PAPREC : du sale dans le tri des déchets

Dans une usine de La Courneuve, Paprec trie nos déchets en mode paternalisme néocolonial. Accidents, morts, contrôle et répression syndicale... mais aussi une lutte à suivre de près !

Dans un coin de La Courneuve, entre des entrepôts de ferraillage, des locaux d’imprimeries, le siège de l’UOIF [1], un collège-lycée et l’autoroute A86, l’usine PAPREC trie tout un tas de déchets. Son activité consiste à récupérer des bennes déposées dans des entreprises ou des collectivités, puis à réinjecter cette matière première gratuite dans les circuits capitalistes. Mais Paprec trie aussi ses ouvriers, pour éviter toute contestation, ce qui lui a valu une certaine renommée dans les réseaux syndicaux. Depuis les élections professionnelles d’octobre 2016, Paprec fait tout son possible pour se débarrasser de son représentant syndical CGT, Mahamoudou Kanté. Comme dans beaucoup de boites, on a d’abord tenté de le rétrograder, de conducteur d’engins à trieur de déchets. Ensuite, c’est l’enchainement complet : agressions physiques en novembre et décembre 2016, convocations multiples, mises à pied conservatoires, mutations forcées, procédures de licenciement… [2]. Entre février 2017 et mars 2018, il ne reçoit plus aucun salaire mais refuse les dizaines de milliers d’euros qui lui sont proposés pour quitter l’usine. Malgré les victoires aux prud’hommes, il lui reste encore 7 mois de salaires non payés.

La répression syndicale vit une époque florissante mais chez Paprec on pousse loin le délire. Depuis mars 2018, les participants à une simple réunion syndicale organisée par Mahamadou Kanté sont sanctionnés un par un, parfois jusqu’au licenciement. Et de façon générale, quiconque s’approche trop près du délégué syndical est visé par la répression. Les salariés sont photographiés et espionnés par vidéosurveillance, si jamais ils montraient des volontés de s’organiser. Le 22 mai, le syndicaliste se retrouve enfermé à clef dans un bureau, avec trois cadres et un huissier qui veulent lui faire signer une nouvelle fiche de poste. Au cours d’un des nombreux procès qui l’oppose à sa direction, des mails échangés entre les cadres de l’usine ressortent du dossier et démontrent l’offensive antisyndicale. Les représentants du personnel y sont désignés comme « un grand danger pour l’équilibre de l’agence » et il est même précisé qu’ « une mise à pied conservatoire ne suffira pas à régler le problème, bien au contraire sans doute ».

Niveau communication, le groupe Paprec est au top du greenwashing avec son image écolo et moderne : une "société modèle" selon le magazine L’Express [3]. Mais entre les murs des usines, celle de La Courneuve en particulier, la réalité est plus sombre. Les ouvriers travaillent dans des bâtiments vétustes et mal organisés, où le risque est permanent. Au lieu de trier les bennes de papier au sol, on les oblige à monter sur des tapis roulants qui ne sont pas prévus pour. Ils bossent donc en se déplaçant à travers un flot de déchets, pour éviter de se faire happer par la broyeuse qui est derrière eux ou bien par les énormes tractopelles qui continuent à déverser les déchets juste devant. À quelques mètres, d’autres manutentionnaires - avec ou sans casques - travaillent à proximité directe de grues hydrauliques dont les griffes métalliques se balancent au-dessus de leurs têtes. A un niveau inférieur, confinés dans des cuves en béton, des trieurs en masques et combinaisons blanches ramassent à la main des montagnes de paperasse, dans des nuages de poussières. La situation est à peine mieux pour les chauffeurs, contrôlés par géolocalisation à la minute près tout en étant contraints de dépasser régulièrement les temps de travail réglementaires.

En 2014, un ouvrier de La Courneuve est mort écrasé par des balles de papier en déchargeant un camion. La même année, dans l’usine Paprec de Wissous (91°), un salarié meurt broyé par la machine de tri. Ce traitement réservé aux ouvriers des déchets ressort assez clairement des statistiques nationales qui ne sont pourtant que la face visible du phénomène. En 2016, le secteur « collecte, traitement et élimination des déchets » est presque en tête pour la fréquence des accidents du travail, juste derrière le bâtiment, mais au-dessus de la logistique [4]. Les accidents sont aussi plus graves que dans les autres secteurs, les décès étant presque aussi nombreux que dans la construction. En France, 110 000 salariés sont regroupés dans ce type d’activité, dont 17 000 en Île-de-France. Ce sont pour 2/3 des ouvriers, principalement des chauffeurs et des ouvriers non qualifiés. C’est sur leurs dos - et sur leur santé en général - que les patrons du recyclage font fortune. Celle de Jean-Luc Petithuguenin, patron de Paprec, est passée de 100 millions d’euros en 2008 à 390 millions en 2018 [5]. Depuis sa création en 1995, le Groupe Paprec a multiplié son chiffre d’affaire par 430 pour atteindre 1,5 milliards d’euros en 2017.

