« A ce rythme-là, vous allez pouvoir mettre toute la France en comparution immédiate » - Récit de deux après-midi au TGI de Paris

Lors de l’acte IV du mouvement des Gilets Jaunes, l’État a déployé une répression policière et judiciaire d’une ampleur rarement atteinte auparavant. Sur la seule ville de Paris ce sont 974 personnes qui ont été placé en garde-à-vue (parmi elles 820 majeurs et 154 mineurs). Concernant les majeurs, 641 ont eu un rappel à la loi ou un classement sans suite (soit 78%), 81 personnes sont passées en comparution immédiate. Ce compte-rendu permet de faire un état des lieux (non-exhaustif) de la répression judiciaire du mouvement social en cours. Il s’agit du récit de deux après-midi passées aux audiences de comparutions immédiates concernant la mobilisation du 8 décembre.

PV de contexte : ambiance contre-insurrectionnelle, deux proc’ et six juges radicalisés, des dizaines de vies brisées

Si les juges, les proc’ et les prévenus n’étaient pas les mêmes sur ces deux jours, l’ambiance était pourtant très similaire. Derrière leur beau pupitre, on a des procureurs qui ne tentent même plus de cacher leur obédience au pouvoir exécutif et aux flics et des juges qui suivent quasi-systématiquement les réquisitions des proc’. Comme toujours dans les tribunaux, l’ambiance est au mépris de classe et au paternalisme : le juge s’inquiète sur la consommation d’alcool d’un tel ou sur la façon dont un autre recherche activement du travail. Les prévenus -qui, rappelons-le, viennent de passer trois jours enfermés- ne se tiennent pas assez droit ou n’articulent pas suffisamment pour le juge. Le procureur, lui, joue bien son rôle de chien de garde de l’État, il rappelle sans répit les scènes de violences, Paris à feu et à sang, la bravoure des policiers qui défendent le peuple et le comportement anti-républicain de ces casseurs, pilleurs et autres tueurs de flics. Lors d’une plaidoirie, il a poussé la caricature jusqu’à citer « un célèbre chanteur » qui aurait « embrassé un flic ».

Dans le box, entourés de flics, on retrouve des prévenus aux profils assez similaires d’un jour à l’autre. Il s’agit exclusivement d’hommes, ils ont entre 18 et 41 ans, la majorité d’entre eux ayant entre 20 et 30 ans. Ils sont très majoritairement issus des classes populaires, souvent intérimaires ou sans-emploi, avec des revenus qui oscillent entre les 550 euros du RSA et 1500 euros pour ceux qui s’en sortent le mieux. Certains vivent chez leurs parents ou ont dû y retourner pour des raisons financières. Plusieurs utilisent une partie de leur salaire pour aider leurs parents qui ne s’en sortent pas avec leurs retraites. Quelques uns ont de jeunes enfants à charge. Une partie d’entre eux vient de régions assez éloignées de Paris, une autre de grande banlieue parisienne. Beaucoup évoquent leur envie de venir manifester et faire valoir leurs droits à Paris, dans l’indifférence du tribunal voire son mépris.

La plupart ont des avocat-e-s commis-e-s d’office, elles/ils plaident comme ils peuvent mais viennent souvent juste de découvrir le dossier. Pratiquement aucun ne conseille à son client de demander un délai pour préparer sa défense. Lorsque la question est posée aux prévenus, beaucoup d’entre eux répondent « oui, aujourd’hui » d’un air étonné sans avoir l’air de vraiment saisir l’enjeu. La majorité des prévenus n’a pas vu d’avocat-e-s en garde-à-vue car les flics leur ont dit que plus vite leur audition serait faite, plus vite ils sortiraient. Un mensonge, une fois de plus... Pour cette même raison, plusieurs n’ont pas demandé de médecin alors qu’ils étaient blessés suite à des tirs de flashball ou des tabassages en règle par les flics lors de l’interpellation. Parmi les prévenus de ces deux après-midi, un avait une plaie ouverte à la tête, un autre 3 dents cassées, plusieurs ont évoqué des bleus sur l’ensemble de leur corps, d’autres encore ont raconté s’être pris des flashball pendant la manifestation. Souvent ces éléments n’étaient pas abordés d’emblée par les prévenus -par peur, pudeur ou par honte selon les avocat-e-s-, et ce sont seulement les questions explicites des avocat-e-s qui ont fait émerger ces éléments. De même, les conditions horribles des garde-à-vues ont été très peu abordées par les prévenus. Le procureur lui est formel sur ce point : « les policiers ont bien d’autres choses à faire que de commettre des actes contraire à la déontologie policière ». Ah bon ?

