Retour sur le rapport de force qui se joue actuellement à la prison de Condé-sur-Sarthe

Voici un article de l’émission de radio Midi au mitard qui revient sur ce qu’il se passe à la prison de Condé sur Sarthe depuis deux mois.

Vous retrouverez à la fin de l’article une description de cette prison ainsi que la chronologie des évènements du mois de mars.

Soutien aux personnes détenues à Condé et à leurs proches !

« T’imagines ? Aujourd’hui j’ai vu une prison de haute sécurité, des surveillants pénitentiaires, des ERIS, et aussi des policiers. Sale journée. »

En tant qu’émission de radio (Midi au mitard) qui fait de l’information sur les prisons et qui soutient les personnes enfermées et leurs proches, nous avons répondu à l’appel du syndicat pour le respect et la protection des prisonnier·e·s (Syndicat PRP), et nous sommes rendues au rassemblement devant la prison de Condé-sur-Sarthe, le 22 mars dernier, alors que la grève des surveillant·e·s avait pris fin.

Sur place, les tas de pneus brûlés, les palettes, les barricades des surveillant·e·s sont encore là. Il y a une dizaine de personnes rassemblées : les membres du syndicat PRP, des proches de personnes incarcérées, des soutiens et quelques journalistes. Trois femmes et leurs enfants attendent de savoir si le parloir avec leur proche qu’elles ont réservé deux jours avant aura bien lieu ; du moins qu’une personne de l’administration pénitentiaire annonce l’annulation des parloirs, mais surtout leur donne un papier avec le motif de l’annulation. L’enjeu pour elles, c’est que ce papier qu’elles attendent fait office de décision administrative, dont elles pourraient contester la légalité devant les tribunaux.

Pendant les trois heures qu’a duré ce rassemblement, l’enceinte est muette. Il faut subir les railleries des surveillant·e·s pénitentiaires, et le silence de la direction de l’établissement qui ne prend pas la peine de venir rencontrer les proches. D’ailleurs, la direction de Condé se permet d’appeler la police pour disperser le rassemblement de 10 personnes. Deux voitures de police arrivent et demandent ce qu’on fait là : les familles répondent qu’elles attendent de savoir si leurs parloirs auront lieu, que l’administration pénitentiaire ne leur communique rien, et que si les parloirs sont annulés, il leur faut une trace écrite de l’annulation. C’est la police qui leur annoncera que les parloirs n’auront pas lieu.

Il faut comprendre l’ambiance de colère, la colère pour nous de voir des personnes rassemblées devant une prison se prendre autant de mépris de l’institution carcérale et de ceux·elles qui la gèrent. Il faut aussi comprendre l’inquiétude des familles : de l’autre côté des murs, leur mari, leur père ou leur fils, confiné depuis 18 jours déjà, pendant qu’elles attendent devant, pour certaines s’étant déplacées de Lyon ou de Paris, dans le but d’avoir des nouvelles de l’intérieur.

Des ERIS, ou ce qu’on appelle le GIGN de la prison, en équipement noir et cagoulés, passent devant le rassemblement. L’équipe de Rennes est venue à deux fourgons. Des renforts de surveillant·e·s sont venus de toute la région aussi. Pour cause, a été décidée une fouille intégrale de la prison de 4 jours, cellules et espaces collectifs. Sûrement pour enfoncer le clou de la surveillance et de la coercition à l’intérieur.

La taule de Condé a-t-elle besoin de plus de sécurité d’ailleurs ?

La politique de « gestion des risques » permet particulièrement dans cette centrale d’avoir tout le matériel nécessaire pour contrôler les moindres faits et gestes des personnes détenues, et d’avoir les équipements les plus sophistiqués de la pénitentiaire pour parer à toute tentative de rébellion à l’intérieur. La prison de Condé était déjà ultra sécuritaire : elle avait plus de caméras, plus de miradors, des murs plus hauts, et les personnels s’en vantaient encore sur France 3 en 2016 : l’équipement des surveillant·e·s, analogue à celui d’un·e CRS, pèse 10 kg lors de la distribution des repas en quartier disciplinaire. L’accès à des activités y est quasi-inexistant, par refus que des temps en collectif existent à l’intérieur de cette prison.

