Une dépense si irréversible dans le conflit de classe

L’adoption au 49-3 de la énième version du texte projet loi travail en deuxième lecture à l’A.N, après échec en Commission mixte paritaire, avant retour au Sénat, et sur fond de cruauté répressive autoritariste ; loin d’être une impasse, porte en elle irrévocablement toute les luttes politiques futures.

Le 5 juillet, retour du texte à l’A.N. et troisième épisode de la manif intersyndicale en milieu autoritariste ; journée critique pour les forces de l’ordre dépositaires de l’enclave, investies de la mission d’empêcher tout surgissement intoléré par l’horreur politique qui nous gouverne.

La discipline nécessite répétitions, jusqu’à rendre l’idée de souffrance acceptable. Inévitable dès qu’on s’en approche, c’est la stratégie policière qui découle ( comme de l’eau usée ) ; le nouveau dispositif de dressage et de canalisation, et malgré sa démesure, se fluidifie ; les automatismes développés sur le terrain ( c-à-d nous ) s’améliorent, l’agressivité jouissive en est facteur d’efficacité, outil et symbole de domination. Les condés reproduisent le processus d’assujettissement qu’ils subissent dans les écoles-casernes : ainsi celleux qui pénètrent leur domaine de souveraineté deviennent objectivement leurs subordonné-es.

Cette fois j’accepte de me faire contrôler... Contrairement à un groupe d’une centaine de manifestant-es, organisé pour être réfractaire, soutenu par les camarades ( déjà contrôlé-es ), et à qui les GM finissent par céder après une assez longue partie de qui se dégonflera le premier.

Comme souvent dans les manifs, mieux vaut reprendre le récit par le milieu ; et c’est aussi en milieu de parcours, au niveau d’un carrefour, que les flics situent habituellement le point chaud, jaugent le potentiel offensif ( défensif ? ) en amont, provoquent et harcèlent ; pour ensuite morceler, circonscrire, bloquer les issues, et déclencher l’affrontement sur le terrain idoine, qui pourtant deviendra le terrain de l’imprévisible, du possible, des mutilations, et des suffocations. Cette fois, malgré la faiblesse de l’effectif du cortège de tête, et son dépouillement forcé de moyens de défense et de protection, un groupe de flics à l’orée du boulevard de la Bastille s’est planté façon hameçon, disposé en ligne devant un magasin de moquettes. Invitation à ce qu’on les dégage de notre parcours. Challenge accepté ! On s’arrêtera un long moment : petites charges, quelques coups, timide caillassage, et les habituelles naïves médiations... Ça n’ira pas plus loin, les keufs tiennent leur carré, de sorte que spontanément le truc devient tribune : on y déploie les banderoles, crie les slogans, pose pour les photographes... Voilà, merci la police pour cette fragile soupape d’une colère inoffensive, exprimée de façon éphémère... Misère... Ironiquement, au même moment, et dans un décors autrement plus adapté à la représentation comique, au surjeu et aux grosses ficelles : se vit un moment critique du spectacle de la démocratie bourgeoise dégénérescente.

L’attrait - peut-être trompeur - d’une défaite qui s’éprouve en commun, dans l’immédiat ainsi que dans l’imaginaire collectif, est qu’elle est plus favorable au dépassement qu’au découragement. D’abord, par son caractère propre à clarifier les influences néfastes de l’espoir ; chimère aliénante du discours politique, nourrie par ceux qui captent le pouvoir, accaparent la parole et condamnent à l’attente passive, à l’indignation stérile, et à l’impréparation morbide. Dans l’acceptation de cette défaite, se laisse deviner quelque chose d’une lucidité joyeuse.

Lucidité critique aussi, à l’intérieur du déploiement présent d’une répression ancienne dorénavant durablement transformée, mais rendue respirable par la mutualisation des nécessités de protection et de défense, et l’urgence toujours renouvelée des solidarités avec les victimes, les inculpé-es, les mutilé-es, les séquestré-es, et les expulsé-es, ainsi que les copine-ains qui simplement n’en peuvent plus. Car celleux qui luttent ont éprouvé (outre la défaite du jour plutôt insignifiante en elle-même ) la puissante volonté de l’ordre dominant capitaliste, créatrice pour elle-même de potentiels de convergences, d’aliénations, et d’organisations ; éprouvé aussi son obstination impavide - dans son actuelle réalisation autoritariste - à se donner tout les moyens agressifs pour gagner la confrontation, par la paix sociale ( inséparable de affliction individualiste et son projet de réussite personnel ), ainsi que par l’étouffement brutal disproportionné et inconséquent de la conflictualité violente du rapport social de classe.

Si la défaite est plutôt insignifiante, c’est parce que c’est ce qui y a mené qui importe à réparer, ou à délaisser. La phase actuelle de ce cycle de lutte inviterait à penser les limites pratiques et politiques de l’apport de nos rencontres et de nos actions communes, planifiées ou spontanées ; la reconnaissance de nos erreurs, de nos impasses, des alliances ratées et des stratégies non ou mal-pensées. Le gros problème des grèves par délégations, l’impact limité des blocages momentanés et occupations éphémères, le poison néo-managérial, les travailleuses oubliées du « care » et les travailleur-euses précaires du secteur tertiaire, le rapport aux directions syndicales institutionnalisées, l’aspect minoritaire et élitiste des avant-gardes ; et surtout les adresses des familles des vitrines, des DAB, des caméras de surveillance.. qu’on leur explique pourquoi on ne regrette rien.

En plus de devoir se connaître, ceci est le moment idéal pour reconnaitre l’ennemi, sa résistance, sa tolérance, son adaptation, et surtout ses nouvelles incarnations singulièrement dangereuses, et qui excèdent les logiques d’achat de la paix sociale, au profit de la domestication par la peur et la terreur. Afin, de mieux définir les attaques, leur domaine d’efficacité, et les risques qu’on en accepterait... Souvenir qu’il a été souvent répété - pour exorciser le slogan convergence des luttes - qu’il fallait se construire sur une base revendicative claire, même si réduite, pour bien cibler les attaques.

Tout ceci - et beaucoup plus - ne se décrète pas, a souvent été ressassé, est sûrement déjà en cours, un peu partout ; avec l’éventualité assumée qu’un examen critique dénué de complaisance accentue plus de divisions qu’il ne crée de liens.

Mais au final celleux qui souffrent d’exploitations, de dépossessions, de répressions, de racismes, de sexismes, de ségrégations, d’incarcérations, de spoliations, de rafles et de déportations ; dans leurs lieux de vies, et leurs lieux de travail ne supporteraient pas qu’il ne se passe rien.

Note

Après deuxième lecture du texte au Sénat, et dans la perspective d’un désaccord persistant entre les deux chambres, la lecture définitive revient à l’A.N. donc un troisième 49-3.

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