Chaque jour en début d’après-midi, les salles étaient remplies de journalistes, d’habitants du quartier curieux, de quelques soutiens et même de quelques flics en civil. Un d’entre eux commente un des jugements par un « pour une fois, ils ont pris cher ces enculés ». En tendant l’oreille, j’ai compris qu’il s’agissait d’un flic en civil plutôt gradé qui parlait à un autre flic en civil et aux flics en service du tribunal. Tou-te-s se réjouissaient des lourdes peines annoncées, regrettant toutefois le laxisme des contrôles judiciaires : « ça serait mieux si on les faisait pointer au commissariat toutes les heures les samedis ». S’en est suivi une conversation sur l’indépendance de la justice : « s’ils ont eu ces peines, c’est parce que Belloubet les a appelé, je sais qu’il faut pas trop le dire mais Belloubet appelle directement les magistrats ». Ambiance.
Les familles et proches de prévenus sont peu nombreux dans la salle. La plupart font part des difficultés qu’ils ont eu à avoir des informations sur l’endroit où était leur fils/frère/ami. Ils n’ont pas reçu d’appel du commissariat, c’est seulement lors de leur arrivée au dépôt qu’ils ont été prévenus. Certaines familles sont venues de loin et se sont retrouvées perdues dans Paris sans savoir dans quel tribunal leur fils serait jugé. Ils n’ont souvent aucune idée de ce qui est reproché à leur fils/frère/ami avant d’entrer dans la salle d’audience. En fin de journée, les salles sont quasi-vides et les peines de prison ferme tombent dans l’indifférence générale.

Voilà le résultat après 14 heures d’audience et le passage de 24 prévenus :

- 45 mois de prison ferme (pour 9 personnes au total)
- 4 mandats de dépôt (les personnes condamnées partent directement en taule le soir même)
- 13 mois de prison avec sursis (pour 4 personnes au total)
- 4 relaxes totales
- 7 renvois dont 6 avec des contrôles judiciaires et 1 maintien en détention provisoire
- 2200 euros d’amende qui vont s’alourdir avec des audiences plus tard pour établir certains préjudices (notamment pour la ville de Paris)

Les différents types de dossiers

Les interpellations matinales : "ils voulaient même faire passer les casseroles de ma mère pour une arme"

Samedi dernier, beaucoup d’arrestations ont eu lieu dans la matinée alors que les gens n’avaient même pas encore eu le temps de sortir de leur voiture.
C’est le cas de Martin (tous les noms ont été changés) qui a été arrêté lors d’un contrôle routier aux alentours de 9h. Les chefs d’inculpation contre lui étaient nombreux : "port d’arme blanche", "détention de substances explosives", "transport de substances explosives" et "participation à un groupement en vue de...". Martin est complètement désemparé à la barre, il explique que la plupart des objets dont on lui reproche la possession sont des choses qui sont toujours présentes dans la voiture, comme par exemple les deux bonbonnes de gaz trouvées dans le coffre et utilisées dans le cadre d’un week-end camping. D’autres objets appartenaient aux autres personnes présentes dans la voiture qui ont aussi été arrêtées. Toutefois, comme le parquet n’a pas jugé bon de les mettre dans le même dossier, ils sont jugés dans des chambres différentes et il y a des chances que plusieurs soient condamnés pour la possession d’un même objet. Assez naïvement, en garde-à vue, Martin a reconnu qu’il avait ramené des billes et qu’il avait envisagé de les mettre au sol pour faire chuter les CRS : "c’était juste défensif, on se fait attaquer par les CRS, on veut seulement se défendre". Dans les réquisitions du procureur, les petites billes en verre deviennent des billes en plomb et il demande 3 mois de prison ferme. C’est ce que le juge mettra. Lors du mot de la fin, Martin a pris la parole, en pleurs, pour dire "je ne manifesterai plus". Ça tombe bien, c’était l’objectif.