Le PDG Petithuguenin se présente non seulement comme un patron « social », mais aussi comme un antiraciste engagé… En mars 2017, il prend position contre le passage du FN au second tour et conseille quoi voter à ses ouvriers, par courriers individuels. Il se vante partout d’embaucher des gens de 66 nationalités différentes, présentant comme de l’ « intégration » ce qui n’est qu’exploitation d’une main-d’œuvre à bas coût. Inutile de préciser que lui-même est blanc, ainsi que l’ensemble des 15 membres de son comité exécutif et que la seule femme présente est cantonnée aux ressources humaines. Même chose pour les directions d’établissements Paprec, où on ne trouve quasiment que des hommes blancs [6]. En fait, la « diversité » brandie par Petithuguenin concerne surtout les ouvriers peu qualifiés et tout particulièrement pour les métiers les plus pénibles. En Île-de-France, près de la moitié des ouvriers du déchet sont des immigrés et près des 2/3 sont sans diplômes. Dans l’entrepôt de La Courneuve, le recrutement cible en priorité des primo-arrivants, avec ou sans papiers, comme on a pu le voir lors des grèves de 2008. A cette occasion, Paprec s’était d’ailleurs illustré en ne promettant que des CDD de quelques mois aux travailleurs sans-papiers, et en refusant ensuite de les prolonger ). [7]

En plus de ça, Petithughenin prône la laïcité radicale en compagnie des fanatiques du Printemps Républicain et est même le premier patron français à avoir fait voter une Charte de la Laïcité dans sa boîte. Il reçoit des récompenses pour ce genre de conneries, comme le « Grand Prix de la Laïcité » qui lui a été remis en octobre 2014 par la mairie de Paris. Sa charte va jusqu’à dépasser le cadre légal en imposant un strict « devoir de neutralité » qui contraint les ouvriers à « ne pas manifester leurs convictions religieuses » mais aussi « politiques » dans l’exercice de leur travail [8]. Pour le dire plus clairement, Petithuguenin déteste tout autant les musulmans que les communistes et mène activement la chasse aux sorcières. Pour inaugurer le site de La Courneuve, il n’a pas trouvé mieux que de faire cuire des cochons de lait juste en face de la mosquée voisine. Et il a récemment déclaré à propos du dialogue syndical : « Si quelqu’un vient me voir avec des intentions politiques et fonde son action sur la lutte des classes, je dis non ». Il est comme ça Petithuguenin, il aime penser à la place des gens. Il fait dans le paternalisme à tendance néocoloniale. Et comme tout bon colon, il tient à son image de grand bienfaiteur et se débrouille pour dissimuler le carnage à ses pieds, par exemple en faisant le mécène à l’Opéra de Paris ou en investissant dans les sports nautiques, plutôt que dans l’amélioration des conditions de travail.

Tout ça donne très envie de lui mettre le nez dans ses déchets et de soutenir les mobilisations dans le secteur. Justement, Mahamadou Kanté poursuit son combat et fait appel aux solidarités. Il est épaulé par l’Union Locale CGT de La Courneuve qui lui apporte un soutien moral, juridique et économique essentiel. Mais le rapport de force reste déséquilibré. Avec les élections professionnelles qui approchent, la direction cogne de toutes ses forces pour faire passer les syndicats maisons en tête [9]et empêcher toute activité syndicale combative à l’intérieur de l’usine. Sur le site de la Courneuve, les collectifs de travail sont morcelés, la production est divisée en différentes unités économiques, qui dépendent de différentes conventions et qui sous-traitent une partie des tâches. La fédération CGT concernée, celle du transport, reste assez frileuse et distante [10]. Mais une lutte à l’échelle locale pourrait très bien faire basculer les choses et avec la solidarité des différents secteurs en lutte, faire sortir de l’isolement les salariés exploités du capitalisme « vert ». Sans compter que l’usine Paprec de La Courneuve est accessible en métro et donc idéalement située pour des retrouvailles entre camarades. À suivre de près...

La Plateforme d’Enquêtes Militantes (PEM)

Notes

[1Union des Organisations Islamiques de France.

[2Comme le montre très bien « Vieilles méthodes, nouveaux maîtres », un film court produit par la CGT.

[3Voir l’article de L’Express.

[4La logistique est pourtant bien connue pour ses conditions de travail dégradées.

[5Cf. Challenges.

[6Le comité exécutif où l’on remarque aussi la présence des fils de Petithughenin ; les directions d’agences.

[7Cf. l’article du Parisien.

[8Le cadre légal restreint le droit d’expression seulement en cas d’ « entrave au bon fonctionnement de l’entreprise ». La RATP ou la SNCF ont également mis en place ce type de chartre, sans pousser aussi loin que
Paprec. Voir la chartre.

[9Pour l’usine de La Courneuve, c’est l’UNSA qui occupe ce rôle.

[10C’est aussi le cas pour les ouvriers de la logistique.

Localisation : La Courneuve

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