En 2018, 600 000 € supplémentaires sont investis pour accueillir des détenus « radicalisés ». Les modifications opérées alors sont : le rajout de passe-menottes à chaque porte de cellule qui implique que pour sortir, le détenu doit d’abord passer des menottes ; le remplacement des barreaux par des grilles caillebotis à toutes les fenêtres ; le retrait des espaces verts dans les cours de promenades ; et plus de vidéosurveillance dans une prison construite à l’origine sans angles morts. Se rajoute le renseignement pénitentiaire, inauguré en 2017, et apte à réaliser des écoutes dans les cellules, les espaces collectifs, les parloirs, etc.

Alors, comment expliquer la surenchère des demandes d’armes et de matériel sécuritaire des maton·ne·s ? Comment expliquer que quasi toutes leurs demandes aient été examinées et acceptées par leur hiérarchie ?
Profitant comme d’habitude de la médiatisation très forte qui suit chacune de leurs grèves, les surveillant·e·s en profitent pour désinformer : un surveillant tend un sifflet à un député venu à leur rencontre et indique que les uniformes et équipements de la pénitentiaire n’ont pas changé depuis 50 ans, et que devant des terroristes, lui et ses collègues n’ont que des sifflets. En voilà un gros titre juteux pour la presse.

Tandis que pendant le rassemblement en soutien aux personnes détenues et leurs proches, quelqu’un ironise : « Ils sont tellement cons qu’ils seraient capables d’électrocuter un détenu en utilisant du gaz lacrymo en même temps qu’un taser. » La réclamation par les maton·ne·s de « pistolets à impulsion électrique » et de « bombes incapacitantes » est actuellement à l’étude par le ministère de la Justice.

Vous voyez où on veut en venir sur le rapport de force ?

Les personnels en grève ont eu la garantie qu’il n’y aurait aucune sanction disciplinaire ni retenue sur salaire à l’issue de leur mouvement. Selon un syndicat : il s’agissait d’un « blocage dur » de la prison qui a été voté : « excepté le médecin, personne ne rentre !!! ». Les fonctionnaires, a fortiori ceux·elles qui travaillent en prison n’ont pas le droit de faire grève. Les conséquences sur les personnes détenues, voire sur leurs proches, qui vont de la privation de droits fondamentaux, à la privation du peu de confort prévu dans la prison, ont été celles-ci : pas de promenades et pas d’activités, pas de parloirs, peu d’appels téléphoniques autorisés, les correspondances stoppées, pas de cantines (ce qu’on peut acheter en prison : clopes, nourriture, timbres, etc.), un seul repas par jour était distribué, un service médical restreint voire inexistant, pas d’ateliers (donc pas de travail : c’est-à-dire pas de rentrée d’argent, aussi peu que cela représente en prison).

Et dehors le piquet de grève brûlait ses pneus, et accueillait députés, journalistes, et toute la hiérarchie. À souligner : la collusion frappante entre les flics, qui tous les jours faisaient semblant de lever le barrage en contournant les barricades, après des sommations tout sourire, pour faire rentrer personnels de la direction, médicaux, ou non-grévistes, et des vivres. À souligner aussi : les deux déplacements de Belloubet, la sinistre de la Justice, celui de Bredin, le directeur de l’administration pénitentiaire qui lamentablement cajole et s’excuse auprès des maton·ne·s de ne pouvoir autoriser expressément les surveillant·e·s à fouiller à nu les familles avant les parloirs.

L’obstacle ? L’atteinte à la dignité des visiteur·euse·s.
Cet obstacle n’a pas duré longtemps. Voilà le retour fait à l’OIP d’une proche qui a pu accéder à un parloir, une fois le confinement levé :

« Je suis allée au parloir, c’était très choquant et d’une humiliation extrême.