Les arrestations pour groupements et jets de projectile : "la population des gilets jaunes aurait donc été victime de tirs de lacrymo par les policiers, c’est ce que vous dites ?" (le proc’)

À cette question offusquée du procureur, un des prévenus a répondu un "oui" très catégorique. Beaucoup des personnes jugées pour violences le sont car elles ont avoué en garde-à-vue avoir rejeté des palets de lacrymo ou des pavés sur les flics après une charge, un tir de flashball ou de lacrymo. Dans la plupart des dossiers, il n’y a aucune preuve hormis les aveux en garde-à-vue ou les exploitations des téléphones des prévenus.

Sur les quatre personnes accusées exclusivement de "participation à un groupement", 2 ont été relaxées, une a demandé un renvoi. Le seul qui a été condamné l’a été en raison des messages trouvés sur son téléphone - avec des appels explicites à la casse et des insultes envers les flics - et en raison de la présence d’un pavé dans son sac qu’il a reconnu y avoir mis pour le garder comme souvenir. Dans son cas, le procureur a demandé 3 mois ferme et c’est ce que le juge a mis (en refusant la non-inscription au B2). Les deux autres cas étaient assez similaires (c’est à dire des dossiers quasi-vide) mais l’exploitation de leur téléphone n’a rien donné. Un des deux était aussi accusé d’avoir un pavé dans son sac, mais il a nié et a expliqué qu’il avait été placé là par un CRS. Les deux ont été relaxé (le proc’ demandait trois mois ferme pour l’un et cinq avec sursis pour l’autre).

Concernant les six personnes accusées de "participation à un groupement" et de "violences sur personne dépositaire de l’ordre public ayant entrainé 0 jours d’ITT" (principalement des jets de projectiles), là encore, la plupart se sont auto-incriminés en parlant lors des garde-à-vues. J
érémie, arrêté pour avoir un tournevis en sa possession a avoué lors de son audition avoir relancé un palet de lacrymo en direction des flics (il n’était pourtant pas accusé de ça et aucun élément du dossier ne permettait de l’incriminer pour ça). Il a été relaxé pour les faits de groupement et condamné à 60 jours amende à 20 euros pour violences (le proc demandait trois mois ferme avec mandat de dépôt). Même chose pour Vincent, accusé d’avoir jeté un pavé sur un flic. Pensant arranger les choses, il déclare en GAV, "j’ai juste jeté des grenades lacrymo mais pas le pavé". Dans son cas, l’exploitation du téléphone va encore empirer les choses : c’est notamment le fait qu’il ait envoyé les fiches du dispositif policier la veille de la manif qui se transforme en "éléments préparatoires et concertés" dans la bouche du proc. Il demande 4 mois de prison, 2 ans d’interdiction de Paris et la confiscation du téléphone. Le juge suit ses réquisitions mais change les 4 mois ferme en sursis.

De la même façon, Paul a déclaré en audition : "j’ai jeté qu’un caillou lorsqu’on m’a mis le flashball". Son avocate précisera qu’il s’est pris un tir tendu de flashball dans le ventre. Il n’avait pas été interpellé pour ça mais le parquet a sauté sur l’occasion. Il a été condamné à deux mois de prison ferme (le proc demandait trois mois ferme). Mathieu relate des faits similaires et a fait constater sa blessure par un médecin. Il est condamné à un mois de prison avec sursis, le procureur en demandait trois.

À chaque fois, les prévenus expliquent et les avocates plaident que le projectile a été jeté sur le coup de la colère en direction des flics mais sans jamais les toucher. Il n’y a aucune victime dans sces différentes histoires. Il n’y a pas non plus ni de lieu, ni d’heure, ni aucun élément matériel pour caractériser des violences. Les seules preuves sont les déclarations des prévenus. Pour autant, le juge condamne dans tous les cas pour violences. Le juge et le proc’ sont dans le pathos à grand coups de : "avez-vous quelque chose à dire à tous les policiers blessés ?" et autres "jeter des projectiles est un acte d’une violence terrible".

Les deux autres personnes accusées de violences mais qui ont toujours nié les faits ont été relaxées (dans un des cas le proc demandait trois mois ferme, dans l’autre deux mois avec sursis).

