un usage légitime de la force ; ils menacent les politiques d’une sorte de vacance de la force publique, d’un droit de retrait, de débrayage qui affole politiciens et gouvernements, obnubilés par la menace terroriste, qu’ils ont contribué à fabriquer ; en témoignent les supports fidèles du ministre Castagner et de son secrétaire d’État Nunez à leurs troupes ; les juges les craignent, car ils ont besoin d‘eux pour mener leurs enquêtes.

Selon la presse, la justice reproche à Antonin et certains de ses amis d’avoir participé à une altercation avec un groupuscule d’extrême droite à Paris dont un des membres a ensuite déposé plainte. Connaissez-vous les chefs d’inculpations précis qui pèsent sur lui ? Dans le communiqué du comité de soutien « Libérons-les », il est précisé que le dossier serait vide, pouvez-vous nous en dire davantage ?

Sur les chefs d’inculpation, Antonin et certains des autres interpelés sont accusés de violence en réunion et de vol avec violence ayant entrainé une incapacité de travail de 10 jours, mais Antonin est le seul à avoir été incarcéré à la suite de sa garde à vue et de sa comparution devant la juge Khéris.

Sur l’avancement de l’enquête, le magistrat instructeur ne s’est pas plus montré diligent que pour nos permis de visite et ne semble pas avoir commencé ses investigations ; l’enquête policière n’avance pas, et pour cause, puisqu’ils n’ont pas d’éléments contre Antonin.

Donc on rétablit les processus bien connus de l’affaire Tarnac ou de celle du quai Valmy : on surinterprète les faits, on construit un récit, on gonfle les dommages ; on crée de nouvelles affaires auxquelles il serait supposé avoir participé pour alourdir son profil. Injustement, on arrête des militants connus et participant au mouvement social, puis on construit un dossier… Une fois de plus, le même processus de « l’enquête à l’envers » que j’avais déjà dénoncé lors de l’affaire du quai Valmy en 2016.

Sa détention est uniquement fondée sur son profil de militant et sa condamnation dans l’affaire du quai Valmy : on construit un personnage autour d’Antonin qui va « du petit bourgeois blanc étudiant parisien » au militant d’ultra gauche, au black bloc, au « chef de réseau qui conduit des guérillas urbaines » (selon les dires de l’avocat de la partie civile présent à l’audience d’appel mardi dernier pour une demande de remise en liberté rejetée par la juge Kheris et le juge des libertés et de la détention Charles Pratz. On construit son illégitimité sociale et culturelle, pour dépolitiser son action militante, pour le criminaliser

Antonin a un traitement tout à fait spécifique dans cette affaire : alors qu’il a été envoyé en prison, les autres mis en cause dans cette affaire ont été placés sous simple contrôle judiciaire, situation d’ailleurs tout à fait conforme à ce qui peut être exigé dans une affaire de bagarre ; et les fascistes n’ont absolument pas été inquiétés. Je ne peux que constater aussi qu’Antonin a été arrêté le 15 avril, soit 5 jours après la fin de sa peine exécutée pour l’affaire du quai Valmy en 15 mois de détention à Fleury, 6 mois de bracelet électronique, et 6 mois de liberté conditionnelle, période qui venait de s’achever le 10 avril 2019.

Me Arié Alimi, l’avocat d’Antonin, a fait appel de sa mise en détention provisoire, mais le jugement a été confirmé. Comment expliquez-vous qu’il soit maintenu si longtemps en détention provisoire pour de simples soupçons de participation à une bagarre ? Quelles sont les prochaines échéances pour lui ?

La détention provisoire a été prononcée sans aucun rapport avec l’infraction présumée et est en tout état de cause disproportionnée par rapport aux faits qui lui seraient éventuellement reprochés et qu’il conteste.

Mardi dernier la chambre d’instruction de Paris que nous avions saisie en appel des rejets de notre demande de liberté sous assignation à résidence et sous surveillance électronique, a refusé la libération d’Antonin. Il reste donc en prison jusqu’au 18 aout au moins, et il est malheureusement probable que cette mesure soit reconduite encore au-delà de cette date. Arié Alimi l’avocat d’Antonin n’a toujours pas eu communication du jugement et donc des justifications de ce rejet ; mais au vu des arguments avancés par la procureure mardi dernier, il semble que les critères liés au risque de réitération de l’infraction ont été mis en avant ; ces critères restent vagues et utilisables sans véritable justification dans presque tous les cas de détention provisoire, ce que souligne aussi Adeline Hazan, contrôleur général des lieux de privation de liberté, dans son rapport de mai dernier.

Antonin n’est maintenu en détention provisoire que pour lui faire subir une nouvelle peine avant tout jugement, et chercher à pétrifier ses soutiens.

C’est pourquoi nous nous battrons donc encore pour Antonin, pour faire reconnaitre d’abord et encore une fois qu’il n’est pas responsable des faits qu’on lui reproche, pour obtenir sa libération et lui permettre de préparer son procès dans de bonnes conditions ; et lui permettre de reprendre le cours de sa vie, ses études et ses justes combats. Faire en sorte qu’il reste avant tout un homme libre.

Une vidéo de soutien à Antonin Bernanos circule depuis la semaine dernière sur les réseaux sociaux. On peut y voir de nombreux militants et syndicalistes appeler à sa libération.

https://www.facebook.com/LiberonsLes/videos/407223606531431/

Malgré les difficultés d’acheminement que semble rencontrer le courrier adressé à Antonin Bernanos (il fait probablement un détour par le cabinet du Juge Khéris), il n’est certainement pas inutile d’insister :

Antonin Bernanos, numéro d’écrou 1004464
Centre pénitentiaire de Fresnes
1, allée des Thuyas
94261 Fresnes cedex

Note

Article d’abord publié sur Lundi matin
Localisation : Fresnes

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