Nous avons été fouillées et mises à nu (jusqu’à secouer le fessier pour voir s’il n’y avait rien dans la culotte) par la police à l’intérieur du centre pénitentiaire. Le directeur adjoint était présent. Les enfants ont eux aussi été fouillés, avec obligation de changer la couche. Suite à cela, la brigade cynophile est intervenue : le contrôle a duré 1h15 ! Et ensuite, de nouveau un contrôle de base avec les surveillants… Je suis encore sous le choc et extrêmement inquiète des répercussions que cela peut avoir sur les enfants. »

Les fouilles à nu des visiteurs·euse·s ont toujours cours à Condé, deux mois après.

Deux détenus ont saisi en référé la justice pour dégradation des conditions de détention. La réponse du juge qui les déboute ? « La dégradation, très réelle, des conditions de détention au centre pénitentiaire n’est pas d’une gravité suffisante pour constituer une atteinte grave et manifestement illégale. »

Le statut des surveillant·e·s est en revanche valorisé, leur salaire, même faiblement, est augmenté. Toutes les revendications sécuritaires de leurs syndicats (qu’on peut étiqueter d’extrême droite) sont à l’étude, certaines devant s’étendre, outre Condé, aux autres prisons en France.

Quand est-ce que les mots de justice, de droits fondamentaux, de dignité, sont passés au service de l’administration pénitentiaire ?

Pourquoi armer et sécuriser plus cette prison qui est déjà au summum de la sécurisation ?

Pourquoi une agression d’une personne fraîchement « radicalisée » à l’intérieur des murs ne remet pas en question le système carcéral tout entier ?

Soutien aux personnes détenues à Condé,

Soutien aux familles et proches des personnes enfermées,

Soutien au Syndicat PRP qui a organisé le rassemblement du 22 mars,

Soutien aux quatre familles de détenus en sit-in devant la prison le 4 mai qui ont refusé les nouvelles fouilles, et se sont vus refuser l’entrée au parloir.

Alice et Clem de Midi au mitard

  • Mai 2019 -

Réponses à nos questions par la vice-présidente du syndicat PRP enregistrées lors du rassemblement du 22 mars à Condé :

Un des communiqués du Syndicat PRP sur Condé :

https://www.facebook.com/syndicatPRP/posts/1510362022453974

Un article complet sur Condé et son architecture :
https://attaque.noblogs.org/post/2013/12/30/conde-sur-sarthe-alencon-que-la-poudriere-explose-enfin-et-archi5-architectes/

////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////

Le quartier Maison Centrale de la prison de Condé-sur-Sarthe, à Alençon :

Une centrale accueille les personnes détenues pour des peines très longues, plus de 20 ans. Condé accueille seulement des hommes. Si le quartier Centrale de Condé a une capacité de 195 places en cellules individuelles, il incarcère en réalité 109 personnes détenues (au 1er janvier 2019).

C’est une prison construite par Quille, la filiale Grand Ouest de Bouygues. Elle est sortie de terre en 2012 dans l’Orne, département low cost où il fait bon construire des prisons, et a ouvert en 2013. Elle a coûté en partenariat public privé - autrement dit en endettement public - 67 millions d’euros. Si elle a été inaugurée par Christiane Taubira quand elle était garde des Sceaux, elle a été commandée par le dernier programme de construction de prisons appelé « 13 200 places » (prévu par la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002). Ce programme a construit 24 prisons.

Condé est une prison dite « de haute sécurité ». Pourtant les quartiers de haute sécurité (QHS) ont été supprimés le 26 février 1984, par une circulaire du garde des Sceaux Robert Badinter. Ils avaient été instaurés en 1975, et des éléments tels que l’isolation sensorielle et physique des détenus soumis à ce régime avaient pu défrayer la chronique, outre les multiples réquisitoires par des personnes détenues comme Jacques Mesrine, et des intellectuels comme Michel Foucault. Après la construction de Condé, une deuxième prison de haute sécurité a poussé à Vendin-le-Vieil, dans le Nord, jumelle de la première.