Pour chaque accusation de groupement, la ville de Paris s’est constituée partie civile. On a eu droit a des plaidoiries pathétiques expliquant que les pavés font partie du mobilier urbain et que donc les personnes qui les jettent sur les flics ont contribué à dégrader le mobilier urbain, et cela d’autant plus que le jet de pavé pourrait endommager une autre partie du mobilier urbain. Le premier jour le juge a refusé la constitution de partie civile à chaque fois, le lendemain l’autre juge a accepté alors qu’ils s’agissait de dossier similaires.

Violences volontaires et complicité de violences volontaires : "je l’ai reconnu, c’est celui qui venait de me mettre 4 coups de matraque"

Pendant ces deux jours, un dossier s’est distingué des autres du fait du traitement spécifique qui en a été fait.
Il s’agit de deux hommes tous deux accusés de "participation à un groupement", "outrage à agents". En plus, l’un des deux, Karim, était accusé de "violences volontaires" et de "dégradations d’une vitrine" ; l’autre, Julien, était accusé de complicité pour ces deux délits du fait d’avoir filmé les scènes. Ils ont tous les deux des casiers judiciaires vides et un emploi relativement bien rémunéré. Ils ont été arrêtés juste après que l’un des deux ait mis un coup de pied dans le dos d’un flic. Le flic est tombé en avant et s’est vu notifier 5 jours d’ITT suite à son passage aux urgences. En GAV et au tribunal, Karim explique que ce n’était pas un geste gratuit car ce même agent l’avait frappé quelques minutes auparavant, il explique également qu’il regrette son geste et que c’est "l’ambiance de la journée" qui l’a poussé à agir comme ça. Le flic a porté plainte et est représenté par son avocate qui se décrit elle-même comme "spécialiste" de ce genre d’affaires. Il y a également un agent du ministère de l’État qui est partie civile. S’ils ont été arrêtés juste après les faits, les vidéos dans le portable de Julien sont accablantes pour eux deux : ce sont ces vidéos qui ont permis d’ajouter les délits d’outrages, de dégradation et de groupement. Concernant les violences, les vidéos jouent aussi un rôle primordial dans ce dossier puisque les personnes y sont nettement reconnaissables. De plus, c’est sur la base des vidéos que le parquet requiert la "complicité par le fait de filmer" pour Julien. Les vidéos qui pourraient être à décharge et que les prévenus évoquent ne sont pas dans le dossier. L’avocate du flic s’en donne à cœur joie dans sa plaidoirie et débite tous les lieux communs. Elle va jusqu’à dire que son client a reçu un coup de pied dans la nuque et qu’il aurait pu mourir suite au coup du lapin alors même que la vidéo montre que le seul coup reçu était au niveau du bassin. Rappelons que le flic a eu 5 jours d’ITT. Elle demande bien évidemment de la thune, 1000 euros dans un premier temps, puis davantage quand le flic aura fait tous les examens de santé. Le proc’ reste dans la même veine et demande pour Karim 10 mois de prison dont 6 avec sursis et un mandat de dépôt ainsi que 2 ans d’interdiction de Paris. Pour Julien, il demande 6 mois avec sursis et deux ans d’interdiction de Paris.

Au retour de la suspension, le délibéré tombe : Julien est relaxé pour les faits de complicité, pour le reste il est condamné à 4 mois avec sursis et à une interdiction de Paris pour 2 ans. Karim est condamné à 8 mois de prison dont 4 avec sursis et mandat de dépôt, interdiction de Paris pour deux ans et 1000 euros pour le flic. Ses proches, sous le choc, veulent s’approcher du box. Les flics de la salle les en empêchent. Ils font sortir les prévenus du box, un cri glaçant s’échappe du couloir. Les proches restent debout dans la salle et disent au juge "a t-on le droit de manifester notre incompréhension face à un tel jugement ?". Le juge leur lance un "non" sec et méprisant et leur dit de quitter la salle.

Dégradations, vols et recels : "Il ne peut pas dire qu’il voulait manifester pour le pouvoir d’achat car il est étranger" (le proc’)

Apparaissent enfin les fameux casseurs-pilleurs décrit par le Parisien. En deux après-midi, neuf personnes sont passées devant le tribunal pour des faits de vols, de recels ou de dégradations. Cinq d’entre eux ont fait des demandes de renvoi et sont placés sous contrôle judiciaire en attente de leur jugement le 8 janvier. Lors d’une des demandes de renvoi, le procureur a commencé sa réquisition sur le fond jusqu’à ce que le juge le reprenne en lui disant qu’il fallait qu’il fasse des réquisitions sur les conditions de renvoi. Cette erreur décrit assez bien le comportement des proc’ durant ces deux jours : des réquisitions à la chaîne qui reprennent toujours les mêmes phrases ("vu les images à la télévision, vous ne pouviez pas dire que vous ne saviez pas ce qu’il allait se passer", "comportements anti-républicain", "les policiers qui nous défendent tous", ...) et où il a l’air de sortir des durées de mois ferme et des "avec ou sans mandat de dépôt" de façon quasi-aléatoire.

Concernant les personnes accusées de dégradation, de vol et de recel, on retrouve dans les propos des juges et des proc’ une volonté de bien mettre en avant que ce ne sont pas de vrais manifestants. Le juge pose de nombreuses questions sur les raisons de la manifestation. Exemple d’interaction :
« - vous manifestez pour quoi ?
- soutenir les gilets jaunes
- c’est à dire ?
- ben en soutien
- mais c’est quoi les gilets jaunes ?
- ben pour les taxes et tout
- vous êtes intéressé par ce mouvement, ça se voit (sur un ton ironique) »
Dans le cas de cette personne, le proc’ se permettra de dire "le gilet jaune dont il était porteur n’est qu’un prétexte pour se fondre dans la masse". Ce mépris et cette volonté de présenter ces personnes comme des "opportunistes" s’inscrit clairement dans un cadre raciste. Pour un autre interpellé, tunisien et sans-papier, le proc’ déclare pendant sa réquisition : "Il ne peut pas dire qu’il voulait manifester pour le pouvoir d’achat car il est étranger".

Parmi les 4 cas jugés lundi ou mardi, il s’agit de trois cas de recels et un cas de vol. Les personnes accusées de faits de dégradations, et notamment pour des voitures brûlées ont demandé des reports. Le recel a été dans les trois cas reconnu, et à chaque fois les objets récupérés étaient en dehors des magasins, sur le sol. Si le procureur reconnaît que "le recel, c’est moins grave que la violence", il va pourtant demander de lourdes peines qu’il justifie par les casiers, et sera systématiquement suivis par le juge. Pour recels de cravates, Mohammed est condamné à trois mois de prison ferme. Pour recels de différents vêtements de sport et de documents d’identité, Dylan est condamné à 10 mois ferme avec mandat de dépôt. Il a déjà passé, en cumulé, plus de 10 ans en prison et avait déclaré que retourner en prison allait le détruire. Dans le cas d’Hassen, accusé à la fois de recel et de présence sur le territoire français (il est tunisien et sans papier français), le procureur requiert 4 mois ferme avec mandat de dépôt et interdiction du territoire français pour 3 ans. Malgré la tentative de son avocate de prouver que son casier judiciaire est inhérent à sa situation administrative et que la prison ne permettrait rien d’améliorer, le juge a décidé d’assumer le caractère raciste de son tribunal en allant au-delà des réquisitions du proc’ et a prononcé 6 mois de prison ferme avec mandat de dépôt.

Enfin, concernant le dernier cas, il s’agit d’un vol. Omar a été arrêté pendant qu’il filmait la casse de plusieurs magasins. En garde-à-vue, ces différentes vidéos ont été visionnées. Hormis cela, le dossier était complètement vide, jusqu’à ce qu’il déclare en audition être entré dans un magasin et avoir pris deux ou trois boissons énergisantes car il avait soif. Il s’est donc retrouvé accusé de "vols de boissons". Au cours d’une plaidoirie ahurissante, le proc’ a affirmé que vu son profil, ça ne faisait aucun doute qu’il était là pour piller et a demandé 4 mois avec mandat de dépôt. Suite à la plaidoirie de l’avocate qui a rappelé que le parquet demande 4 mois avec mandat de dépôt pour le vol de trois boissons, le juge a mis 2 mois ferme. Le pire dans cette histoire : l’avocate avait plaidé des nullités (sur le délai de notification des droits), celles-ci ont été jointes au fond. Lors du délibéré, le juge a annoncé que les nullités étaient retenues et que donc la GAV était annulée. Mais comme Omar a de nouveau avoué les faits pendant l’audience, cela ne change rien. S’il n’avait pas parlé à l’audience, le juge aurait du le relaxer. Apparemment son avocate commise d’office ne lui avait pas fait part de ce point essentiel...