Depuis 2018, la prison contient un quartier d’évaluation de la radicalisation (QER), et un quartier de prise en charge de la radicalisation (QPR), quartiers étanches aux autres quartiers de la prison.

Seulement à l’origine, Condé-sur-Sarthe est une centrale de transition. Comme a pu l’expliquer le directeur actuel : c’est une prison de transition pour les prisonniers les plus récalcitrants, ils passent à Condé une période de moins d’un an pour être « matés » et ensuite repartir en centrale « calmés ». Pourtant certains détenus y ont été transférés sans avoir généré de problèmes dans d’autres détentions. Les demandes de transfert (notamment pour se rapprocher de sa famille, ou ne plus subir le régime de détention spécifique de Condé) s’obtiennent difficilement, les autres établissements refusant d’accueillir des personnes qui viennent de Condé.

////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////

Chronologie - Mars 2019

Mardi 5 mars :

Le matin, à la fin d’une unité de vie familiale (les UVF correspondent aux deux ou trois jours accordés aux détenus et à leurs proches dans un appartement de la prison), un détenu et sa compagne agressent deux surveillants, qui sont blessés et hospitalisés. La personne détenue et sa compagne bloquent l’UVF en menaçant à l’aide d’une ceinture d’explosifs factice toute la journée.

Le soir, le RAID intervient, tuant la compagne, et blessant le détenu.

La ministre de la Justice décide qu’il s’agit d’un attentat terroriste.

Mercredi 6 mars :

Commence le blocage de la prison par les surveillant·e·s qui se mettent en grève. Des surveillant·e·s d’autres établissements se mettent en grève, et bloquent leur prison en soutien à ceux de Condé.

Tous les détenus de Condé sont confinés en cellule durant et après la grève, pendant 18 jours au total.

Jeudi 14 mars :

À lieu une réunion des syndicats avec la ministre de la Justice à Paris avec le package de revendications habituelles des syndicats de la pénitentiaire : réforme des statuts, augmentation des salaires, plus d’armes, plus de sécurité, plus de personnels. Ça n’aboutit pas, mais la ministre donne son accord pour la trentaine de revendications liées à la sécurité, en créant une commission qui réfléchira par exemple à la possibilité pour les surveillants d’avoir des tasers.

Lundi 18 mars :

Les deux surveillants agressés sont décorés : ils sont nommés chevaliers dans l’ordre national du mérite (le sous-grade de la Légion d’honneur).

Mardi 19 mars :

La hiérarchie des surveillants, le directeur de la prison, la directrice interrégionale de Rennes, et le directeur de l’administration pénitentiaire viennent rencontrer le « piquet de grève ». Ils discutent de réformer le système de fouille, et d’autoriser les palpations systématiques des familles, entre autres.

Mercredi 20 mars :

Les surveillants lèvent le blocus.

Les familles des personnes détenues parviennent à joindre le numéro vert de réservation des parloirs, et réussissent à réserver des parloirs pour le vendredi 22 mars.

Jeudi 21 mars :

Les surveillants reprennent le travail. Une fouille générale de 4 jours des cellules et de la prison est organisée avec des surveillants d’autres prisons, et l’ERIS de Rennes (Équipe régionale d’intervention et de sécurité).

Vendredi 22 mars :

À l’initiative du syndicat PRP (le syndicat pour la protection et le respect des prisonnier·e·s), un rassemblement des proches des personnes détenues est organisé devant la prison, d’abord en soutien aux personnes enfermées, confinées depuis 18 jours, mais aussi en soutien aux familles qui ne savent pas encore si leurs parloirs auront bien lieu comme prévu.

Une quinzaine de personnes est présente, comprenant les membres du syndicat, les proches avec deux enfants, des soutiens, et quelques médias locaux.

Les parloirs n’auront pas lieu. Les détenus sont toujours confinés et fouillés pendant 4 jours.

Mots-clefs : anti-carcéral | justice | ERIS | prison

À lire également...