N’oublions pas l’infamie quotidienne du tribunal

Lors de ces deux jours, j’ai assisté à deux autres comparutions immédiates disons "plus classiques" mais toujours aussi infâmes.
Dans le premier cas, quand Arbi est arrivé dans le box, il était clair pour tout le monde qu’il n’était pas en état de comparaître (du fait de différents signes physiques). Accusé de vol en réunion, il n’est parvenu à répondre à pratiquement aucune des questions en raison de son état mais aussi de difficultés avec la langue française. Le procureur a demandé de la détention provisoire en attente de son procès car il ne pouvait pas attester d’un travail ou d’une adresse. L’avocate a expliqué qu’elle n’avait pas eu le temps de réunir ces pièces et a fait état de problèmes psychiatriques importants. Le juge a décidé d’un maintien en détention jusqu’au procès.
Quelques minutes plus tard, Alfred, assisté d’une traductrice, est entré dans le box. Accusé de violences avec armes, il dit avoir été attaqué par plusieurs hommes et s’être défendu. Mais le juge lui fait vite comprendre que sa version en tant que SDF ne vaut rien face à celle des deux hommes qui l’accusent - dont il précisera bien la profession au moment de la lecture des auditions. Alfred tente de s’expliquer sur les faits, mais le tribunal n’a plus le temps, il est déjà tard, alors le juge le coupe et n’attend pas que la traductrice ait fini de traduire. Il sait de toutes façons déjà quelle version est la vraie. Il suit les réquisitions du proc’ et prononce un an de prison avec mandat de dépôt.

Des conseils à faire circuler massivement

Si ce récit de quelques comparutions immédiates vous déprime autant que ces deux journées passées au TGI, il est toutefois essentiel de réussir à s’en saisir pour s’armer contre la justice. Il ne s’agit pas d’améliorer la justice mais de développer et de partager des pratiques pour résister à la répression judiciaire. La justice restera toujours bourgeoise et raciste mais on peut, à la marge, éviter quelques mois de taule à des gens en diffusant massivement quelques conseils.

  1. NE PAS PARLER EN GARDE-A-VUE, il ne faut reconnaître aucun fait, même si cela ne vous semble pas incriminant. Une des techniques des flics, c’est de faire croire qu’on vous accuse de trucs très graves pour vous faire avouer des trucs moins graves. Le mieux c’est de ne rien avouer du tout, et pour faire ça, la meilleure technique, c’est de ne jamais leur répondre. Le silence est un droit, utilisez-le.
  2. Demander un-e avocat-e dès le début de la garde-à-vue, il/elle pourra vous conseiller et vous vous sentirez moins seul. Ça ne changera rien à la durée de votre garde-à-vue et ça peut vous permettre d’éviter des mois de prison.
  3. Ne filmez pas les manifestant-e-s pendant les manifestations : on ne se rend pas toujours compte de ce qui constitue un délit, mais par exemple une personne filmée en train de déplacer du mobilier urbain peut être poursuivie pour cela et votre vidéo pourrait servir de preuve contre elle. Même chose pour le jet de n’importe quoi, ou pour n’importe quelle infime dégradation. Même des insultes enregistrées sur une vidéo peuvent devenir des outrages à agent. Filmer c’est dangereux pour les autres, mais ça l’est aussi pour vous : vous pouvez être accusé-e-s de complicité du délit que vous filmez.
  4. Avant d’aller en manifestation, supprimez tous les messages potentiellement compromettants de votre téléphone. Mieux encore, au moment de votre interpellation, éteignez votre téléphone si vous le pouvez et refusez de donner les codes.
Pour résumer, ne faites pas le travail à la place des flics, des procureurs ou des juges.

On leur fera payer chaque coup de matraque, chaque goutte de sang, chaque heure de garde-à-vue, chaque mois de détention !

face.a.la.justice@disroot.org

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